Chapitre 12 : À qui la faute, crétin ?

15 minutes de lecture

« La vache, je suis sûr que c’est cette maison ! Les méchants sont à l'intérieur !

— Tiens je te donne ma plaque je crois que tu l’as bien méritée.

— Non, non je l’ai pas méritée.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Grâce à toi cette affaire est résolue. C’est une révolution dans l’histoire de la police criminelle. Quand je pense à toutes ces années que j’ai passé à étudier le comportement humain, la psychologie des terroristes, l’analyse des empreintes ; tous ces cours que j’ai suivi sur la filature, la récupération d’otages, la criminologie, alors qu'il suffit de se balader au volant d’une voiture et de montrer une maison au hasard en disant "Les méchants sont à l'intérieur !!" ».

Last Action Hero, réalisation de John McTiernan (1993)

— Ce n’est vraiment pas une bonne idée.

Claire persistait dans cette opinion depuis qu’ils avaient franchi les limites du parc en toute illégalité. Enroulée dans la veste de Cécile, ce qui ne l’empêchait pas de trembler sans discontinuer, elle observait le terrain de jeux avec une terreur non dissimulée. C’était là le décor et l’ambiance propices au tournage d’un film gore. Ou à une fin tragique.

— Elle a raison, on devrait rentrer, il est presque minuit, renchérit Cécile.

Arthur ne semblait pas tellement plus à l’aise. Il regrettait que l’excuse de la nuit blanche entre copains qu’il avait donnée comme justification à son escapade se révèle aussi glauque. Il observait Bastien qui retrouvait les lieux, le regard froid, le visage dénué d’émotion. Il n’était pas convaincu par cette thérapie imposée par le patient lui-même et avait peur de son absence de réaction.

Florian restait en retrait et ne pensait rien de tout cela. Il avait été le seul à ne pas s’opposer à l’exigence folle de Bastien, paraissant trouver parfaitement logique sa soudaine envie de revenir à l’endroit où son frère avait été retrouvé égorgé huit ans plus tôt. Florian les suivait sans se sentir concerné, étonné par sa propre audace passive. Ses pensées étaient tournées vers Chloé et son parfum vanillé ou l’effluve d’automne qui exsudait de la peau sucrée d’Emma quand il venait parfois la border. Vers cette chaleur qu’il éprouvait face à ces sensations afin de se forger un rempart contre le froid qui l’étreignait.

Bastien avançait avec obstination, sondant chaque fourré, espérant reconnaître le bon. Pour comprendre et reconstituer la scène. Des années plus tard, il en était toujours sûr, ils n’étaient pas seuls cette nuit-là dans ce petit bois. Il les avait entendus, avait-il répété aux policiers, ces va-et-vient dans les fourrés, ces chuchotis et piétinements confus qui n’avaient rien à voir au bruissement des feuilles soulevées dans le vent. Il les avait entendus, il avait cru voir des silhouettes indéfinissables qui n’étaient pas le résultat d’un jeu d’ombres reflétées par les réverbères.

Et ce n’était pas le fruit de son imagination animée par le choc. Il avait vu. Vu et entendu, penché au-dessus du corps d’Alec. Rien qu’un instant, mais c’était suffisant.

Ça l’avait été en tout cas, ce laps de temps largement suffisamment pour que son frère se fasse tuer par ces tueurs à l’affût dans les taillis pendant que lui était parti faire le guet. La fille avec qui son frère avait rendez-vous en était-elle la cause ou la complice, il ne l’avait jamais su. Elle ne s’est jamais manifestée, il n’a jamais su à quoi elle aurait ressemblé. Quel avait été en définitive le genre d’Alec en matière de filles. C’est ce petit détail qui l’avait frappé au cœur au moment de trinquer avec Mathieu : il s’était rendu compte que son frère n’avait jamais pu trinquer au bac ni à quoi que ce soit d’autre, qu’il n’aurait jamais 18 ans mais resterait éternellement figé à l’aube de ses 15 ans.

