Chapitre 13 (2/3)

10 minutes de lecture

Certes, Bastien était encore sonné. Sa tête voltigeait de temps à autre comme une toupie, et le coup qu’il avait reçu, combiné à sa gueule de bois n’apportait rien de bon à son estomac au vu des nausées qui l’assaillaient. Mais il n’était pas fracassé au point d’obéir à de parfaits inconnus et de décamper sans rien faire, pas tant qu’Arthur restait inconscient et qu’ils les empêchaient de le voir. Cécile s’était rangée à son avis. Quant à Claire, elle n’avait pipé mot mais se sentait pourtant concernée. Preuve étant, elle avait considéré la proposition de la fille de les escorter jusqu’à la sortie la plus proche en remarque insensée. Il faut dire qu’elle paraissait super motivée et totalement investie dans sa mission, la nana. Totalement sa propre réaction quand on lui demandait de ranger son foutoir. Quand le gars s’était pointé à nouveau et avait établi un rapport à la fille sur ce qu’on attendait d’elle, Claire s’était efforcée de rester imperturbable. Comme si elle se moquait totalement du fait qu’ils pouvaient tous les deux les abandonner là.

À la perspective de devoir jouer les trouble-fête, la fille, Léane, dévoila un sourire qui enflamma ses yeux d’une lueur meurtrière.

Elle est dangereuse celle-là, je préfère l’avoir dans notre camp !

Claire était on ne peut plus d’accord, d’autant plus qu’elle décelait en Léane une folie douce qui n’était pas pour lui déplaire.

— Rémi a bien précisé d’y aller mollo.

— Sans problème, je gère, certifia Léane. J’ai de quoi les occuper s’il leur prend l’envie de revenir dans leur repaire. Mais à mon avis, ils se sont déjà tirés à la recherche d’une autre planque. En tout cas, t’inquiète, je vais détruire cet endroit !

— En douceur, répéta le garçon, déjà plus incertain, tandis que Léane s’éloignait à grands pas avec une souplesse de chat conquérant. Je ne te parle même pas de discrétion, baragouina-t-il dans sa barbe.

— Hum… Cécile s’éclaircit bruyamment la gorge pour attirer son attention. Excuse-moi si je me répète, mais qu’est-ce qui te fais croire qu’on est assez stupides pour vous suivre sans savoir qui vous êtes ? Vous pouvez très bien faire partie de ces psychopathes qui s’acharnent à nous éliminer. Et tout ça serait un coup monté !

— D’abord, nous parler de confiance quand tu n’as même pas confiance en tes coéquipiers, c’est pousser mémé dans les orties.

Le jeune homme semblait intrigué par la remarque de Cécile, mais l’intervention de Claire parut, à l’inverse, l’agacer. Il claqua des doigts désapprobateurs.

— Pour commencer, on est en train de se décarcasser pour votre copain, au beau milieu de la nuit, moins d’une semaine avant un concours important. On prend de gros risques en plus.

— Laissez-nous le voir, pressa Cécile, le prenant au rebond. On sait ce qu’il a !

— Et nous aussi. On a même une spécialiste sur le coup. Enfin, j’espère.

— Oh chic, on va avoir le droit à une démonstration gratuite ? Le dîner est-il inclus dans le spectacle ?

Le garçon inspira à fond, s’interrogeant sans doute sur la réelle utilité d’une petite chose aussi insupportable que l’était Claire.

— Vous n’avez pas un bouton off pour celle-ci ?

— Bon courage pour le trouver, depuis le temps que je le cherche. Tu arrives à la faire taire et je te suis où tu veux.

— Pardon ?

— Mais pas sans Arthur ni Florian, précisa Bastien, inflexible.

L’homme s’attarda sur le visage de Bastien comme pour jauger sa volonté, hocha lentement la tête et esquissa un drôle de petit sourire face aux trois adolescents fermement décidés à s’attirer d’autres ennuis.

— Ouais, vous êtes vraiment des têtes de mules, pas de doute. Ça ne va pas nous simplifier la vie, tout ça.

— En attendant, on ne sait toujours pas qui vous êtes.

— Moi, c’est Clément.

— Ok, mais encore ?

— Tu ne sais vraiment pas quand te taire, toi, non ?

Claire croisa ses bras pour montrer sa désapprobation avant de se heurter à Florian, flanqué de deux autres hurluberlus. Il parut soulagé de les voir mais bondit sur l’essentiel sans même se charger des présentations.

— Où est-il ?

— Dans le deuxième entrepôt, là-bas, mais ils ne nous laissent pas le voir. Ils nous ont même virés de là sous prétexte qu’une fille va s’en charger.

— Et en quel honneur ? Vous êtes fous ?

— Vous pouvez parler, espèces de demeurés ! Vous aviez bu ou quoi ? Ou alors vous n’avez rien dans le citron, ce qui est pire ! Se balader dans un coin pareil, en pleine nuit, et décider sur un coup de tête d’aller visiter une planque de dealers ? C’est du suicide ! s’emporta Rémi qui semblait particulièrement remonté. Rassurez-moi, les gars, vous n’étiez pas au courant pour ce détail, n’est-ce pas ?

