5. Noël, ensemble (première partie)
Salbris (41), mercredi 25 décembre 1985, 11 heures 30
Les emballages de cadeaux que l’on déchire s’amoncellent sur le sol carrelé démodé d’une maison de campagne de Sologne. Le feu crépite dans la cheminée trônant dans la rusticité d’un confortable living, l’atmosphère familiale y est chaleureuse, le bonheur des enfants communicatif.
— Wouah ! Un TGV électrique miniature ! Merci papy Chat, merci mamie Flore !
Timothée embrasse ses grands-parents paternels et continue de découvrir ses nombreux présents au pied de l’immense sapin, richement décoré et saupoudré de neige artificielle. Tandis que sa petite cousine Carrie s’ébahit devant une poupée Barbie encore encombrée d’inutiles attaches et autre scotch « d’apparat », les adultes s’offrent à leur tour de délicates ou modestes attentions mutuelles autour d’un apéritif dînatoire, composé de toasts au foie gras ou caviar accompagnés de Sauternes ou champagne pour les plus grands, de chips et cacahuètes arrosés de soda pour les plus jeunes. L’ambiance est festive, et malgré ses réticences du début, Amanda se sent beaucoup plus à l’aise et à sa place qu’elle ne le craignait.
— Oh trop bien ! Regarde, maman, ce qu’ils m’ont offert, Caro et papa : le saloon et le bureau du Sheriff Playmobil !
— Dis, Tim, je pourrai y jouer avec toi ?
— Ben non, Carrie, y a pas de fille dans les westerns !
— Mais si, il y a des filles ! Même qu’elles dansent sur la scène de ton saloon…
Vêtue de façon moins exubérante que Caroline, la jolie blonde est l’objet de toutes les attentions de ses ex-beaux-parents. Mamina, la grand-mère maternelle de Timothée, n’a pas voulu faire le déplacement depuis Honfleur. Ils partiront la visiter quelques jours à compter du lendemain.
— Ma pauvre Amanda, il va te falloir pousser les murs de ton appartement pour accueillir la montagne de nouveaux jouets de Tim ! la charrie papy Chat.
— Et c’est sans compter le circuit de voitures et le véhicule Big Jim qu’il n’a toujours pas déballés… Je ne sais même pas si tout tiendra dans mon Austin. Si ça se trouve, je vais être obligée de vous emprunter votre Range Rover…
Le septuagénaire éclate de rire.
— Mais ce serait avec grand plaisir, ma chère Amanda !
Une fois la hotte du Père Noël vidée, mamie Flore souhaite immortaliser cette petite réunion familale sur Polaroïd devant le sapin que papy Chat et elle n’ont acheté que pour cette occasion. Jean-Louis, leur aîné, Riva, son épouse, et Carrie, leur fille, d’un côté ; Baptiste, leur cadet, Timothée, leur premier petit-fils, celui qu’il a amoureusement conçu avec la si charmante Amanda, de l’autre. Seule Caroline semble détonner dans ce tableau idéal. Une pièce rapportée trop voyante, une intruse. C’est pourtant elle la compagne officielle du fils préféré...
Après cet intermède transitoire, le copieux repas se poursuit dans la salle à manger, là où la maîtresse de maison a mis les petits plats dans les grands. En présence des enfants, les conversations se font légères, s’anodinent ; la bonne humeur s’invite à table au rythme des mets qui s’enchaînent devant les convives, les éclats de rire fusent. Et le regard de Baptiste ne cesse de chercher celui de son vis-à-vis, celle qu’il a tant aimée puis quittée.
Pour prolonger l’univers festif au moment du dessert, la voluptueuse Caroline tente de jouer les divas en entonnant une très approximative reprise de Last Christmas, l’une des chansons phares du groupe Wham ! Les quelques faussetés de la jeune étudiante en licence d’économie n’échappent pas à l’ex-épouse de son compagnon, qui s’en amuse avec ironie auprès de celui-ci.
— Et moi qui me plaignais du goût trop prononcé de Sidonie pour la pop anglo-saxonne, avec laquelle elle me soûle à longueur de journée ! s’esclaffe la jolie blonde. Je te souhaite bien du plaisir avec ta Caroline...
— Et il ne sera assurément pas auditif ! rétorque avec à-propos le fringuant quadragénaire en pouffant de connivence avec sa ravissante interlocutrice, à l’insu de la chanteuse amatrice.
Annotations
Versions