— C’est là, conclut-il en stoppant devant un chêne, étonnamment calme.

Arthur et Cécile avancèrent instinctivement de trois pas, Claire en recula de trois, haletante, peu avide d’en savoir plus. Florian était toujours aussi détaché, la symbolique du lieu ne devait rien signifier pour lui.

— C’est ici qu’il est mort, j’en suis sûr.

— Super, murmura Claire. C’est vraiment cool comme pèlerinage. Tirons-nous, maintenant. Tout de suite !

— Regardez !

Tous se tournèrent dans la direction indiquée par Cécile. Dans la nuit noire au loin se découpait en ombre chinoise une immense bâtisse qui surplombait le parc et le bois.

— Ça ? C’est l’ancien silo à grains, expliqua Arthur. Il est désaffecté.

— C’est pourtant éclairé ! Ils l’utilisent encore ?

Une petite lucarne de lumière sur la droite de l’imposant silo, habilement camouflée par les arbres, trouait l’obscurité.

— C’est plutôt un repaire pour les délinquants du coin maintenant, il ne sert plus à rien, objecta Florian. La ville va finir par le détruire. La plupart ne servent que pour les films américains et encore, dans les coins les plus paumés !

Il ne rajouta pas que c’était exactement dans ce genre de coins qu’un des personnages finissait découpé par un tueur en série au début du film. Tout le monde devait avoir cette image dans la tête à présent.


Claire finit par craquer.

— Oui, bon, c’est un silo à grains, on a compris ! On peut y aller ?

Bastien en profita pour se ruer vers le silo, s’enfonçant dans le bois sombre.

— Attends ! Pas par-là ! cria Claire, paniquée.

Quand ils finirent par le rejoindre, Bastien était accroché de tout son poids au grillage qui séparait le parc du champ attenant au silo, ses doigts emmêlés aux mailles, les yeux rivés sur le bâtiment comme s’il envisageait déjà de l’escalader.

— Qu’est-ce qui te prend encore ? Tu en as déjà fait assez pour ce soir ! s’essouffla Claire.

— Le silo ! Tu sais ce que cela signifie ? s’enthousiasma d’un coup Bastien en la saisissant par les épaules. Ils ont dû se réfugier là-bas après avoir fait leur coup, c’est pourquoi les enquêteurs ne les ont jamais retrouvés !

— Et tu crois sincèrement que la police n’y a pas pensé plus tôt ? rétorqua Claire en se dégageant. Toute la zone avait été quadrillée, ils l’auraient dit s’ils avaient trouvé ne serait-ce que des témoins !

— Je veux voir ce qu’il y a dedans, développa Bastien. Il doit y avoir des jeunes qui squattent et c’est généralement les mêmes groupes qui tournent, ils doivent savoir ce qui s’est passé ou en avoir entendu parler.

— Plus de huit ans après ? Tu t’entends parler ? Tu es complètement malade ! Non, t’es surtout complètement bourré pour avoir des idées pareilles !

— Bastien, c’est de la folie et ça ne changera rien, intervint Cécile. Tout ce qu’on risque, c’est de de se faire arrêter.

— S’il n’y a que ça, je marche, déclara soudainement Florian, les prenant tous de court.

— Mais putain, c’est quoi votre problème à vous deux ? s’énerva Arthur.

Florian n’affronta pas sa colère et se contenta de secouer la tête. Les yeux mi-clos, Bastien calculait déjà leur itinéraire comme s’il n’était pas concerné.

— Honnêtement Florian, ce n’est pas parce que tu n’as pas envie de rentrer chez toi que tu vas encourager Bastien quand même ? interrogea froidement Cécile.

— Je ne peux quand même pas le laisser tout seul, répondit-il sans même chercher à nier.

— Ce n’est pas ça qui va la ramener.

— Non. Non, ça c’est certain. Mais de un, ce ne sont pas tes oignons et de deux, il n’y a aucun rapport.