— Oh, si on le savait. Toute la ville le sait, marmotta Florian, soudain moins fier-à-bras, en glissant un regard du côté de Bastien. Lequel s’empressa de regarder ailleurs, en s’efforçant de ne pas paraître trop coupable.

— Moi je ne le savais pas, précisa Cécile. Est-ce que la police le sait, elle au moins ?

Claire lui lança un de ces regards faussement apitoyés que lui réservaient d’ordinaire les adultes et la jeune femme, Mélissa, lui en décocha un autre, incrédule. Plongé dans une intense réflexion, Rémi examinait Bastien à la dérobée.

— Et vous, vous venez d’où ? Qui vous a mis au courant ? interrogea prestement Cécile pour se rattraper.

— Plus tard les questions, éluda Mélissa. D’abord…

— Non, ça suffit maintenant. Comment pouvez-vous laisser Arthur seul et dans cet état dans cet entrepôt sans même nous permettre de l’évacuer ou de le voir ? attaqua Bastien.

— Vous êtes peut-être plus âgés mais on ne vous connaît pas et on ne vous fait pas confiance, un point c’est tout.

— Ils les ont déjà rencontrés, et plus d’une fois, apparemment, précisa Clément. Des psychopathes, qu’il nous appelle.

— Et on connaît bien les monstres aussi, ajouta Claire.

Rémi détacha son regard de Bastien pour les contempler tous avec effarement.

— Des croquemitaines, corrigea Cécile.

— Appelle le tien comme tu veux, ça m’est égal. Les Casper, les croquemitaines ou les Lébérous, ça revient au même.

— C’est quoi un Lébérou ?

Les trois nouveaux arrivants étaient soufflés. Cela se lisait clairement sur leurs visages.

— Mais vous sortez d’où ? articula Rémi.

— C’est à nous de poser cette question !

Florian avait du mal à suivre. Quelque chose ne tournait pas rond. Une tension anormale régnait dans ce couloir, comme remontant le long des épais cylindres chargés d’expédier les grains dans les différentes cellules de stockage. Il se prit la tête entre les mains, frissonnant instinctivement au contact familier de cette énergie qui se répandait dans ses veines sans qu’il ne parvienne à la maîtriser. Il comprit qu’il attirait automatiquement à lui les résidus d’une grande puissance à l’œuvre, avec un tout autre réceptacle que son propre corps. Florian perçut la masse énergétique qui s’amoncelait au-dessus de leurs têtes et comprit avant même de surprendre les crépitations des tubes de néon.

— À terre ! Vite !

Florian accrocha Cécile par le col et la fit s’accroupir derrière les tuyaux. Le reste du groupe ne se le fit pas dire deux fois. Rémi prit sauvagement Mélissa pour se réfugier avec elle derrière ce rempart, Bastien y entraîna Claire à leur suite. Clément les rejoignit avec un temps de retard, de mauvaise grâce.

— C’est bien trop tôt. Je n’ai même pas eu Garance, maugréa-t-il, renfrogné, en consultant son portable.

— Attention !

Des déflagrations électriques firent jaillir une flopée d’étincelles et de brasilles qui illuminèrent le réduit avant de s’éteindre en crachotements de feux d’artifice, les plongeant dans le noir complet. Clément activa la fonction torche de son portable, impassible.

— Chapeau, on avait bien précisé en douceur, pourtant, soupira Rémi en faisant de même. Ce n’était même pas nécessaire de saboter tout le réseau.

Un faible éclairage de sécurité s’alluma vaillamment après quelques ratés.

— Non, mais t’es pas bien ! Qu’est-ce qui t’a pris ! piailla Cécile hors de ses gonds en tabassant Florian.

— Ce n’est pas moi ! C’était… C’était volontaire, souffla-t-il, ahuri, alors qu’il ressentait encore la saturation électrique qui flottait dans l’air avant de se disséminer. Il devait se faire violence pour ne pas en ramasser quelques miettes mais il était mieux préparé pour résister à cet afflux sorti de nulle part.

— Comment ça ? Tu veux dire que ce n’est vraiment pas toi ? crachota Claire, très occupée à dégager ses cheveux du visage.

Florian secoua la tête.

— C’est une violente surcharge électrique qui a entraîné l’explosion. Quelqu’un… Quelqu’un s’est introduit dans le réseau. C’était Léane et sa diversion, ça ?

Florian se dirigea vers la lueur verdâtre que dégageait le portable de l’un des deux garçons pour demander confirmation. Rémi éleva l’appareil pour pouvoir mieux l’observer et lâcha un petit rire devant sa stupéfaction.

— Oui, c’était Léane, attesta Mélissa en se redressant à l’aveuglette quelque part sur sa droite. Tu devrais bien t’entendre avec elle. Je pense qu’elle aurait deux-trois bricoles à t’apprendre.

— C’est une catastrophe ambulante, ouais, marmonna Clément. Et en voilà un deuxième. Je sens qu’on va s’éclater. Elle ne pourrait pas nous allumer d’autres batteries de secours ?

