La Patrouille
— Qu'as-tu fait ? l'interrogea Antje quand elles furent de retour à la tente.
Yumi ne répondit pas. D'autorité, la femme bleue l'attrapa par le bras et l'attira à elle, observant la blessure. Elle se tourna vers Xanthié, le regard noir.
— Tu l'as branchée ! lança-t-elle, furieuse.
Xanthié se jeta sur sa couche, bien décidée à prendre enfin un peu de repos après une nuit sans sommeil et une matinée riche en émotions. Antje ne décollérait pas.
— Espèce de petite inconsciente ! Yumi n'est pas de ton monde ! Elle n'est pas faite comme toi ! Vois ce que tu as fait ! ajouta-t-elle en observant la plaie.
— J'en ai vu d'autres, ronchonna l'étrangère.
— Elle comme nous, assura Xanthié. Pas danger.
— Pas danger ? Pas danger ? Tu l'as saignée comme un porc !
— N'exagère pas, fit Yumi.
— Elle beaucoup bonheur, renchérit la petite dévergondée.
— Beaucoup bonheur ? Sale petite garce, parle pour toi ! éructa Antje. Tu ne penses qu'à ton cul ! Qu'aurais-tu fait si elle s'était vidée de son sang ?
— Pas danger, rétorqua la jeune fille, boudeuse.
— Il faut soigner ça. Fous-moi le camp d'ici, va me chercher Ashka !
Xanthié s'éclipsa sans demander son reste. Restée seule avec la blessée, Antje se radoucit un peu. Yumi prit la défense de sa jeune amie.
— Elle ne m'a pas forcée. Et j'avoue que l'expérience était... ma foi... fort intéressante.
— J'imagine bien. Mais vous avez toutes les deux pris un risque insensé.
— Que veux-tu dire ?
— Le parasite qui vous a connectées génère un coagulant à effet local, ainsi qu'un très puissant régénérateur tissulaire. C'est ce qui assure l'obturation des points de sortie pour elle et d'entrée pour toi. Mais son effet sur ceux de ta race est fortement inhibé. Je le croyais même inexistant, mais il semble qu'il ait au moins partiellement fonctionné sur toi. Moins rapidement peut-être, ce qui explique l'important saignement.
— Comment sais-tu tout ça ?
— Où crois-tu que j'ai appris ce que tu appelles la langue des anciens ?
Yumi s'en était étonnée lors de son arrivée surExo, mais elle ne répondit pas. Antje puirsuivit :
— Nous venons du même monde.
— Tu viens d'Al'Ard ? Mais ...
— Oui, je viens comme-toi d'Al'Ard. Une Al'Ard bien plus ancienne que la tienne.
Yumi fixait la peau bleutée d'Antje, qui se sentit obligée d'ajouter: :
— La couleur est apparue bien après mon arrivée ici. Résultat, j'imagine, des traitements qu'ils m'ont infligés. Ou d'une quelconque mutation liée au milieu.
— Je vais bleuir moi aussi ?
— J'en doute. Seules les iŭga ont la peau bleue. Tu l'as vu, Teixo, Saavati, Aïcha ... tous sont semblables à toi.
— Et Xanthié ?
— Ce n'est pas une iŭgum. C'est une putain.
— Je parlais de son... son parasite.
— Sa porte ? Je n'en sais trop rien, elle en parle très peu. J'ai découvert cette horreur une nuit où elle et Garm s'étaient connectés. Tout ce que j'en sais me vient d'Ashka. Après tout, c'est elle notre femme-médecine. Et quand on parle du loup...
Ashka venait de faire son entrée. Elle examina la blessure, s'en fut à sa couche pour revenir aussitôt avec sa besace. Elle en tira trois fioles et une base pour cataplasme. Tout en se livrant aux soins, elle s'adressa à Yumi.
— Toi, tu es tombée dans les filets de notre Xanthié.
Yumi ne dit rien, vexée de passer pour le dindon de la farce. Ashka poursuivit.
— Rien de très grave. Dans quelques jours il n'y paraîtra plus, tu garderas cependant une petite cicatrice.