— C’est une idée complètement débile, voilà le rapport !

— Attendez. Si vous tenez vraiment à monter là-haut, je sais par où passer sans risque. Il y a un trou dans le grillage plus loin, derrière des taillis, soupira Arthur. Et dire que c’était pour ces imbéciles qu’il avait pressé Matthias de l’amener en trombe au bowling. Et maintenant il allait les faire passer par le seul passage secret qu’ils partageaient, la seule chose qui avait résisté à leur complicité.

— Voilà autre chose. D’où tu nous sors ça ?

— Au cas où tu ne le saurais pas, Claire, il n’y a pas de tonnes de distractions pour les gamins dans le coin.



La porte coulissa avec difficulté sur ses rails dans un long chuintement métallique.

— Et maintenant ? souffla Claire une fois dans la place.

C’était un grand open-space poussiéreux aux multiples fenêtres grillagées ou cadenassées. Un comptoir doté d’appareils de mesure pour le moins complexes faisait face à ces larges ouvertures et suscitait plus une atmosphère de salle d’attente qu’un hangar de stockage. Bastien étudia la pièce avec attention : ici devait se tenir l’espace de réception pour la pesée du grain et le contrôle de sa provenance et de sa qualité avec les fournisseurs. Renfoncé dans le mur du fond, un escalier abrupt conduisait à l’imposant poste de commande. Situé sur la plateforme qui les surplombait sur toute sa longueur, c’était la meilleure planque pour espionner les déplacements des indésirables : la lumière tamisée qui jaillissait par ses percées donnaient un point de vue imprenable sur l’accueil.

— Il n’y a plus qu’à monter, j’imagine, hasarda Florian d’une voix incertaine répercutée sous l’effet de l’écho. Bastien gravit les échelons sans plus attendre, suivi par plus de réticences. Parvenu en haut des marches, il marqua une pause, en alerte. Bien sûr, il n’y avait rien à l’étage, pas de résolution magique ni quoi que ce soit d’approchant. Si ce n’est que de son poste d’observation, il percevait distinctement un drôle de silence affairé, ponctué de temps à autre par des raclements de chaises et bruissements de papiers.

— C’est quoi cette histoire ? murmura Arthur.

— Cela me semble mal barré, avança Florian qui percuta de plein fouet le regard noir d’Arthur : « À qui la faute, crétin ? ».

— Il faut faire demi-tour, murmura résolument Claire du bas de l’escalier. Bastien, redescends. On va se faire coincer.

— Pas question !

Bastien bondit de sa cachette dans la pièce suivante. Gêné par la luminosité crue et maintenant égaré dans un hâle de torpeur, il se mit à cligner des yeux comme un hibou ébouriffé.

— Désolé du dégenrement… du dérangement, bafouilla-t-il, la gorge sèche. Je voulais vous… vous demander un renseignement si vous avez l’occasion de m’en accorder. Du temps.

— Qu’est-ce qu’il nous fait, lui ? s’esclaffa un grand échalas affreusement maigre, une fois remis de sa stupeur. Il se leva calmement et s’approcha de Bastien sans paraître impressionné. Son compère ricana quand Arthur et Florian déboulèrent à leur tour pour se poster de part et d’autre de Bastien. Ils le tirèrent en arrière d’un bel ensemble.

— Désolé, il a trop bu, il n’a plus toute sa tête, s’excusa Arthur, intimidé.

— Vous cherchez quoi, les gars ? Une cuite supplémentaire pour votre pote ? On a déjà épuisé tout notre stock, alors dégagez avec votre… votre clique.

— Vous amenez vos rencards ici ? C’est quoi votre trip ? Vous n’avez rien de plus romantique ?

Le cœur de Florian chavira quand il avisa les silhouettes de Claire et Cécile qui s’encastraient prudemment dans l’encadrement. Elles n’auraient pas pu attendre en bas ?

