Prologue
Le vent faisait siffler les dunes et l’on ne savait plus, de lui ou de la flûte, qui accompagnait qui. Le musicien avait fermé les yeux pour mieux les emmêler. J’aimais profondément ce son, ou plutôt ces sons qui formaient le chant du désert. Mais j’aimais encore plus embêter Nin Vh’ol et c’était lui qui jouait.
Je me suis donc glissée à quatre pattes derrière lui, en passant entre les tentes. Sans faire de bruit, dans l’image que je me faisais de la souplesse du derkan, je me suis approchée. C’était facile. J’ai tendu une main devant lui et avec un doigt, j’ai bouché la flûte. Il a toussé, ouvert les yeux et souri avec ses joues parcheminées par le temps.
- Nahini Rh’oz, tu ne devrais pas être avec ta shouyra ?
Il voulait dire ma mère, qui devait traire nos muffons avec mon père à quelques pas. Mais je ne voulais pas y aller. Je me suis assise sur ses genoux.
- Je peux rester avec toi, plutôt ?
- Oui, brichki. Tu peux rester.
Toute contente, je me suis blottie contre lui, pour qu’il continue à jouer. Il commençait à peine sa musique quand une ombre massive m’a éclipsée le soleil couchant. Je levai les yeux vers la silhouette noire. Il y eut un rire et j’ai reconnu mon père.
- Eh bien, Nahini, tu ne veux plus nous aider ?
- Si, shouyru, répondis-je. Mais j’aime bien la musique.
- C’est une fière Qadi, ta fille, Rohj, dit Nin Vh’ol.
J’étais toute contente qu’il dise ça, et je crois que mon père aussi. Il m’a soulevée des genoux du vieux flûtiste pour me prendre dans ses bras.
- Oui, mais pour qu’elle grandisse, il lui faut du lait ! Pas vrai, brichki ? On va aller rejoindre ta shouyra.
Je hochais la tête et mon père m’a emportée vers le soleil couchant. J’avais six ans à l’époque.
J’ai grandi depuis, et ça fait bien longtemps que plus personne ne m’a appelée brichki.
Quand j’ai eu dix ans, j’ai pu guérir les plaies en posant une main dessus.
Quand j’ai eu quinze ans, j’ai soulevé une tente du sol en tendant les mains.
Quand j’ai eu dix-sept ans, j’ai brûlé un ancien qui essayait de soigner une de mes blessures.
Quand j’ai eu dix-neuf ans, j’ai tué un muffon en voulant éviter ses cornes.
Quand j’ai eu vingt ans, je suis partie.
Je m’appelle Nahini Rh’oz, j’ai vingt ans et j’ai dû tout quitter pour la magie qui vibre en moi. Pour apprendre.
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