Hier soir, je lui ai dit ‘’je t’aime, tu le sais, ça ?’’ avant de l’embrasser… Ce matin, c’était au-dessus de mes forces.
- Accompagne-moi, m’avait-il dit ‘’c’est l’anniv’ de Jonah, faut pas être rancunier…’’
- Je changerai peut-être d’avis quand j’aurai votre âge, ai-je répondu un peu cruellement, ‘’mais j’aime pas votre QG… et surtout j’aime pas ton ex’’
- Lui, il t’aime bien, tu sais.
- J’ai une idée assez claire de ce qu’il aimerait bien avec moi, mais ça n’arrivera jamais.
- Tu es légèrement puéril, là…
- Comme tu dis souvent, c’est de mon âge.
Non, mais non ! Les soirées de trentenaires, j’y joue à l’occasion, juste pour lui faire plaiz’, je m’y amuse parfois à les assommer de références Gen-Z qui leur mettent des sourires entendus, mais auxquelles ils ne captent que pouic. Je suis peut-être un peu gamin, ok…
- Chuis comment ? Je fais moins, là ? a-t-il demandé, soudain inquiet, fringué d’un slim un peu trop slim remonté sur les chevilles nues, d’une chemise Desigual à motif cachemire rose et mauve, chaussé de mes Vans Old Skool à damier, il pourrait faire illusion. À dix mètres, de dos…
Je n’ai pas eu le cœur de le lui dire, j’ai juste murmuré ce que je pense, ce que je penserai toujours ‘’Tu es très beau…’’
Ce n’est que quand il est parti que j’ai remarqué que ses lunettes traînaient sur la table basse… Un signe du temps qui passe, le grand fauve commence à fatiguer, perso, je m’en fous un peu, ça m’amuse même doucement de le voir laisser traîner le regard sur le rayon des teintures pour cheveux, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il y tende le bras.
Les pattes d’oie au coin des yeux me plaisent plus chaque jour, comme ses tempes qui commencent à grisonner précocement… Hier, je lui ai montré la photo de l’article sur la mort de Sean Connery, que je ne connaissais que d’Indiana Jones et la Dernière Croisade, mais qui semble avoir eu une belle carrière avant. ‘’Quand tu seras vieux, chauve, barbu, avec les petites lunettes rondes, tu seras toujours beau’’ avais-je dit. Il avait grogné…
Et là, il a abandonné ses prothèses, comme je les appelle, mais devant la meute, il était évidemment impensable qu’il montre le moindre signe de faiblesse, même oculaire.
Vingt fois au cours de la nuit, j’ai empoigné mon smartphone et pianoté un texto, vingt fois je l’ai effacé. J’ai veillé toute la nuit. J’ai préparé une théière de gunpowder très sucré, pour rester éveillé, puis une seconde… Je suis allé pisser cinq fois en priant qu’il n’entre pas à ces moments-là. À six heures du matin, j’ai rempli un sac, de n’importe quoi, quelle importance ? c’était juste symbolique, et je l’ai placé ostensiblement dans l’entrée.
À sept heures, j’étais étonnamment calme, j’avais rassemblé ce qu’il me restait de dignité quand sa clé a tourné dans la serrure. Je me suis levé posément du canapé et l’ai rejoint en quelques pas, je l’ai retenu d’une main posée sur son torse et j’ai approché le visage de son cou…
- Jonah est toujours fidèle à Fahrenheit, ai-je murmuré, avant de poser un doigt sur ses lèvres en secouant lentement la tête ‘’Ne dis rien… Surtout… surtout ne dis rien’’. J’ai empoigné mon sac à dos et je suis sorti.
Je n’ai pas pris le bus direct pour la maison, il serait venu me chercher à l’arrêt habituel, pour une scène bien trop embarrassante. Et peu importait que je prenne deux fois plus de temps pour rentrer, j’ai eu le temps de pleurer tout mon soûl, de rage, de frustration, de dépit, tout y est passé.
Comme un rituel trop bien installé, maman n’a rien dit. Après m’avoir appelé onze fois, il s’est résigné à former son numéro, elle est passée dans le garage pour lui répondre, sûrement pour lui reprocher de me faire souffrir, mais elle sait, et il sait, puis je soupçonne aussi très bien que j’y retournerai, et je m’abandonnerai à son regard brun, et à ses caresses.
Je vais essayer de tenir deux jours, cette fois, mais j’ai déjà le manque de lui.