Chapitre 15 (4/4)
Au tapis une nouvelle fois, Bastien enrageait. Rémi relâcha légèrement la pression pour le laisser respirer. Mais maintint quand-même son bras sur sa poitrine.
— Remue-toi, on ne va pas y passer la journée. Je suis certain que tu peux faire mieux que cela.
— À quoi ça rime ? cracha Bastien, en sueur.
— Allez debout ! Il t’en faut bien plus pour te vider. Prends ta revanche, crache ton venin sur moi si ça peut te défouler. C’est mieux que sur quelqu’un d’autre, pas vrai ?
Furibond, Bastien enroula le bras de Rémi autour du sien pour le tirer à lui et le faire chuter en avant tandis que ses jambes cherchaient à se projeter par-dessus son épaule. Comme s’il l’avait vu venir, Rémi accompagna le mouvement pour transformer cette chute en dégagement sur le côté. Il s’esquiva rapidement, de sorte que les jambes de Bastien se refermèrent sur le vide. Emporté par l’élan, Bastien roula sur le côté et se releva, toujours aussi frustré. Rémi l’attendait, debout, un sourire mesquin devant son exaspération. Bastien rugit, s’élança sur lui en tentant un crochet à la figure. Rémi fut plus rapide : tête baissée, il se colla directement contre lui pour le déséquilibrer, enserra ses bras autour de ses cuisses, le souleva et le jeta à terre dans un grand mouvement de balancier. Il replia ses jambes contre sa poitrine avant d’y appliquer son propre genou. Encore.
— Quand tu en auras marre, fais-le-moi savoir.
Les yeux de Bastien renvoyaient des éclairs. Il tenta de s’échapper mais Rémi l’immobilisait solidement.
— T’es pas du genre à abandonner, tu es plutôt coriace, dis-moi. Ça n’a pas dû beaucoup t’aider cela dit. Bien au contraire.
— Mais qu’est-ce que je t’ai fait ? éructa Bastien, acariâtre.
— Rien du tout, t’occupe. T’as les idées plus claires déjà, non ?
— Quoi ?
Rémi approcha son visage tout près du sien et le scruta avec attention.
— Je ne suis même pas sûr de t’avoir déjà croisé, alors pourquoi ai-je cette impression persistante de déjà-vu ? Tu ne peux pas me donner un indice ? Ça m’énerve, là. Peut-être parce que toi et moi on est pareils…
Bastien n’avait aucune intention d’être pareil. Bastien se moquait de son déjà-vu. Bastien voulait le défoncer. Comme s’il avait lu dans ses pensées, Rémi recula, manifestement déçu de son attitude.
— Ce n’était pas dans un rallye, en tout cas. Même si ton arrivée était sur les chapeaux de roues ! Pour ce que tu t’en rappelles, de toute façon… Tiens, je parie que tu ne te souviens même pas comment tu as atterri dans cette pièce. J’ai presque dû te hisser sur mon épaule pour te faire descendre les escaliers. T’aurais vu la tête de Mélissa quand elle nous a vus passer. Ça va un peu mieux maintenant ?
— Je vais assez bien pour te casser la figure.
Bastien bondit. Et enchaîna les coups. Encore et encore. Il stoppa, déstabilisé : Rémi ne lui rendait aucune de ses frappes, se contentant de les parer à la dernière minute. Il évitait tout bonnement la confrontation, le laissant se déchaîner de tout son soûl.
— À quoi tu joues ?
Rémi laissa retomber sa main, finalement rassasié.
— Eh ben voilà, il utilise ses méninges, on y arrive.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Je crois que c’est bon là. Tu n’as plus de vertiges, de maux de tête ou l’envie de dégommer quelqu’un à main nues sans réfléchir. Pas vrai ?
Bastien retint son souffle quand il comprit qu’il avait raison.
— Et alors ? le défia-t-il avec morgue, refusant de s’écraser.
— Tu sais ce qui nous caractérise nous deux ?
— C’est quoi cette question débile ?
— Réponds-moi, le somma Rémi. Qu’est-ce qui nous rend si extraordinaires à ton avis ?
C’était vraiment une question bidon.
— J’en sais rien, moi. La force, l’agilité, ou les réflexes. Peu importe.
— Perdu. C’est bien ce que je pensais.
— Quoi ?
Bastien était largué. Et Rémi ne se pressait pas pour développer.
— C’est quoi alors ?
