6. « Ma petite chatte ... »
Champs-sur-Marne (77), vendredi 9 janvier 1986, 21 heures
Les Trésums, un dîner improvisé dans une chambre d’hôtel. Au menu, salade composée pour Chris, alias Amanda, hamburger et frites pour son hôte.
— Alors ? s’enquiert Laurent, organisateur du « festin ».
— Alors j’ai connu mieux, mais ça va, c’est pas mal, lui répond son interlocurice entre deux bouchées de crudités.
— En même temps, tu ne me laisses pas beaucoup de latitude…
— Ah mais sache que j’apprécie l’attention. Ça faisait longtemps qu’on ne m’avait pas surprise ainsi, et je ne m’y attendais pas du tout de ta part !
Le jeune homme en spencer noir jeté sur un débardeur blanc, blue-jean et Converse montantes, reluque d’un œil appréciateur son invitée derrière sa Corona.
— Si tu avais appris à me connaître, ma petite chatte, tu saurais que je ne suis pas toujours aussi rustre que tu le crois.
Ses prunelles grises la détaillent, du chemisier taupe à col Claudine au pantalon Denim sombre qui habillent sobrement la jolie blonde.
— Pourquoi tu te fringues jamais sexy pour nos rendez-vous ? Genre tout étalé en vitrine et jupette ras le minou… Enfin, je sais pas, ma petite chatte, mais quand tu viens me rejoindre dans notre alcôve, c’est pas pour jouer les saintes-nitouches ! Alors pourquoi tu caches tout ?
La trentenaire avise ses Doc Martens et se dit qu’effectivement, il y a sans doute plus féminin comme dress-code.
— Parce que… Parce que l’érotisme, c’est suggérer, pas montrer…
— Arrête ton baratin à deux balles, tu veux ! Là, on dirait presque que tu sors d’un couvent.
— N’exagère pas, Laurent. Je ne fais quand même pas aussi prude que tu le dis. C’est juste que je ne suis pas à l’aise avec ça, les codes de la séduction, les représentations de la féminité. J’ai toujours été complexée par rapport à mon physique, à mes formes à peine esquissées…
— Tu me plais comme tu es, ma poupée. Ton petit cul, tes petits seins, c’est ça qui me plaît, qui m’excite. T’as pas besoin de planquer tout ça sous des montagnes de tissu. Au contraire, si tu te faisais plus allumeuse, plus féline, je te trouverais encore deux fois plus bandante, j’aurais deux fois plus envie de te baiser…
Tout autant piquée au vif par les remarques de son amant qu’émoustillée par ses compliments sur sa plastique, Chris se décide à prendre l’initiative pour lui prouver qu’elle n’est pas aussi coincée que le laisse à penser sa garde-robe. Elle essuie sa bouche à l’aide d’une serviette en papier, se lève de sa chaise et s’avance vers lui en déboutonnant sensuellement son chemisier jusqu’à la naissance de ses seins. Elle le regarde droit dans les yeux et finit par s’asseoir sur ses cuisses. Elle fait glisser sa veste le long de ses épaules musclées, ôte son Marcel, tandis que ses mains enlace sa taille trop fine et qu’il plonge sa tête dans sa poitrine.
— On va se faire du bien, ma petite chatte, on va se faire jouir...
***
samedi 10 janvier 1986
Il est nu derrière elle, la besogne en levrette sans ménagement ni relâche dans la salle de bain attenante. Leur ébat sauvage se reflète dans le miroir surplombant la vasque, le gris de ses iris mate avec lubricité la pornographie de la scène impudique. Laurent à ses mains agrippées aux hanches de cette trentenaire qui hoquette à chacun des puissants va-et-vient du jeune homme. Sous son joug, ses paupières sont à demi-closes et son mascara coule en sillonnant ses joues. Pour autant, rien ne semble normal à la jolie blonde que l'on culbute, pas même ce rouge à lèvres incongru qu'elle n'applique jamais sur les siennes.
— Hum, t’aime ça, hein, ma petite chatte ! Tu vois l’effet que tu me fais quand tu te sapes comme une putain ?
Chris ne comprend pas. Elle ne reconnaît pas la fille qui se fait pénétrer sous ses yeux. Ses obus démesurés qui se balancent au rythme cadencé des coups de boutoir assénés, cette mini-jupe relevée au-dessus d’un fessier rebondi dont elle se sait dépourvue. Pourtant, elle sent son sexe en elle, cette accélération, cette vague orgasmique qui vient la cueillir quand il la ramène contre lui en tirant sur sa chevelure, quand l’une de ses mains enserre sa gorge presque trop fort, quand il la fixe dans la glace, quand il lui murmure, à l’orée de leur jouissance concomitante :
— Tu ne t’intéresses qu’à mon chibre, ma petite chatte, et c’est grâce à lui que tu vas venir...
Le coït l’enchaîne à celui qui se déchaîne sur son corps ; l’air commence à lui manquer, elle suffoque, finit par pousser un cri…
Ses paupières s’ouvrent dans la pénombre, ses yeux s’attardent sur l’éclat rougeoyant du radio-réveil : « 2:35 » s’affiche. Amanda est en nage, son propre miroir lui renvoie l’image d’une femme échevelée, au bout du rouleau. Mais aucune marque, aucun stigmate ne subsiste sur son cou. Elle a pourtant joui dans ce rêve qu’elle peine à interpréter. Laurent tentait-il de lui faire du mal, de l’étrangler, alors qu’il ne l’a jamais violentée de façon outrancière ? Ce songe signifie-t-il qu’elle doit mettre un terme à cette liaison, aussi addictive que dangereuse ? Elle le voudrait mais ne le peut pas ; elle est déjà sous son emprise physique. Parce qu’elle sait que désormais, elle lui appartient, comme la nuit.
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