Chapitre 13 : Tu la boucles et tu nous suis !
« Vous êtes aussi jeune que votre foi. Aussi vieux que votre doute. Aussi jeune que votre confiance en vous-même. Aussi jeune que votre espoir. Aussi vieux que votre abattement.
Si un jour votre cœur allait être mordu par le pessimisme et rongé par le cynisme, puisse Dieu avoir pitié de votre âme de vieillard. »
Être jeune, Douglas MacArthur
Il se réveilla en sursaut. Réprima à grande peine un cri et porta la main à son crâne douloureux. Les murs oscillaient d’avant en arrière dans un balancement qui le rendait malade et l’humidité s’insinuait dans ses os. Fermant les yeux, il tenta de rassembler ses idées en une pensée cohérente. Il avait été assommé. Et ils ne l’avaient pas raté, les salauds !
Il se concentra sur un point précis afin de stabiliser sa vision et s’appuya contre le mur pour pouvoir se redresser. Levant la tête, il s’effondra dans les filets d’une fille à la mimique délicieusement moqueuse. La chevelure brune délicatement enserrée dans un chignon à résille, le teint de pêche épuré par la sombre clarté de la lune qui se faufilait par la fenêtre ouverte, elle se tenait devant lui, accoudée contre le mur dans une posture nonchalante. Elle était tellement à l’aise que sa présence se révélait tout, sauf déplacée. Elle portait un jean basique en denim gris, un Tee-shirt dans les mêmes tons gris-bleus aux motifs géométriques complexes agrémenté d’une veste noire et les fameuses lunettes en vogue qui plaquaient sur toute personne une étiquette d’érudit, un air sérieux et cool à la fois. Elle ne détonnait pas, mais quelque part elle aurait très bien pu être vêtue d’une robe crinoline à froufrous extravagants sans paraître ridicule. C’était le genre de fille inaccessible, hors de toute réalité et pour qui tout s’ajustait ; on devinait sans peine que si elle devait se mouvoir, elle le ferait avec grâce et naturel. Limite si de sa bouche ne sortirait pas des diamants et des roses à sa première parole. Même si quelque part, l’éclat malveillant qui dansait dans ses prunelles démentait cette première impression. Des crapauds pouvaient bien en jaillir à la première occasion si l’on n’y prenait pas garde.
Quelque chose, son instinct peut-être, lui hurla qu’il s’agissait d’Elena, mais ce terme était trop lapidaire pour qualifier cette créature séduisante et horrifiante dont la vue le révulsait et le fascinait. Il ne savait pas s’il devait se ruer sur elle pour tordre ce joli cou de ses propres mains ou se limiter à la plaquer contre le mur afin de la dévorer de baisers et plus si affinités.
On aurait dit qu’elle le savait et qu’elle en jouait : son sourire s’élargit devant sa confusion et elle se fendit d’un petit rire perlé.
— Arrête de me regarder comme si tu voulais me déshabiller, voyons, tu vas finir par me faire rougir, roucoula-t-elle avec amusement.
Florian délirait, cette fille en était la preuve. Il ne comprenait pas les désirs contradictoires qu’elle soulevait en lui mais il était sûr d’une chose. Elle était une arme de destruction massive. Elle venait pour le tuer.
Éloigne-toi de cette garce tant qu’il en est encore temps ! Ne la laisse surtout pas t’approcher !
Comme si elle était vouée à contredire, Elena ondula avec grâce en direction de Florian qui ne pouvait se dérober, alpagué comme un papillon sur une épingle.
— Tu ne peux pas savoir à quel point cela m’avait manqué tout cela, murmura sa voix rauque. Je n’ai même pas envie d’en finir maintenant, continua-t-elle pour elle-même, avec nostalgie. Ce serait vraiment trop… dommage. Un vrai gâchis.
Le son enjôleur de sa voix s’enroulait autour de lui comme un serpent, se fondant sans aucune pudeur en lui-même.
— Tic-tac. Tic-tac. Le temps tourne, Florian. Tu m’appartiens et tu le sais.
Il tenta de la repousser et sa résolution vola en éclats, brisant en lui toute velléité de fuite. Il chancela, étourdi. Elle allait fondre sur lui. Il avait perdu avant même d’avoir essayé.
— Elle est occupée, je t’avais dit qu’il serait là, j’ai gagné ! lança un jeune homme longiligne en se hissant à la force de ses poignets par la fenêtre et tirant joyeusement sur une échelle de corde qui semblait s’être concrétisée, comme pour précisément embêter la jeune femme qui y grimpait à son tour mais plus lentement et avec nettement plus de difficultés.
