15 heures 30

L’après-midi s’étire sur la campagne solognote. Souhaitant profiter de la douceur hivernale et du timide ensoleillement qui se profile sous le voile nuageux, Riva et papy Chat suggèrent une promenade digestive dans la forêt alentour. Si les enfants, trop heureux de pouvoir se défouler dehors avec Fric-frac, le beagle-herrier de leurs grands-parents, se réjouissent de l’activité suggérée, la plupart des adultes paraissent tout aussi enchantés à l’idée de pouvoir se dégourdir les jambes. Seules mamie Flore et Amanda préfèrent rester au chaud pour s’affairer au rangement et à la vaisselle.

Après avoir tourné quelques instants autour du pot, la septuagénaire entre dans le vif du sujet qui lui tient à cœur et s’ouvre à son ex-brue de la plus sincère des manières.

— Excuse-moi de t’ennuyer avec ça, Amanda, et peut-être que ça ne me regarde pas, mais je ne comprends pas pourquoi vous vous êtes séparés, Baptiste et toi. Vous alliez tellement bien ensemble, tous les deux ! Vous formiez un couple tellement uni, une petite famille si parfaite avec Tim…

— Il faut croire que tout n’était pas aussi parfait que ça vu de l’intérieur.

— Ça m’a fait mal, tu sais, votre divorce. Parce qu’au même titre que Riva, papy Chat et moi-même t’avons toujours considérée comme notre fille. Et tu ne peux pas savoir à quel point ça nous fait plaisir de t’avoir à nouveau avec nous pour fêter Noël en famille, avec Tim. Deux ans sans toi, mon Dieu que c’était long ! J’ai bien cru que nous n’allions jamais te revoir…

— Moi aussi, je vous aime beaucoup. Mais n’étant plus l’épouse de votre fils, j’estimais ne plus avoir ma place ici, ne plus être légitime.

— Mais bien sûr que tu l’es, légitime, tu es la mère de Tim !

Les deux femmes s’étreignent brièvement.

— Et Caroline ? C’est elle à présent, la compagne de Baptiste.

— Caroline, on verra plus tard. Après tout, ils ne sont pas mariés. Et de fait, il faut qu’ils nous prouvent tous les deux que c’est du sérieux entre eux.

— Sauf votre respect, mamie Flore, ça fait déjà un moment que Caroline et Baptiste sont ensemble. Le sérieux de leur relation n’est plus à prouver !

— Mais que veux-tu, ma fille, moi je suis vieille France. Et pour moi, quand on se marie, c’est pour la vie. Avec Caroline, il me faudra du temps pour m’habituer, c’est comme ça…

La conversation se poursuit autour d’un café.

— Papy Chat et moi, on a pensé à quelque chose pour toi. On en a parlé à Baptiste et lui aussi trouve que c’est une bonne idée…

La vieille dame farfouille dans la poche de son gilet de laine et en sort un trousseau métallique.

— C’est pour toi… Un double des clés de cette maison - Les Terriers. Nous n’y venons plus aussi souvent qu’avant avec l’âge. Alors autant que ce pied-à-terre serve à quelqu’un de la famille. Comme ça, tu peux venir y séjourner quand tu veux, avec ou sans Tim. Parce qu’à Paris en pleine canicule, sous les toits, là-bas à Montmartre, ça doit être insupportable. Et si tu veux t’assurer d’y être seule, tu n’auras qu’à passer un coup de fil, à Baptiste ou nous…

Amanda est émue par l’attention et la symbolique qui en découle.

— Mer… Merci, mamie Flore, infiniment. Ça me touche tellement, si vous saviez !

Nouvelle étreinte chaleureuse. La jolie trentenaire s’est toujours sentie comme chez elle dans cette demeure campagnarde, malgré une déco surannée qu’elle n’aurait pas choisie. Un seul objet, contrastant fortement avec l’esprit cocon que lui inspire le lieu, la repousse franchement dans cette masure : le fusil de chasse suspendu au manteau de la cheminée. Un détail qu’elle décide d’occulter pour ne pas froisser la générosité désintéressée de son ex-belle-mère à son égard.