Chapitre 13 (3/3)
Arthur flottait entre deux eaux instables, complètement paumé. La tête en coton submergée de souvenirs contradictoires qui n’étaient même pas les siens, il bataillait contre ses démons. À chaque fois qu’il refaisait surface, Arthur se retrouvait ligoté à une chaise. Sans rire.
Se faire assommer était une nouveauté pour lui. Si on excluait la bilocation du schéma, il n’avait jamais perdu conscience contre son gré jusqu’à présent. Et il ne le regrettait pas si c’était pour expérimenter ce genre d’expériences.
« Pourquoi c’est toujours moi qui finit par payer pour les erreurs des autres ? ».
Avant de devoir replonger parmi la procession de fantômes, il tenta de se libérer. En vain. Ces cordes n’étaient pas ordinaires. Elles l’enserraient sans le priver de la liberté de ses mouvements. Elles ne le maintenaient pas sur une simple chaise, ce n’était qu’une illusion métaphorique : elles le maintenaient dans la bilocation. Et il ne parvenait pas à se détacher. Plus il s’entêtait, plus il semblait s’enfoncer encore plus loin dans le néant. Et c’était toujours plus dur d’en ressortir. Ballotté par les flots, Arthur avait l’impression de lutter inutilement dans un courant de baïne, un de ceux qui emportait les nageurs imprudents le long des côtes de l’Atlantique.
Arthur en aurait pleuré s’il le pouvait. Il ne pouvait vraiment pas se permettre de se noyer. Pas dans ces conditions.
La vague reflua, Arthur remonta, chercha une corniche pour s’y suspendre… Et bascula à nouveau, désorienté. La foule de fantômes afflua. Ils s’accrochaient à lui, le meurtrissaient des souffrances qui leur avaient labourées cœur et esprit. Son âme recevait tant de coups qu’elle ne pouvait esquiver que les bleus l’envahissait pour le gagner, petit à petit. La perte d’un être cher, devant ses yeux et par sa faute-la trahison irréparable d’un ami-la douleur de se voir mourir à petit feu, rongé par le dégoût et la solitude-un sacrifice inutile face à une promesse non respectée-
Autant de coups bas et de coups de poignards de la faiblesse humaine en cascades, qui lui cassaient la tête, lui crevaient les yeux, lui sautaient à la gorge, lui broyaient les épaules, lui brisaient les côtes, lui fendaient le cœur, lui cassaient les jambes, lui tordaient les chevilles. Arthur perdit pied et sombra, emporté par la lame.
Une ombre atterrit avec légèreté à ses côtés et le retira brutalement de l’onde pour le jeter sur la plage, en sécurité. Arthur reprit conscience sur la chaise qui le retenait prisonnier. La silhouette s’affairait en silence et s’acharnait sur les cordes qui refusaient de céder.
Une vague le heurta, et recommença la valse des spectres, tel un refrain implacable. Sauf que l’ombre l’accompagnait. Elle les écartait férocement de leur trajectoire, les empêchant de s’approcher. Beaucoup la traversaient sans même chercher à l’importuner. Évidemment, c’était lui qu’ils voulaient, ils étaient dans son cerveau après tout.
Elle se tourna vers lui et l’espace d’un instant dessina ses traits alors qu’elle entrait en contact avec lui.
Une fille. Cécile ?
Il va falloir que tu te réveilles, et vite. C’est parce que tu restes inconscient qu’ils t’attaquent ainsi.
La fille plissa le nez, ferma les yeux un instant et brandit une sorte d’épée courte d’infanterie comme si c’était l’arme la plus naturelle pour combattre un escadron de fantômes coriaces.
Reprends-toi, je ne vais pas pouvoir les tenir à distance très longtemps !
Elle bondit et virevolta, retombant sur ses pieds pour repartir à l’assaut dans une pirouette défiant les lois gravitationnelles.