— C’était une erreur, on s’en va, s’excusa Arthur en s’empressant de tourner les talons.

Mais bien évidemment, Bastien ne l’entendait pas de cette oreille. Quitte à faire du grabuge, autant y aller à fond. Il s’évada d’une simple volteface et se rapprocha des squatteurs. Celui qui était resté assis perdit patience, plus du tout amusé, et se porta au-devant de Bastien.

— Casse-toi, décréta-t-il en lui saisissant le poignet.

Le cerveau embrumé du garçon en détermina qu’il était en danger et Bastien réagit en conséquence.

Son avant-bras pivota pour se libérer pendant que son bras libre accompagnait d’un mouvement de balancier la torsion de son corps. Il lui administra dans une fluide foulée un coup de pied retourné sur le bras de son agresseur.

Pétrifiés, ils regardèrent l’homme s’écrouler à genoux dans un cri de douleur. Bastien rétablit sa posture et observa le spectacle d’un air encore plus hébété. Le poing le cueillit violemment à la tempe, provoquant le K.O. direct. Bastien se sentit vaguement basculer en arrière. Avant que la lumière ne s’éteigne, il fut heureux de voir que le brouillard s’était enfin levé.

Claire poussa un cri de souris étranglé quand Bastien s’écroula. Cécile la retint avant qu’elle ne se rue vers lui, l’exposant à la fureur des hommes.

— Ce connard m’a cassé le bras ! gueula le Bras Cassé avec fougue.

— Le petit salopard. On se tire, je t’emmène à l’hôpital.

— Assomme d’abord ces deux-là, je leur ferai la peau après.

Arthur et Florian n’eurent pas à comprendre ce qu’ils impliquaient, ils subirent le même sort que Bastien. Les deux filles se rassemblèrent, terrorisées.

— T’as pas frappé trop fort quand-même ?

— Je sais encore viser ! Et puis à cet âge, on se remet vite de la gueule de bois, non ? rit le grand escogriffe.

Il fouilla les garçons et récupéra leurs portables, satisfait.

— Filez-nous les vôtres ! On est encore galants, mais à la moindre entourloupe, vous y passez aussi. Capisce ?

Elles obéirent, peinant à sortir leurs portables, sous le choc. Claire se blottit contre Cécile quand l’appareil lui fut arraché des mains.

— Qu’allez-vous faire de nous ? bredouilla Cécile en essayant de se montrer forte pour deux.

— Vous allez juste passer une nuit tranquille ici et on vous libère une fois de retour. Préparez-vous à passer un sale quart d’heure si son bras est réellement cassé.

— Ils passeront de toute façon un sale quart d’heure, promit le blessé.

— C’était un accident. Bastien, enfin notre ami, était soûl.

— Ferme-la ! Descendez, plus vite !

Descendre ? En laissant les garçons sur place ?

— Grouillez !

Cécile se braqua, talons plantés au sol. Elle ne supportait pas l’idée d’être aussi impuissante. Elle ne pouvait les laisser embarquer Claire.

— Bouge, idiote !

— Ne me touchez pas !

Elle brandit sa main. Une bourrasque s’engouffra dans les papiers à rouler, balayant les joints à terre dans un joyeux capharnaüm.

— Fuis, marmotta Cécile à Claire qui la regardait avec de grands yeux ronds.


Fuir ? Était-elle sérieuse ? Claire était bien incapable de bouger. Alors fuir… Elle ne se résoudrait pas à délaisser Bastien, pas dans son état. Claire eut un soubresaut. Elle se détacha de Cécile et courut vers Bastien.

Déjà fort remontés devant toute cette pagaille à reclasser, les deux hommes s’excitèrent en découvrant Claire aux côtés de son frère.

— Même les filles de ce groupe sont intenables, soupira l’escogriffe.

— Lève-toi ! beugla Bras Cassé en chopant Claire par les cheveux.

