L'amour, ça s'entretient dans les petits riens
Et il y en a eu des petits riens, depuis que je te connais.
30 mai 2023.
J'ai rendez-vous avec toi, mais je ne le sais pas.
Tu arrives à l'heure, souriant et élégant.
Tu portes ta "tenue de travail", pantalon droit et chemise bien repassée. Tu es soigné, bien coiffé, parfumé.
Ta blondeur et tes yeux bleus te donnent un air angélique. Air renforcé par la blancheur et la douceur de ta peau, que je découvre lorsque tu t'allonges nu sur mon lit. De tout ton être se dégage de la délicatesse, une tendresse palpable qui n'attend que d'être offerte au monde entier. Ou juste à moi, qui suis là pour t'accueillir.
Pendant une bonne demi-heure, tu es seulement toi, le client un peu malheureux, un brin malchanceux, légèrement déboussolé, celui qui vient requérir mes services en désespoir de cause. Lorsque je termine ce pour quoi tu me paies, je te regarde.
Et tu me regardes. Et l'on se voit pour la première fois.
Un sourire maladroit, un rire emprunté, quelques mots échangés... Il y a de la poésie dans cet instant suspendu, dans ce moment en dehors des lignes, dans ces minutes débordant du cadre. Je ne regarde pas l'heure. J'ai beau avoir terminé mon travail, je n'ai pas spécialement envie que cela s'arrête. Toi non plus. Tu as une réunion bientôt mais tu restes et joues les prolongations.
Notre conversation est un salmigondis de tout et de n'importe quoi, de passé, de présent et de futur, racontés en vrac comme des produits disposés sur les étals des marchés. Il y a des questions avec de vraies réponses, quoiqu'un peu trafiquées, et de l'étonnement de part et d'autre, ainsi que de la curiosité de chaque côté. Il y a surtout cette légèreté soudaine, se diffusant après l'intensité des efforts. C'est dans cette discussion sans queue ni tête que commence l'intimité vraie. Celle qui s'écoule du coeur, de l'âme, d'un tout autre endroit que la raison.
Je te plais.
Tu me plais.
Nous ne nous connaissons pourtant pas. On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. On ne l'est pas plus quand on atteint la quarantaine apparemment.
Je m'amuse encore de ces premiers contacts, dignes de ceux d'adolescents. Ton regard perçant me dévisageant comme si tu craignais que je ne m'évapore sous tes yeux ; tes doigts glissant sans cesse sur ma peau en de douces arabesques, soulignant ton besoin de prolonger l'instant et de me retenir encore un peu ; le tout saupoudré de paroles chuchotées à cause de la fenêtre ouverte sur le monde.
"Tu es magnifique." me confies-tu, comme une évidence.
Ton évidence.
Je suis sourde et muette, pas plus charmée que cela par un compliment qui peut ne pas être authentique, et ne s'avérer que le résultat probable d'un trouble causé par l'orgasme que tu viens de vivre. Moi ou une autre, ça serait sûrement pareil.
Mais tu continues à te dévoiler et je sens désormais ta sincérité :
"J'aimerais te revoir".
Drôle d'idée. Je suis une prostituée et tu es mon client. Ce n'était pas le deal de départ.
"Pas pour ça. Pas pour du sexe, je veux dire. Te revoir toi, apprendre à te connaître..."
C'est marrant comme tout un monde peut naître de quelques vocables. En t'écoutant me dire ces courtes phrases, je comprends à présent tes intentions, tes attentes, ta personnalité et ton caractère. Il n'y a pas que ton corps ou ton visage sous mes yeux, mais tout ton univers. Par ces déclarations, tu t'es mis à nu et dévoilé bien plus que depuis le début de la séance, lorsque tu as rétiré tes vêtements. J'ai soudainement un accès direct à ton coeur, à tes rêves, à tes espoirs enfouis en toi depuis si longtemps.
Pas pour du sexe... Tu as tenu parole.
Cela a été la première de tes promesses.
Il y a des petits riens qui signifie beaucoup.
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