Indubitablement, ce n’était pas Cécile. Ses mouvements étaient beaucoup trop fluides et elle connaissait suffisamment le terrain de chasse pour ne pas en être gênée. Autre détail révélateur, l’interconnexion qu’il ressentait avec cette fille se passait de paroles, contrairement au dialogue qu’il avait instauré avec Cécile lorsqu’il s’était projeté dans son inconscient. Là, c’était la fille qui avait surgi dans le sien.
Elle maniait la bilocation, et depuis un petit bout de temps. Et elle avait été dépêchée du XIXe siècle pour le sauver, selon toute apparence.
Arrête ton char et réveille-toi !
Tu en as de bonnes, tu ne vois pas que je suis attaché ?
D’un coup sec, elle le balança sur la chaise et se campa devant lui, désignant ses liens. Son épée avait disparu, comme si celle-ci ne pouvait survivre aux rivages de la semi-conscience.
Je ne peux pas briser ces cordes pour toi. Comme tu t’es fait assommer, ton inconscient a dû se persuader que tu étais en danger et tu t’es réfugié dans cet espace. Tu t’es même attaché tout seul pour t’empêcher de revenir. Mais on ne peut pas rester indéfiniment ici. Si tu ne te libères pas très vite, tu vas finir par te faire engloutir par l’abîme et je ne pourrais rien pour toi. C’est vraiment ce que tu veux ?
Non, ce n’était pas ce qu’il voulait. Mais en même temps, à quoi bon se battre sans arrêt contre un ennemi bien trop puissant pour lui ? Arthur n’en avait plus la force nécessaire, ni même la volonté. Il était épuisé, il avait mal. Il préférait se laisser porter, quitte à se laisser couler, et tant pis. Ce serait toujours mieux que d’affronter les affres de la réalité et le lot quotidien des petites morts dont il avait été témoin. Rien que ces visions étaient suffisantes pour le convaincre de rester.
Imbécile ! Ne te laisse pas avoir, il faut que tu te battes !
Elle se dressa contre la houle qui revenait et s’imposa pour leur éviter d’être expédiés une nouvelle fois. Elle devait dans le même temps retenir Arthur pour éviter qu’il ne s’y engouffre de lui-même la tête la première. Les efforts qu’elle fournissait étaient conséquents, elle n’allait pas pouvoir suivre le rythme bien longtemps et encore moins les sortir d’ici. Elle ferait mieux de laisser tomber. Ça n’en valait même pas la peine.
Elle chavira sous le choc et ils s’immergèrent. La fille grogna pour sortir son épée, avec beaucoup plus de difficulté que la première fois. Elle la fit tourner d’un mouvement presque interrogateur, circonspect. L’épée semblait davantage émoussée, de même que sa résistance. Elle décima quelques têtes, survoltée, mais un spécimen lui sauta dessus pour lui inculquer l’appréhension de l’échec. Elle gémit, ploya sous la morsure et tomba à genoux, baissant sa garde.
Un autre en profita pour tomber sur Arthur. L’abandon et les séquelles douloureuses qui en découlaient remontèrent à sa mémoire. Arthur se remémora en un flash assourdissant la fuite de Matthias dans toutes ses petites lâchetés quotidiennes, en public, et le laisser-aller progressif de ses parents à son égard, même en privé. Cela faisait encore plus mal. Il geignit, désemparé, et son regard se posa sur la jeune fille qui ramassait son épée pour se poster devant lui. Était-il en train de l’abandonner à son tour ? Après les risques qu’elle prenait pour quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas ? Arthur ne savait même pas si elle était réelle ou d’une autre temporalité. Était-ce une raison valable pour lâcher prise et la laisser succomber, seule ?
Non, il ne le pouvait pas.
Arthur s’ébroua. Il la projeta hors de son abysse infernal et s’y expulsa à sa suite. Il roula à terre loin de la chaise, loin des cordes qui gisaient à terre. Elle le contempla, effarée.
Quelle est la prochaine étape déjà ?
Se débarrasser de tes potes, là
Derrière eux surgissaient d’autres formes moins fantasmagoriques, plus concrètes. Comme si elles voulaient concrètement les garder ici.