— Laisse… moi… récupérer, haleta-t-elle, manifestement exténuée. C’est beaucoup… plus haut que… ce que je croyais, finalement.
— Petite nature ! C’est rien du tout 3 mètres ! Tu n’as jamais fait de l’escalade ?
La fille à la peau pain d’épice souffla à petits coups et remit de l’ordre dans ses épais cheveux ondulés en légers frisottis. Le garçon rit avant de réajuster ses lunettes et de s’intéresser à Florian en connaisseur.
— Laisse-moi deviner ! Toi, tu es Florian, pas vrai ?
— Quoi ? balbutia Florian, complètement à côté de la plaque et encore abruti de la créature qui venait de se dilater sous ses yeux.
L’inconnu poussa un soupir et de tourna vers sa compagne.
— On n’est pas couché.
— Tais-toi le rabroua la fille. Fais pas attention à Rémi, il raconte des conneries à longueur de journées ! assura-t-elle à Florian avec un sourire engageant.
— Et même la nuit, service gratuit ! On ne va pas trop s’éterniser dans le coin, l’heure tourne ! Mélissa, s’il-te-plaît ?
Comme un magicien tire un lapin des tréfonds de son chapeau, Mélissa lui tendit un harnachement complet d’escalade sorti de son sac à dos.
— Mais vous êtes qui ? Et comment vous êtes arrivés là ?
— On fera les présentations plus tard mon pote, interrompit Rémi en brandissant le harnais. Tu as le choix. Tu enfiles ça, ou alors tu te laisses glisser par cette échelle de corde, mais je te le déconseille vu qu’elle risque de se désagréger, si tu vois ce que je veux dire.
— Ben non, visiblement il ne voit pas, abrège ! coupa court Mélissa face à la réaction de Florian qui ne comprenait rien aux discussions en langue batave.
Rémi roula des yeux mais ne protesta pas, trop occupé à sangler Florian qui ne réagissait pas. Florian croisa le visage mobile de Mélissa qui le détaillait, manifestement songeuse. Et un brin dépitée.
— Vous n’avez personne qui matérialise, dans votre équipe ?
— Plus tard tes théories, Mel. On n’a plus le temps, il faut y aller.
— Aller où ? émergea Florian.
Rémi le regarda comme s’il était long à la détente.
— Le harnais, tu crois que c’est pour la déco ? interrogea-t-il, railleur.
Les roues tournaient de plus en plus vite dans l’esprit de Florian. En rappel. Il voulait le faire descendre en rappel.
— Il n’est pas question que je descende par ce machin !
— T’as une autre idée ? Je me doute que tu ne sais pas voler, ni même traverser les murs sinon tu te serais déjà tiré d’ici. Donc, tu la boucles et tu nous suis.
Florian resta immobile, n’en croyant pas ses oreilles. D’où sortait ce type ?
— Qu’est-ce que t’attends ? Tu boucles ta ceinture oui, ou non ? reprit le jeune homme, le fixant d’un air goguenard.
Florian déglutit. Il était tombé sur un rigolo kamikaze pour le tirer d’affaire. C’était bien son jour de chance. Il s’avança jusqu’au rebord de la fenêtre et risqua un coup d’œil : l’échelle de corde qui avait poussé telle la tige du haricot magique était toujours en place, même si ses contours devenaient nébuleux. Il s’en empara pour s’assurer qu’il ne rêvait pas et s’aperçut avec stupéfaction que sa main la traversait comme si elle allait se dissoudre dans l’obscurité, s’effritant peu à peu sous ses doigts.
— Tout se passera bien, j’ai apporté un équipement plus solide pour assurer ta descente, lui affirma Mélissa avec un clin d’œil entendu face à son air effaré.
— Non, attendez, je ne peux pas partir sans mes amis, ils doivent être encore ici ! protesta Florian une fois remis de l’effet de surprise. À vrai dire, plus rien ne pouvait le surprendre.
— On les a trouvés, ils étaient tous dans les entrepôts. Les autres s’en chargent.
— Les autres ? Attendez une seconde, vous êtes combien ?
— Tu crois vraiment qu’on allait se pointer à deux pour une mission de sauvetage de quatre inconscients ? lui demanda Rémi.
— Cinq !
— Peu importe combien vous êtes !
— On est venus à quatre ce soir, simplifia Mélissa, décidée à calmer le jeu.
Florian restait hébété, n’arrivant plus à suivre. Quatre pour ce soir... Parce qu’il y en avait d’autres ?