— Elle est capable de faire ça aussi ?

Clément fronça les sourcils, manifestement surpris. La vibration de son téléphone le stoppa dans ses conjectures et son visage s’adoucit quand il avisa les coordonnées de l’appelant. Paradoxalement, Bastien remarqua que ce soulagement le vieillissait : il lui donna la petite vingtaine, l’étudiant en bout de courses, réussissant à conjuguer études, petit boulot, permis, recherche d’emploi, administratif… et occasionnellement les sauvetages nocturnes. Les dîners-spectacles avec tour de magie constitueraient un plus dans son CV. Si pas sérieux ni responsable, s’abstenir.

— Merci d’avoir répondu si vite, tu es géniale, tu sais ça ? lança-t-il avec enthousiasme.

Une voix féminine, calme et posée, s’éleva de l’appareil pour demander des explications.

— Je sais, je suis vraiment désolé de te le demander à une heure pareille, mais je ne le ferai pas si ce n’était pas important. On a besoin de l’évacuer mais j’ai pensé qu’on devrait attendre que tu interviennes… oui, évidemment que je m’en souviens, je me passerais d’une engueulade ce soir, c’est pour cela que j’ai insisté… Sans problème, fais comme tu le sens, je t’ai envoyé la géolocalisation précise. Par WhatsApp, Ganache, soupira-t-il avec une pointe amusée dans la voix. Tu es sûre que tu es bien réveillée ? Ok, Ok, désolé… Quoi ? Attends une seconde, je vais demander… Votre ami, il est comme ça depuis longtemps ? demanda-t-il à leur intention.

— Je ne sais pas, il a été assommé lui aussi, en même temps que nous, répondit Florian, tendu. C’est peut-être cela qui a provoqué…

— Non, je veux dire, depuis combien de temps il pratique l’ubiquité, et est-ce fréquent pour lui… est-ce que cela lui arrive souvent de rester aussi longtemps dans cet état ? récita-t-il en s’adaptant tant bien que mal au flot de précisions qu’attendait son interlocutrice.

— L’ubiquité ? Ce n’est pas de la bilocation ?

Clément eut un geste agacé de la main.

— Sept ans, le renseigna Bastien. Et il n’arrive pas toujours à le contrôler. Il se faisait attaquer en permanence.

Sans blague ? afficha le visage de Clément qui échangea un regard sombre avec Rémi sans le moindre commentaire. Mélissa émit un petit hoquet de surprise et détourna brusquement le regard quand Claire se tourna vers elle.

— Tu as entendu ? Depuis sept ans… Ça, je ne sais pas pourquoi, tu lui demanderas plus tard. Ah, ils sont cinq.

— Six, précisa Cécile par automatisme, Thomas n’a que onze ans.

Le visage de Clément se contracta un peu plus.

— Six, marmonna-t-il. Je sais, c’est dément… Mais si, fais-moi confiance, tu vas assurer… Mais si t’y arriveras. Oui… d’accord…, OK, on se tient au courant. Merci encore !

Garance ne pense pas que ce soit le coup qui ait provoqué son état, rapporta-t-il. Selon elle, il a sûrement volontairement choisi l’ubiquité pour se protéger.

— Se protéger ? Et de quoi ? Il y a un danger ? s’alarma Bastien.

— On sait pas et c’est justement cela qui l’inquiète. Et elle ne le montre pas, mais elle est paniquée à l’idée de ne pas parvenir à l’atteindre. Alors nous parler de confiance alors qu’elle est aussi bouleversée à cause de vous…

Clément s’interrompit et des cernes transparurent à nouveau sur son visage fatigué, veiné de bleu et de jaune dans la lumière que projetaient les issues de secours et l’éclairage de sécurité.

— Je crois qu’ils ont compris, modéra Rémi devant les mines déconfites de Bastien et Florian. Ils sont aussi inquiets que nous, n’en rajoute pas trop.

— On préfère être prudents, s’excusa Claire dans un filet de voix penaud. Vous surgissez de nulle part à notre rescousse sans nous donner d’explications.

— On répondra à toutes vos questions, affirma simplement Mélissa. Et vous répondrez aux nôtres parce qu’on en a des tonnes pour vous. Franchement, je ne sais pas où vous vous cachiez mais votre condition est vraiment particulière, là.

— Vous pouvez parler ! s’offusqua Bastien, sur la défensive.

— On est au point mort niveau conversation. On se calme, d’accord ? On se rappelle qu’on fait partie de la même équipe, on essaie de sauver votre ami.

— Quelle équipe ? grognassa Bastien, à cran.

Cécile le poussa du coude pour l’apaiser. Démarrer au quart de tour ne lui avait pas réussi jusqu’à présent.

— Elle va s’y prendre comment, Garance, pour réveiller Arthur en fait ?

— Elle va aller le chercher, tiens.

— C’est-à-dire ?

Rémi roula des yeux devant cette question bête. Claire écarquilla les yeux quand elle saisit.

— Vous voulez dire qu’elle va récupérer sa conscience dans la bilocation ? Sérieusement ?

*

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cagou0975 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0