Oh… Ces potes là… C’est fou ce que notre inconscient peut être protecteur, hein ?
Ouep. À nous en étouffer. Tu ne dois pas être très convaincu que tu ne risques rien avec moi, railla-t-elle.
Peut-être mais je prends le risque. À tel point que je vais te laisser nous tirer de là pendant que je nous débarrasse de ces trucs
Elle hésita.
Trop dangereux. Je risque de te perdre en chemin. On se débarrasse de ces bestioles et ensuite je te remonte
On n’a pas vraiment le choix, il faut que ce soit moi qui le fasse, ils ne me laisseront pas partir si c’est toi qui attaques, ce serait de la légitime défense. Et une preuve supplémentaire pour eux que tu es la méchante Je n’ai pas d’épée ou de cimeterre mais je me débrouille plutôt bien, du genre jujitsu.
Va d’ailleurs falloir que tu m’expliques comment tu as pu te balader librement pendant sept ans sans que l’on se croise dans le coin ces trois dernières années. Et ce n’est pas vraiment mon épée, je l’ai empruntée
Je ne comprends rien à ce que tu racontes, c’est oui alors ?
C’est non.
Tu n’auras plus d’énergie pour nous faire réintégrer nos corps et tu peux encore moins te battre et nous ouvrir la voie en même temps, si ?
Elle sembla peser le pour et le contre. Arthur ne lui laissa pas le temps d’objecter.
Promets-moi juste une chose. Ne me lâche pas, je ne veux pas me retrouver coincé avec eux.
Il se lança dans cette guerre sans merci contre lui-même. Évita la première créature, se prit la deuxième de front, ne put contrer la troisième qui le renversa brutalement à terre. Une brûlure lui traversa le corps. Il crut qu’il pouvait hurler en toute absence de logique. Il se sentit soulevé de terre et aspiré avec virulence, sans préavis. Puis son corps se solidifia avec violence autour de lui et Arthur s’évanouit, dans un cri muet, incapable de supporter la douleur.
*
— Silence ! C’est Garance, taisez-vous tous !
Clément installa son portable en mode haut-parleur. Tout le monde se pressa autour de lui, attentif.
— Garance, tu m’entends ? Tu n’as rien ?
— Ça…va, haleta une voix dénuée de timbre qui démontrait clairement que non, ça n’allait pas tant que cela.
Et lui… Il va bien ? Je crois… que… j’ai réussi… La vache…
Garance émit un râle inquiétant que Florian, Cécile et la fratrie Bral ne captèrent même pas, se ruant en bloc vers l’entrepôt.
— Attendez un peu, c’est dangereux ! clama Mélissa en se lançant à leur poursuite.
— Arthur ! Arthuuur !!! hurla Claire en tamponnant la porte sectionnelle de ses poings nus.
— Où est la fichue ouverture ? cria Bastien sur le même ton en tâtonnant la paroi, fébrile.
— Grouillez-vous, amenez la lumière par ici ! rajouta Cécile, hystérique.
Mélissa s’exécuta d’une main tremblante, un regard en arrière.
— Garance…
— Garance ! Garance, réponds-moi, je t’en supplie, qu’est-ce que tu fais ?
Clément courait vers eux en braillant dans le téléphone. Garance ne parlait plus mais respirait péniblement dans le combiné. En quelques enjambées, Rémi accourut à sa hauteur et s’empara du portable.
— Ressaisis-toi, enfin ! Tu nous fais quoi ?
— Rien… Je me… reprends, chef. Ça va mieux. Garance expira bruyamment. Et Arthur ?
— T’en fais pas pour ça, on vérifie. Tu es sûr que tu vas bien au moins ? Tu n’en as pas fait trop ?
Mélissa était tout en reproches maternels et se tordait les mains de nervosité. Clément et elle s’étaient groupés autour de Rémi qui paraissait lessivé après tant de pression de la part de son lieutenant.