Très pondéré, Rémi prit son temps, comme pour le faire poireauter à escient. Il se déplaça vers un placard pour récupérer une serviette qu’il lui lança. Bastien piaffa, sa patience était en lambeaux. La serviette était la prochaine sur la liste.
— Tu vas répondre, oui !
— Ça t’est déjà arrivé de perdre le contrôle sur tes actions et tes émotions ? Comme si tu n’étais pas toi-même. Ou comme si tu aurais très bien pu tuer quelqu’un si on t’en avait laissé la possibilité ?
Oh oui… Et pas qu’une fois.
— Qu’est-ce qui nous caractérise ? demanda à nouveau Bastien, la bouche soudainement sèche.
— L’adrénaline. Tu sais, cette hormone secrétée dans le sang en cas d’émotions violentes comme la peur, le stress ? Ou la colère. Notre organisme réagit pour pouvoir nous permettre de gérer le danger et s’adapte en conséquence. Tu connais la plupart des symptômes, je ne vais pas te faire un topo.
Bastien ne s’y attendait pas. L’adrénaline. C’est une blague ?
— Surprenant, hein ? L’adrénaline, ça n’a rien de magique. Ça paraît beaucoup moins impressionnant par rapport à ce que tes potes peuvent faire, c’est sûr. Parce que toi et moi, on n’est pas des surhommes dotés de superpouvoirs. On ne sera jamais aussi forts que des athlètes professionnels, alors si tu comptais là-dessus, oublie.
Rémi lui tourna le dos pour farfouiller à nouveau dans le placard à la recherche d’une autre serviette.
— Tu es en bonne condition physique, c’est l’unique raison pour laquelle tu te débrouilles. Tu ne fais que suivre ce que te dicte ton instinct et tes réflexes de survie, c’est tout.
Bastien se retint de lui sauter à la gorge, d’autant plus qu’il constituait une cible facile de cet angle. Trop facile justement. Cela tient plus d’une mise à l’épreuve, gamin. Ne te laisse pas avoir.
— Mais ce qui nous différencie vraiment des autres, c’est que notre corps génère de l’adrénaline beaucoup plus fréquemment et de manière excessive. N’importe quelle contrariété peut la déclencher. Surtout si on est caractériel, comme c’est ton cas, ajouta-t-il d’un ton clairement désapprobateur en se tournant vers lui.
Et l’envie de meurtre ? Est-ce que cela déclenche l’adrénaline, des envies de meurtre ?
— Cette serviette ne t’a rien fait, Bastien.
" Tu sais le mythe typique de gens capables de soulever des véhicules pour sauver les personnes qu’ils aiment, alors que cela paraît impossible en temps normal ? C’est ce qu’on appelle la force hystérique, une force supplémentaire, presque surhumaine. Ce qui la provoque, c’est un afflux d’adrénaline. Mais alors que ce phénomène reste rare, nous y accédons beaucoup plus facilement, à cause de cette production élevée en nous.
"Ça te donne la sensation d’être invincible, au point de ne même plus ressentir la douleur. Tu pourrais te convaincre sans problème que tu es capable de sauter d’un toit sans la moindre égratignure. Pourquoi ? Parce que la force hystérique bloque temporairement ta conscience pour basculer en mode instinctif et te débarrasse de la peur qui te ferait raisonnablement penser que c’est tout simplement du suicide. Et c’est ça qui nous rend extrêmement dangereux. Peut-être plus que les autres au final. Car si elle t’empêche d’avoir des doutes, elle te prive aussi de contrôle. Et quand on ne maîtrise plus rien… Tu connais la suite, non ?
Bastien était un expert en la matière, il visualisait très bien la suite. Tout ce qu’il avait provoqué. La frontière qui le séparait de l’aliénation bestiale dans ses débordements était parfois bien mince et il avait même flirté avec cette limite. Au point de ne plus pouvoir la discerner. Claire en avait même été témoin. Théo aussi, dans un autre temps. Arrêter le sport en option avait été instinctif, comme soufflé par sa petite voix intérieure. Mais ça avait également été un acte de survie. Et il ne s’en apercevait que maintenant.
Rémi se tut un instant, voyant que l’idée se frayait un bonhomme de chemin dans sa tête.
— Tu l’as vu par toi-même. On peut facilement en devenir fou.
— Mais alors, tout à l’heure…
— Justement, tiens, je suis content qu’on en parle.
Sans préavis, Rémi plaqua Bastien au mur.
— Décider de conduire pour échapper à ce monstre était de la folie pure, j’espère que tu t’en rends compte, petit con ! explosa-t-il.