— Écoute, si tes potes sont aussi lents que toi, on en a pour le reste de la nuit, s’impatienta Rémi qui commençait à lui taper sur le système. Tu vas te décider à descendre ou faut-il que je te pousse ?
— Question bête : pourquoi ne passerait-on pas par cette porte ?
— Parce qu’elle est verrouillée, tiens ! C’est vraiment une question stupide !
Une clé tournant dans la serrure empêcha Florian d’apporter la réponse qui convenait dans ce cas de figure. Un jeune homme s’encadra dans l’entrebâillement de la porte, manifestement soucieux. Florian ne fut même pas surpris de reconnaître en lui l’individu s’appliquant maladroitement à consoler la fille qui pleurait, effondrée dans ses bras, le soir où il avait emmené ses sœurs au restaurant. Sans doute étaient-ce eux qui l’avaient repéré.
— Mélissa, on a un problème. Il y a en a un qui est inconscient, on n’arrive pas à le réveiller.
— Quoi ? brama Florian, paniqué.
— Eh, oh du calme, on s’en occupe, le tranquillisa-t-il avant de se reporter vers ses deux camarades. C’est du sérieux apparemment. On essaie de joindre Garance, elle va vouloir s’en occuper.
— Cela va être compliqué de la faire venir, Lucas n’a pas voulu s’en mêler, intervint Mélissa.
— Quelle surprise ! Cite-moi un truc pour lequel Lucas s’est senti concerné ces derniers temps !
— On peut très bien se passer de lui, il suffit qu’elle le récupère, décréta Rémi. J’imagine que vous avez déjà pensé à le déplacer ?
— Évidemment, mais tu sais comment va réagir Garance si on essaie. Elle prétend que c’est trop dangereux. Et là, vu l’état du gars, je pense qu’elle n’a pas tort.
— Très bien, génial ! soupira Rémi en se pinçant l’arête du nez, comme déjà exténué par l’ampleur de la tâche. Si on reste bloqués ici, autant créer une diversion pour les occuper sinon on va vraiment finir par se faire repérer s’ils décident de revenir !
— Léane est déjà sur le coup avec les éventuelles caméras de surveillance. Ça m’étonnerait qu’elles soient encore opérationnelles, mais bon, si cela l’amuse… Elle peut aussi s’occuper du reste.
— Qu’elle y aille mollo surtout ! Et dis à Garance de faire au mieux et au plus vite, on est légèrement pressés. Pour les autres, ça se passe comment ?
— Il y en a trois autres… Mais ils refusent de partir sans lui… et toi, ajouta le garçon en se tournant vers Florian.
— Dis-leur que j’arrive, je ne passerai pas par cette fenêtre, répondit celui-ci en se débarrassant de son baudrier.
— Pourquoi je ne suis même pas surpris ? soupira Rémi en dévisageant Florian. Vous m’avez l’air de têtes de mules tous les cinq. Quelle idée aussi de venir dans un endroit pareil !
Florian ne daigna pas lui fournir une explication, se contentant de lui opposer un silence défiant.
— Pourquoi vous ne m’avez pas fait passer par cette porte plus tôt ?
— Parce qu’elle était verrouillée, on avait pas la clef ! T’es sourd ou quoi ?
— Fais pas ton perdant, tu veux ? J’ai fini par réussir, je te remercie pour ta confiance, bougonna le nouveau venu, vexé. Pour info, ce n’était pas si long à reproduire, c’était une serrure vraiment basique. Mais bon, personne ne m’écoute jamais, c’est pas comme si j’avais l’habitude, hein… Et merci du soutien, Mel’.
— Elle a choisi de suivre le plan le plus simple, voilà tout. Il n’y avait aucune faille dans mon plan alors que le tien n’était même pas certain d’aboutir, pour commencer. Il s’agissait d’abord de vérifier qu’il se trouvait bien dans cette pièce.
— Ce n’est pas le moment de décider quel plan était le meilleur ! trancha Mélissa. Il veut voir ses amis, alors bougez-vous !
— Ok, Mélissa et moi on t’accompagne, décida Rémi. Clément, tu vas rejoindre les autres et Léane se chargera du guet et de la diversion. Le temps nécessaire que Garance nous recontacte.
— Léane va adorer, marmonna Clément. Je vais aller voir si elle n’en a pas déjà tué un. Sa conception de la diversion laisse à désirer.
— Tuer qui ? Il plaisante, j’espère ? s’inquiéta Florian.
— Oh, avec Léane, va savoir, sourit Mélissa.
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