— Juste ce qu’il fallait. Dites-moi… s’il n’est pas…
Claire cria son désespoir derrière eux. Le trio de sauveteurs se retourna : Bastien et Cécile secouaient Arthur qui ne bougeait pas, toujours dans les vapes. Florian les héla d’une agressivité accablée.
— Que se passe-t-il ? C’est quoi, ça ?
Rémi s’approcha avec circonspection. Il braqua la lumière sur Arthur, Mélissa et Clément en firent tout autant, révélant l’étendue des dégâts. Des bleus et des meurtrissures multiples apparurent sous les lampes torches et galopèrent le long du corps d’Arthur en langue de feu ravageur, dévoilant son visage tuméfié, son cou meurtri, ses bras et jambes griffés et lézardés avec brutalité.
Rémi retint un juron à grande peine, sans doute par égard aux plus jeunes.
— Garance, il s’est fait battre ? Il en a sur tout le corps !
— Il s’en est tiré, soupira-t-elle, soulagée. Il en a bavé, c’est sûr. Mais ce n’est pas grave, les blessures vont vite disparaître.
— Mais elle est malade ! vociféra Bastien en se précipitant sur eux. Tu te fiches de qui, là ? Ce n’est pas grave ?
— Eh, tu continues sur ce ton, je t’en colle une ! le repoussa sèchement Clément. Elle a risqué ta vie pour ton pote, alors tu la mets en sourdine !
— Laissez-la s’exprimer, rembarra Rémi. Il considéra la fureur de Bastien avec une moue perplexe. Garance, tu peux continuer, adjoignit-il sans quitter Bastien des yeux.
— C’était bien ce que je craignais en définitive. Je m’en doutais quand tu m’avais dit qu’il avait été assommé, Clément. Il s’est automatiquement enfermé pour se protéger de vos assaillants. C’était une sorte de mécanisme d’auto-défense élaboré par son esprit et il s’est retrouvé piégé. Son âme en a pris un bon coup, les fantômes nous sont tombés dessus. Puis son inconscient s’y est mis quand on a voulu s’échapper, il devait me considérer comme une intruse. C’est pour cela qu’il a plein de cicatrices sur son corps. C’est plutôt bon signe qu’elles apparaissent : il est en train de réintégrer son corps. Il devrait se réveiller après cela.
— Cela va prendre combien de temps au juste ?
— Cela dépend. Ça pourrait être très rapide ou un peu plus long, je ne sais pas trop. Il a juste besoin de beaucoup, beaucoup de repos, c’est tout. Et moi aussi, d’ailleurs.
— Merci, mon Dieu.
— Merci infiniment, Garance.
Bastien roula des yeux interdits en direction de Cécile et Claire qui venaient de remercier avec un élan de profonde reconnaissance la jeune femme. Cécile lui adressa en retour un regard noir, lui imposant de s’excuser à son tour et plus vite que cela.
— Merci. Beaucoup ! s’enhardit Florian avec ferveur, ce qui ne laissait plus grande échappatoire à Bastien. Il céda de mauvaise grâce.
— Ouais… Merci. Et désolé.
— Votre copain est vachement courageux. Ce n’est pas donné à tout le monde de se libérer de ses propres prisons comme il l’a fait. Et dites-lui bien que je le remercie, aussi. Il avait raison. J’ai eu énormément de mal à revenir. Si je ne l’avais pas écouté, vous n’auriez peut-être pas eu mon appel.
— Ne dis pas ce genre de bêtises ! la réprimanda Mélissa en se haussant sur la pointe des pieds pour se rapprocher de la portée de Garance. Repose-toi et puis c’est tout !
— Bien Maman ! Non sans blague, je raccroche. Je passerai vous voir quand j’aurai un billet. Et les nouveaux, j’aurai beaucoup de questions pour vous, alors préparez-vous.
Garance raccrocha. Clément hocha sobrement la tête en regardant Arthur et le désigna à tous, tout content de leur prouver les dires de Garance.