Antje résuma par le menu la teneur des recommandations qu'elle venait d'asséner à Yumi. Ashka tempéra.
— La porte apprend vite. Et Xanthié ne veut aucun mal à Yumi. Elle s'est peut-être déjà adaptée...
— Qui ça "elle" ? fit Yumi. Cette... chose, ou Xanthié ?
— Les deux. Elles ne font qu'une.
— Comment a-t-elle attrapé... ça ?
— Je n'en sais rien, rétorqua Ashka. Je ne sais d'ailleurs pas si elle l'a attrapé.
— Que veux-tu dire ?
— Elle l'a peut-être toujours eue en elle... Les porteuses sont extrêmement rare, je n'en avais d'ailleurs jamais rencontré avant de connaître Xanthié. Elles sont très recherchées, aussi vaudrait-il mieux que tu n'ébruites pas ce que tu as vu.
— Qui les recherche ? Pourquoi ?
— Tu poses beaucoup de questions. La Guilde. Les monarques. Les tenanciers de bordels de luxe. Les érudits. Les hommes comme Teixo ou Garm. Va-t-en savoir...
Ashka en avait terminé.
— Voilà, veille bien à laisser ce cataplasme sur la blessure deux jours encore.
***
Bien plus tard dans l'après-midi, une colonne d'une cinquantaine de cavalières s'apprêtait à lever le camp. À sa tête, un oriflamme rouge flottait paresseusement au vent. Aïcha ! Yumi marcha à leur rencontre. La capitaine ne ralentit pas l'allure quand elle parvint à sa hauteur, si bien que la jeune étrangère devait trottiner pour les suivre. Même au pas, les tribosses avançaient à bonne allure.
— Où t'en vas-tu ainsi ? lança-t-elle.
— Patrouille, répondit l'amazone, laconique.
— Emmène-moi avec toi !
Aïcha continuait sa route, impassible. Mais l'intruse insistait.
— Emmène-moi ! J'étouffe ici, il faut que je bouge.
La Rouge s'immobilisa, et par la même occasion, l'entièreté de la colonne. Elle toisa l'étrangère du haut de son tribosse.
— Tu n'es pas des nôtres. Tu sais à peine monter. Et tu n'as même pas de lance.
— Tu m'as vue en selle quand tu nous a escorté ici. J'apprends vite et vos montures ont bien des points communs avec les khamels de mon monde.
Elle omit de préciser que même sur Al'Ard, elle n'avait jamais posé son séant sur l'un d'eux. Mais elle était excellente cavalière, cela ferait l'affaire.
— Nous partons sur le champ.
— Je suis prête. Laisse-moi aller quérir quelques effets.
Aïcha n'hésita qu'un instant avant d'envoyer une des ses filles chercher un tribosse et trouver une lance. Yumi en profita pour courir jusqu'à sa tente et remplir à la hâte une besace.
Elle faillit percuter Antje en quittant la tente.
— Quelle mouche t'a piquée ? l'interrogea la fille indigo.
— Je pars avec Aïcha. En patrouille.
— En patrouille ? Mais... Ashka t'a bien recommandé de...
— Au diable Ashka. Je serai de retour dans quelques heures... Ou quelques jours...
Elle n'en savait de fait rien. De retour auprès des amazones, elle eut quelques difficultés à monter en selle, ce qui fit rire les fières guerrières. La bête était nerveuse.
— C'est un tribosse de combat, précisa AÏcha. Rien à voir avec les montures placides que l'on vous a procurées quand nous sommes allées vous chercher à Bab Alsahra'. Mais quand il t'aura adoptée, il filera droit comme une flèche.
Elle désigna la guerrière qui lui avait amené sa monture.
— Voici Xéna. Elle commande une escouade de voltigeuses. Elle te dira tout ce que tu dois savoir.
L'amazone lui fit un accueil cordial mais n'en rajouta pas, si bien que Yumi se sentit tout juste acceptée. Enfin, la colonne s'ébranla, en direction de l'est.
Annotations
Versions