Paradis
Quand elle ouvrit les yeux, il faisait nuit noire. Une nuit sans lune. Sans étoile. Le feu s'était éteint, on n'y voyait goutte.
Si seulement il pouvait pleuvoir.
Elle avait soif. Pas cette brûlure qui lui déchirait la bouche et la gorge, qui fendait ses lèvres jusqu'au sang. Juste... soif. Elle tâtonna, cherchant le sable. Y glisser la main, le sentir couler le long de ses doigts avait le don de l'apaiser. C'était peut-être la seule chose qu'elle finissait par apprécier dans ce maudit désert. Mais même le sable se refusa à elle. Ses doigts ne rencontrèrent que l'étoffe.
L'étoffe ?
Moelleuse. Douce.
Elle se redressa, toute ankylosée. À ses pieds, un grognement se mua rapidement en frottement.
— Djinn ? souffla-t-elle ?
— Yu... Yumi ?
Elle devinait une silhouette fantomatique, maintenant penchée sur elle.
— Yumi ! Toi vivante ! Toi vivante !
— Xanthié !? Mais... que fais-tu ici ?
— Yumi ! Toi vivante ! Pas bouger. Moi chercher Ashka ! Toi pas bouger !
Elle s'affala sur sa couche. Elle était sans aucun doute sauvée, mais les autres ? Et si elle rêvait. Elle se pinça. Ouvrit les yeux. Elle ne rêvait pas. Mais peut-être avait-elle rêvé la présence de Xanthié.
— Xanthié ? Xanthié ?
Pas de réponse. Elle avait rêvé. Tout comme elle avait rêvé la couche si accueillante. Mais non, elle la sentait sous ses doigts ! Un bruit. Une lueur. Elle n'eut aucune peine à reconnaître les deux visages familiers éclairés par la lumière orangée d'une lampe à huile. Xanthié, radieuse, la pointait du doigt. Quand Yumi voulu se redresser, Ashka l'en empêcha.
— Doucement, fit-elle d'une voix douce. Laisse-moi t'installer.
Elle l'adossa à d'épais coussins.
— Où sommes-nous ? Ou sont les autres ?
— Tu es au campement. Au dispensaire. Il fait nuit. Elles t'ont retrouvée il y a trois jours.
— Trois jours !? Mais...
— Chuuut. Je sais. Tu es restée inconsciente tout ce temps. Calme-toi. Je te l'ai dit, il fait nuit. Dans quelques heures, tu auras les idées plus claires. Plus d'un seront content de te voir revenir à la vie.
— Com... combien ont survécu ?
— Vous étiez quinze quand on vous a retrouvées. Malheureusement, deux n'ont pas eu ta chance. L'une était morte avant d'arriver ici, l'autre est partie hier.
— Aïcha ?
— Aïcha vivante, intervint Xanthié. Déjà réveillée.
— Oui, confirma Ashka. Elle a émergé cette après-midi. Elle est encore faible. Mais elle est vivante.
Yumi pleurait doucement.
— Repose-toi encore un peu. Xanthié va rester. Elle t'a veillée ces trois jours, elle n'est plus à trois heures près.
La jeune fille opina du chef.
***
La lumière aurorale baignait la tente d'une lueur diaphane. Yumi constata qu'elle n'était pas seule. Une vingtaine de lits occupaient l'espace, seule la moitié était occupés. Elle reconnut quelques visages, tous endormis. N'y tenant plus, elle se leva, non sans difficulté. Xanthié bondit sur ses pieds.
— Toi pas bouger. Ashka pas contente !
— Au diable Ashka ! Je n'ai qu'une envie, plonger dans le lac la tête la première. Mais d'abord, je veux me changer.
La jeune fille, amusée, emboîta le pas à son amie qui d'une démarche mal assurée, s'extirpait du dispensaire. Elles tombèrent nez à nez avec une grande et large guerrière..
— Xéna ! s'exclama Yumi.
— Yumi !
Elle riait, peinant à cacher sa joie.
— J'ai appris au saut du lit que tu étais réveillée, mais je ne m'attendais pas à te voir sur pied.
— Je t'avoue qu'il y a peu encore, je ne m'attendais pas à te revoir. Jamais.
— J'ai craint moi aussi pour vous toutes.
— Combien ?
— Treize. Treize ont survécu ajouta Xéna, la mine grave. Elles te doivent la vie, Djinn nous a tout raconté.
— Djinn ! Comment va-t-elle ? Et Aïcha ? Mais suis-moi, je me rendais à ma tente. Je suis ridicule dans cette robe de nuit.
— Toi comme sac de grain, plaisanta Xanthié.
— Ne te moque pas, petite peste. Et mène-nous donc à notre pavillon, je ne vois même pas où nous sommes.
Xanthié ouvrit la marche, sourire aux lèvres.
— Mais raconte-moi, reprit Yumi à l'adresse de Xéna. Comment nous as-tu trouvées ?