— Regardez, elle a raison. Ce n’était pas la peine de s’énerver comme cela, les gars.
Les blessures, auparavant nombreuses, s’étaient réduites à peau de chagrin et la plupart s’étaient déjà éclipsées promptement, sans laisser de traces. Claire se laissa glisser au sol, flageolante, et s’empara de la main d’Arthur dans un sanglot de soulagement.
— Il a l’air de se régénérer rapidement, on a de la chance. Va savoir ce qu’il a enduré, là-bas, commenta Rémi.
— Je vais les tuer, marmonna Florian, sans même savoir de quoi il s’agissait mais prêt à dégommer sur son passage toute bande de fantômes nuisibles.
— Vous avez une idée du nombre de personne que vous avez mis en danger à cause de vos conneries, vous deux ? C’est moi qui vais vous tuer ! sauta Cécile, irritée.
Bastien avait la décence de paraître écrasé sous le poids de sa faute, agenouillé auprès d’Arthur pour vérifier l’avancée de sa guérison miraculeuse. Sa première cuite resterait à coup sûr dans les annales.
— Doucement, Léane peut s’en charger à ta place si tu as des scrupules. Elle va vous défoncer quand elle apprendra ce que vous avez infligé à Garance, petits imbéciles. Vous pouvez vous estimer heureux qu’elle n’ait pas été là, en direct, fit remarquer Clément, réprobateur.
— Pourquoi elle traîne autant d’ailleurs ? Elle n’a quand même pas osé rentrer chez elle ?
— Tu as vu un peu les chaussures qu’elle portait ? Elle n’est pas prête de nous rejoindre, ironisa Mélissa.
— Tss, vraiment.
Rémi s’accroupit et observa le tableau qu’ils formaient au chevet d’Arthur.
— Je crois qu’on peut maintenant le déplacer sans danger. On va vous ramener. Vous n’avez pas de parents à prévenir, dites ?
— Ils nous ont piqués nos portables de toute manière.
— J’ai une voiture, il n’y a pas besoin de nous ramener, grommela Florian qui aidait les filles, dont Mélissa, à transiter Arthur sur le dos de Bastien.
— On ne peut pas ramener Arthur chez lui dans cet état, voyons !
— On n’a qu’à l’emmener chez nous alors. Il rentrera demain s’il est sur pied ou alors il téléphonera à sa famille de chez nous.
— Et sinon, c’est qui le chef dans votre groupe ? intervint Rémi.
— Parce qu’il en faut un ? aboya Florian, pressé de se débarrasser de ces zouaves.
— Pas forcément. On va dire celui qui est le plus expérimenté, le plus responsable ou le mieux renseigné. Alors, c’est qui ?
Dans un même ensemble, ils désignèrent Arthur sans même interrompre leur transfert délicat.
— Eh ben, c’est très prometteur tout ça.
— Tu ferais mieux de te taire et de nous aider, coupa Mélissa. C’est moi la plus âgée mais j’ai eu le malheur de me décharger sur Rémi de temps en temps et depuis il a attrapé la grosse tête.
— Dis plutôt que tu n’aimes pas diriger. Et vous êtes bien contents que je sois là pour prendre des décisions quand il y a besoin.
Mélissa et Clément ne nièrent pas. Les autres ne l’écoutaient pas, trop préoccupés par Arthur, et pour tout dire, ils s’en moquaient totalement, de leur mode de fonctionnement.
— Vous comprendrez bien vite comment marche Rémi, sourit Mélissa d’un ton avenant en se relevant une fois les dernières vérifications achevées.
— On ne veut pas comprendre, corrigea Florian. Très honnêtement, je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour nous ce soir, mais j’espère qu’on n’aura pas à se rencontrer de nouveau.
Plaf !
Quelque part, non loin de là, Léane venait de s’étaler et tentait de se dépêtrer à grands renforts de vocabulaire très fleuri. Clément se porta volontaire pour aller l’aider, ne serait-ce que pour échapper à la salve meurtrière que s’échangeait Rémi et Florian.