— Qu’est-ce que j’aurais dû faire d’autre ? se défendit Bastien en se tortillant. C’était cette fille, là.
Elle menaçait Florian, je n’allais pas la laisser agir sans rien faire ! J’ai juste tenté de lui rouler dessus, et après… Après…
— Après t’as perdu les pédales, compléta Rémi à sa place. Et le pire, c’est que tu ne t’en souviens pas. Ah bravo ! Ça t’a mis en colère qu’elle menace ton copain ? Tu voulais la tuer ? Hein ?!
— Oui, râla Bastien alors que Rémi affermissait sa prise. Lâche-moi !
— Pas avant d’être sûr que tu aies bien pigé le truc. Situation de stress combinée à haine égale sortie de piste, vociféra le jeune homme. Tu étais tellement saturé d’adrénaline que tu aurais pu imploser, tu as compris ?
Bastien cessa de lutter.
— J’ai compris. Je suis vraiment désolé.
Rémi dut lire sa sincérité dans ses yeux car il le délivra, subitement radouci. Bastien glissa à terre, meurtri.
— Petit imbécile. Tu crois que c’est par sadisme que je te traite ainsi ? Que je t’ai fait faire tous ces exercices pour rien ?
— Non, souffla Bastien. Merci.
— Tu n’as pas les bases. Il faudrait que tu réapprennes à connaître tes limites, à canaliser ton énergie pour pouvoir la contrôler avec « ça », dit-il en se tapant le crâne. Tu en es encore au stade où tu la dépenses sans même réfléchir.
Bastien ravala sa fierté puis releva la tête.
— Tu m’apprendrais ?
Rémi lui tendit le bras que Bastien accepta sans hésiter.
— Tu ne peux maîtriser sans la pratique. On va commencer par un exercice très simple, un jeu assez populaire dans un certain milieu. T’as déjà fait de la colo ? demanda-t-il, savourant sa réaction.
Quand les autres finirent par les rejoindre, ils débutaient la troisième partie du « jeu de colo » que Claire reconnut d’emblée malgré la variante, un brin plus violente.
— C’est… c’est le ninja ? s’extasia-t-elle, toute excitée comme une gamine de 6 ans.
Mathieu lui retourna son sourire flamboyant.
— T’as reconnu ?
— Comment je pourrais oublier ?
— Tu connais le principe ? interrogea Clément.
— Bien entendu ! Mon frère nous en faisait faire, gamins !
— Ouais… Pas cette version, je pense. Rémi l’a un peu adaptée à sa sauce.
— Quel est le but de ce jeu ? interrogea Cécile, perdue.
— À la base, les joueurs sont censés toucher la main de leur adversaire pour gagner. À chaque tour, l’attaquant n’a droit qu’à un seul geste d’ensemble, pied et main, pareil pour le défenseur. Puis au tour suivant, on échange les rôles jusqu’à ce qu’un des joueurs soient touchés.
— Ce n’est pas tout à fait ce qu’ils sont en train de faire, il n’y aucun échange de rôles, là remarqua Arthur, troublé. Ils enchaînent tout. On ne comprend plus rien.
— Oui, c’est bien pour cela que c’est revisité. C’est chacun pour soi. Pas de quartier.
— Peut-être que cette fois le nouveau va changer la donne, jugea Mélissa.
— Combien tu paries ? rigola Clément. Rémi ne va en faire qu’une bouchée.
— Pari tenu ! lança Mathieu, piqué au vif avant de placer ses mains en porte-voix.
Hé, Bastien j’ai parié sur toi ! T’as intérêt à tout défoncer !
Secoué par le son de sa voix, Bastien en perdit le fil et loupa le coche. Il eut juste assez de présence d’esprit pour pivoter sa main afin d’éviter celle de Rémi qui plongeait, offrant cependant une ouverture de choix sur son coude tendu. Rémi ne s’en priva pas. Il y appliqua ses deux mains et appliqua une torsion qui propulsa Bastien sur le ventre. Rémi posa un genou à terre et fit glisser sa main droite jusqu’au poignet de son adversaire tandis qu’il utilisait la gauche pour plier la main et la ramener dans le dos.
— Quitte à faire une clé de bras, autant l’exécuter dans les règles, commenta-t-il.
— Eh ! Temps mort ! Temps mort ! On s’arrête ! Arrête, tu vas me bousiller le bras ! grimaça Bastien.
Rémi le libéra de mauvaise grâce.
— C’était trop facile, bougonna-t-il. Si tu pariais sur lui, pourquoi le déconcentrer ?