— Ce n'est pas moi qui vous ai trouvées. Quand nous vous avons quittées, nous avons chevauché sans relâche. Khâny et les autres avaient déjà quitté Bab Alsahra'. Nous n'y sommes restées que le temps d'échanger les tribosses. Quand elle a su que vous étiez parties au Trou du Diable, Djezabelle a envoyé dix escadrons à votre rencontre. Tu devines la suite.
Entretemps, elles étaient parvenues à la tente de Yumi et de ses compagnons. Malgré l'heure matinale, seul Garm était présent, vautré nu sur son lit, en proie à un phénomène matinal vieux comme le monde.
— Tu pourrais te couvrir, cracha-t-elle.
— Tu n'es pas en reste toi non plus. Si j'en crois les rumeurs, tu courrais le désert dans le plus simple appareil quand on t'a trouvée.
Il partit d'un rire gras tandis qu'elle détournait les yeux, fouillant la couche de Saavati à la recherche d'une tunique.
— Elle a définitivement découché, anoonça Garm, laconique, et toujours aussi indécent.
— Nous te trouverons bien quelque chose, intervint Xéna. Et nous passerons voir Aïcha, qui doit brûler d'impatience de te revoir.
Yumi ne se fit pas prier, contrairement à Xanthié qui vint se blottir contre Garm.
— Tu viens ? interrogea la terrienne.
La jeune fille déclina, arguant qu'elle avait mieux affaire puis gloussa en reportant son attention sur le membre turgescent de son maître, auquel Yumi lança un regard noir.
Elles trouvèrent la capitaine sous sa tente. Les deux rescapées se contentèrent d'une longue étreinte, incapable de mettre des mots sur la terrible épreuve qu'elles venaient d'affronter, ou sur la joie d'être en vie et de se retrouver. D'un geste, Aïcha invita les deux femmes à partager le repas matinal. Ce n'est que quand elles furent repues que l'amazone brisa le silence.
— J'ai perdu treize guerrières, annonça-t-elle d'une voix terne.
— Tu en as sauvé treize, rétorqua son amie.
— Quelle ironie. Une vie pour une vie.
— J'ai moi même perdu bien des hommes. Et je prie pour ne jamais l'oublier. Leur mémoire me pousse à aller de l'avant et me tire vers le haut.
Aïcha resta silencieuse un moment avant de reprendre :
— Peut-être. Mais tu les as perdus au combat, ils sont morts les armes à la main.
— Ton désert est un redoutable adversaire. Il n'y a pas de honte à tomber face à pareil guerrier.
— Puissent-elles t'entendre là où elles sont. Mais dans l'immédiat, Djezabelle veut te voir. Ne la faisons pas attendre.
— Je te suis. Mais j'ai une requête. J'ai l'air d'une sage femme dans cette robe. Prête-moi donc une tunique et tant qu'à faire, des sandales correctes.
***
— Ainsi, c'est donc toi, Yumi des Terres Sombres ? Je suis Djezablle, Générale des Amazones de Samaël, FIlle d'Al Garci. Sois la bienvenue.
Yumi masqua sa surprise. La femme qui se tenait devant elle était à peine plus âgée qu'elle. Grande, sans toutefois égaler la taille moyenne de ses guerrières, elle en imposait par sa seule présence. Ses cheveux épais, chatain foncé, étaient rassemblés en une longue tresse grosse comme le bras. Quand elle se tourna pour leur indiquer les coussins, les invitant à prendre place, son invitée constata que la natte courait bien plus bas que le creux des reins, jusqu'au milieu des fesses.
— Aïcha ne tarit pas d'éloges à ton sujet et Djinn m'a conté comment tu as conjuré le sort que vous réservait le désert.
— Je n'ai rien fait qu'une autre n'aurait fait.
— Mais tu l'as fait ! Et votre mauvaise fortune permettra d'éviter bien des morts.
— Sait-on ce qui a bien pu empoisonner l'eau ?
— Pas encore. Seule Djinn était encore consciente quand nous vous avons trouvées. Mais son esprit avait quitté son corps. Ce n'est qu'avant hier qu'elle nous a appris l'existence des prélèvements. Nous avons du envoyer une escouade les récupérer, ils devraient être de retour ce soir.
— En attendant, intervint Aïcha, nous voici clouées ici. Ou contraintes de nous déplacer avec des bœufs et des citernes. Nous serons aussi mobiles que des paysans se rendant aux champs.
Le ton était amer.
— Toutes les patrouilles sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, confirma la Générale.
Elle se leva, signifiant ainsi la fin de l'entretien. Aïcha l'imita, rapidement suivie par Yumi, mais ce fut vers cette dernière que Djezabelle se tourna.
— Peux-tu nous laisser un instant ? Nous ne serons pas longues.
Yumi prit congé et sortit attendre son amie. Elle ne tarda pas, mais quand la terrienne l'interrogea, la capitaine se fit mystérieuse: :
— Dans dix-neuf jours, la lune majore sera pleine. Tu devras être pleinement reposée.
— Nous partons ? Où ça ?
— Pas du tout.
— Mais alors ? A quoi dois-je m'attendre ?
— Laisse là les questions. Elles trouveront leurs réponses en temps voulu.
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