— Mais enfin Léane, tu ne pourrais pas regarder où tu mets les pieds ?
— Je voudrais t’y voir te balader en talons !
— Mais quelle idée de venir en talons justement ? Tu n’as rien dans le crâne !
— J’étais à une soirée danse et je n’ai pas pris le temps de me changer à cause de ces idiots ! clama la voix rauque de Léane en toile de fond. Vous l’avez sauvé, ça y est ?
— Ouais, si on veut. C’est juste que Garance…
— Si elle a réussi, super, bravo, formidable ! Ramène-moi à la voiture, je n’en peux plus. Éclaire-moi, je ne vois rien du tout !
— Juste, arrête de hurler, dit simplement Clément, nullement démonté. Appuie-toi sur moi… Voilà. On vient de se prendre un vent de toute manière, alors je crois qu’ils n’ont plus besoin de nous dans les parages.
— Un vent ? Après ce qu’on vient de faire pour eux, ils nous rejettent comme de vieilles chaussettes ?
— Amène-toi, on y va.
— Et Rémi a laissé passer ? C’est pas possible, je vais vérifier… Non, attends… Aïeuh, tu vas trop vite !
— C’est toi qui voulais rentrer, dépêche-toi…
Leur conversation diminua d’ampleur et se perdit dans un brouhaha indistinct. Dans le silence épais qui régnait dans l’entrepôt, Arthur remua dans un semblant de plainte.
— Tu y es allé un peu fort.
Bastien se leva précautionneusement, attentif à protéger Arthur des secousses. Mélissa se délesta sans regrets de sa veste pour la caler sur lui.
— J’ai dit ce que je pensais, c’est un crime ? répliqua Florian.
— C’est tout simplement le summum de l’ingratitude, voilà ce que c’est ! grogna Rémi.
— Je t’en prie, mets-toi un peu à leur place…
— On ferait mieux de s’en aller puisqu’on les gêne tant ! Et j’imagine que vous êtes trop fiers pour accepter notre proposition de vous aider à le porter jusqu’à votre voiture.
— Rémi…
— Exactement, grinça Florian.
— Florian…, enclencha Cécile.
— Passe devant, Florian, je te suis, déclara Bastien pour contrer une autre joute dérisoire.
Il s’engagea dans l’ouverture. À son passage, Rémi le retint un court instant. Il le scruta avec intensité, comme s’il ne parvenait pas à le remettre, à la lueur conjointe de la lampe torche et du faible rayonnement de la lune.
— On ne s’est pas déjà croisés quelque part ?
— Pas que je sache, non.
— Tant pis. Prenez soin de votre copain à l’avenir. Et faites attention à vous, on ne sera pas toujours dans le coin.
— On se débrouillera.
Rémi n’en semblait pas persuadé mais s’effaça pour le laisser passer. Mélissa tira Cécile à part avant qu’elle ne franchisse le seuil.
— Si jamais vous avez un jour besoin de nous, n’hésitez pas à venir nous voir, au cas où. Rémi a un caractère pénible mais il ne vous laissera pas tomber. On a une maison sur l’avenue Carpentier, au 15. Tu n’oublieras pas ?
Cécile lui serra chaleureusement la main.
— Merci. Je reviendrai te rendre ta veste.
Mélissa lui sourit. On devinait en elle une profonde sincérité.
— Je te la donne, ne te sens pas obligée de revenir pour ça. Venez si vous en avez envie. Le petit aussi. Vous serez les bienvenus.
Mélissa voulut rajouter une dernière chose mais se ravisa. Cécile était attendue.
Bastien et Claire s’affairèrent à préparer le siège d’Arthur et à l’installer entre des parapets de fortune composés des multiples coussins. Quand Claire se pencha pour l’attacher, il entrouvrit ses paupières mi-closes et bredouilla le prénom de Garance, avant de replonger dans le sommeil. La main accrochée à sa ceinture comme à une bouée de sauvetage.
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