Claire cria furieusement et se tortilla tandis qu’il la traînait. Escogriffe soupira et poussa Cécile dans les escaliers à leur suite.

— On va où comme cela ?

— On va les mettre dans une des fosses de réception, elles y seront bien, tu vas voir.

Les fosses de réception ? Cécile se débattit, épouvantée, mais la prise de l’escogriffe Maigrelet était de fer.

« La fosse de réception » dans le jargon professionnel ne se révéla n’être qu’un entrepôt destiné au stockage des grains une fois aseptisés. Il était équipé d’un dispositif de filtrage à même le sol qui ne facilitait aucunement la position assise. Passer le reste de la nuit dans ce coin sombre et métallique était plus que rédhibitoire.

Cécile s’assura que Claire allait bien. Toujours tenue par les cheveux, Claire pleurait douloureusement, malmenée de façon barbare.

— Vous lui faites mal !

— Tu aurais préféré que je l’assomme ? lui demanda hargneusement Bras Cassé en rouvrant le poing.

Cécile se tut. Elle aida Claire à s’asseoir à côté d’elle. La petite enfonça sa tête sur ses genoux.

— Tout va bien, je suis là, je ne te lâche plus.

— Cette porte ne s’ouvre que de l’extérieur, n’allez pas vous casser un ongle.

— Si on oubliait de vous libérer, grimaça Bras Cassé, avec un peu de chance, quelqu’un viendra à passer par ici. On ne sait jamais, à tout hasard.

« Ces mecs sont des brutes ». Cécile était scandalisée.

— Et nos amis alors ?

— Oh ça va, ils ne sont pas morts. On va les descendre dans la fosse d’à côté.

— Amène-toi, je ne peux pas les porter à moi tout seul !

— Et mon bras, t’as vu comment est mon bras ? J’ai vachement mal !

— Donnez-nous de l’eau au moins !

Le grand dadais fit coulisser la porte dans un grincement lugubre. Le claquement sec scella leur soirée mémorable.

— Bon, on est toujours ensemble. C’est comme une pyjama-party entre filles.

Claire éclata en sanglots.

— Claire, tu n’as pas repéré les lieux par hasard ? Tu ne serais pas capable de t’enfuir ?

Claire remua sans cesser de pleurnicher.

— Je n’ai rien vu, j’avais trop mal, il faisait trop sombre.


Il y a des années, bien avant la séparation de ses parents ou même la mort d’Alec, Claire s’était rêvée grande braqueuse, ou mieux, espionne de haut vol. Elle excellait déjà dans la matière. Elle pouvait rester cachée pendant des heures sous le lit, à espionner les déplacements de sa famille qui la cherchaient partout, épiant avec une sorte de plaisir enfantin le jeu qui prenait de l’ampleur, se muant en recherche angoissée. Elle avait eu beau se prendre des fessées magistrales pour causer tant de frayeur, elle avait persisté dans son jeu.

Quand elle avait déclaré fièrement qu’elle serait maître espionne, et qu’elle prononcerait des répliques cultissimes à graver dans le marbre, le genre que personne ne s’aviserait de prononcer dans la vie réelle, ses parents avaient éclaté de rire. Vexée par leur réaction, blessée pour la première fois par le monde cynique des adultes, Claire n’avait pas compris en quoi clamer résolument « Les mains en l’air ! » ou « Pied au plancher ! » était impensable dans la vie quotidienne.

En réponse à son indignation, Alec, lui, n’avait pas éclaté de rire. Il lui avait simplement dédicacé son petit sourire complice et lui avait répondu que cette vocation lui irait comme un gant. Et c’est à elle, à elle seule, qu’il lui avait donné son premier cours d’auto-défense. Parce que si dans le métier d’espion, savoir se cacher était une qualité indéniable, « savoir se battre en cas d’infiltration sur territoire ennemi était indispensable ».

Et là, elle n’avait même pas été fichue d’élaborer un plan de fuite, alors un plan de bataille…

— Je suis nulle !

— Mais non, voyons, c’est normal dans cette situation ! Ne t’inquiète pas, ils seront bien obligés de nous délivrer.

— Et s’ils ne le font pas ? Que va-t-il se passer pour… pour Bastien ? hoqueta Claire. Pourquoi… ont-ils voulu venir ici, aussi ?

— Bonne question.

Un autre couinement déchirant mais étouffé se fit entendre sur leur gauche, plus loin. Claire tâtonna la paroi, frémissante.

— Ce sont eux… Tu crois qu’ils vont bien ?

— Ton frère a la tête solide et les autres aussi. J’espère que ce gars s’est vraiment cassé le bras. Tu as vu un peu comme Bastien l’a défoncé ?

— C’est vrai, il ne l’a pas raté.

La voix de Claire était un rien plus enjouée et cela réchauffa Cécile. Elle était rassurée, Claire était un roseau vivant : légère, vivace, se pliant sans se rompre. Pourvu qu’il en soit de même pour les garçons. Ils allaient probablement s’en sortir une fois de plus, avec une chance insolente.

— Essaie de dormir un peu. Tu peux t’appuyer sur moi.

— Ce ne sera pas confortable pour toi.

— Je ferai pareil. C’est de l’entraide.

Claire eut un petit rire et lui serra la main.

— J’aurais bien aimé avoir une grande sœur, mais seulement si elle te ressemble.

— J’aurais adoré avoir une petite sœur. On peut s’arranger.

— Ça me va ! Et Thomas serait notre petit frère, alors ! Ça lui ferait plaisir !

— Sûrement, oui.

Claire cala la tête sur son épaule.

— Je suis contente qu’il ne soit pas venu avec nous, dit-elle après une longue pause. Mais lui, il n’aurait pas hésité à aller chercher du secours.

— Claire. Une chose est sûre, on ne peut pas connaître le comportement des gens s’ils étaient à notre place. Tu as été très courageuse de te porter vers Bastien. C’est encore plus courageux que de s’enfuir loin pour aller chercher du secours. Tu n’as pas à te sentir coupable.

— Ce n’est pas un acte de courage, c’était purement égoïste. Je ne voulais pas fuir seule, avec le poids de la responsabilité. Je ne peux pas. Et je ne pouvais pas laisser Bastien parce que j’avais besoin de lui. J’ai toujours eu besoin de lui. Je ne supporte pas la solitude, murmura Claire à regret.

Cécile éprouva une pointe de tendresse à l’égard de sa benjamine. Elle passa une main dans ses cheveux.

— Ne t’en fais pas, je reste avec toi. Je ne te quitterai pas, c’est promis.

Elles restèrent ainsi, dans le noir.

— Par notre faute, tu ne vois quasiment plus tes amis. Ils étaient gentils avec toi en plus. Je suis désolée.

— Oh, ça s’est passé comme cela, c’est tout. Tu ne vas pas te sentir coupable pour cela aussi, tu agis comme moi, là.

— Quand même, insista Claire. Et puis Maël t’aimait bien. Et toi aussi.

— Non ! Enfin, je ne crois pas. J’en sais rien. Il est très gentil, mais je n’étais pas très à l’aise avec lui. Je ne suis pas sûre de pouvoir aimer quelqu’un un jour. J’ai l’impression que mes relations ne dépassent pas le stade superficiel. Je suis peut-être un robot, qui sait.

Claire se redressa vivement, outrée d’une telle suggestion.

— C’est parce que tu ne te connais pas encore ! Tu te forces à ressembler aux autres pour leur plaire, donc forcément, tu ne sais pas ce que tu aimes ! T’inquiète, je vais t’aider, tu vas voir, on prendra le temps qu’il faudra pour te trouver quelqu’un de bien.

— On fait comme ça. Merci, sourit Cécile, en s’efforçant de transmettre sa reconnaissance au travers de sa voix. Dors à présent. La nuit va être longue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cagou0975 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0