Dans un grognement, Bastien roula sur le dos, fourbu. Puis tout médusé de voir Mathieu apparaître dans son champ de vision.
— Tu abandonnes déjà ? l’asticota son ami en l’aidant à se relever.
Bastien était plus étourdi par sa présence que des conséquences de sa chute.
— C’est ta faute. Je le tenais, tu m’as fait rater mon coup.
— Bah, tu sais, il nous met toujours K.O., nous aussi. Je ne tiens même pas 20 secondes avec lui, tu peux t’estimer heureux. Je ne m’en fais pas pour toi, tu finiras par l’avoir ta revanche. Et l’élève dépassera le maître dans une raclée monumentale.
— J’ai hâte de voir ça ! ricana Rémi.
— Et nous aussi, glissa Léane.
— Je plussoie, ajouta Mélissa, complice.
— Tu ne connais pas Bastien, il est très compétitif ! Il finira par te battre un de ces jours, très prochainement même.
Bastien ne savait plus où se mettre. Il fusilla Mathieu du regard. Dans quel pari s’engageait-il en lui mettant autant la pression ?
— Alors faites que ce jour arrive vite. Il n’aura plus besoin de moi à ce moment-là.
— Amen, conclut Bastien avec arrogance.
Rémi le dévisagea d’un drôle d’air, indécis, puis secoua la tête, résigné.
— Celui-là, je te jure. Je vais le noyer dans la baignoire.
*
La visite de la villa Carpentier et de ses dépendances débuta par la cour en gravillon qui donnait sur l’avenue, protégée par le portail camouflant en grande partie les va-et-vient de ses occupants. Étroite et sobre que cette cour, implantée dans un espace qui empiétait sur ses plates-bandes afin de rehausser davantage la splendeur de la façade.
Monumentale, la façade. Majestueuse, dure et rouge, elle s’élevait derrière la froide grille de fer forgé. De par ses quelques traces de restauration, elle offrait au manoir un éclectisme tortueux et génial. La blanche nudité des pierres du pignon gauche, aux réminiscences gothiques, tranchait avec le vif des briques de l’aile droite néo-Renaissance. Entre les deux, le corps du logis élançait bien haut ses cheminées et son toit d’ardoise raide et pointu au-dessus de pans de bois rouges tel qu’on en voit sur les humides côtes normandes. Juste en-dessous, au centre, le troisième pignon : moins haut d’un étage que ses deux voisins, il s’en accommodait fort bien en avançant vers la rue sa pompeuse baie vitrée. Les carreaux de grisailles fragiles et scintillants, semblables aux vitraux médiévaux, démarquaient fièrement le vestibule. L’accès s’en faisait à l’orée d’un petit porche grinçant de bois rouge au toit d’ardoise.
Sur la droite, postée en avant-garde, la loge du concierge se découpait nettement du reste de la villa. Petite « maisonnette » de brique rouge bâtie en réplique miniature du bâtiment principal, elle accentuait adroitement la rupture sans dépareiller l’ensemble. À l’autre extrémité de la cour, dans la continuité de la résidence, se trouvait une arcade cochère juste assez large pour accueillir le passage d’attelages légers, à usage privé de la famille ou des invités. On atteignait ainsi le jardin, dissimulé à l’abri des regards.
Beaucoup plus spacieux que la cour, ce dernier avait pourtant connu au cours du XXe siècle des mutations drastiques qui avaient transformées l’imposant parc d’époque en jardin plus modeste. Un immense magnolia trônait fièrement en son milieu. Une allée menait aux anciens bâtiments de service, dont les écuries et les greniers à fourrage, utilisés aujourd’hui en garage et en remise de bric-à-brac divers que personne ne s’avisait de toucher. Un autre chemin plus timide échouait sur un potager laissé en friche depuis belle lurette. Ils avaient bien essayé de le désherber à leurs débuts mais s’étaient vite découragés devant l’ampleur d’une entreprise vouée à l’échec. Côté jardin, la façade était volontairement moins austère, comme pour souligner l’aspect plus intime de ce versant. Le charme unique de cette façade résidait principalement en une verrière qui se découpait en trois plans transversaux.
— C’est la salle à manger, indiqua Léane qui les précédait dans l’escalier. J’adore m’y installer pour y travailler, surtout par beau temps.
Elle fit une pause dans la petite loggia pour leur permettre d’admirer le jardin du haut de ce modeste promontoire.
— C’est magnifique, concéda Arthur, conquis. Je n’arrive pas à croire que vous vivez ici.
En enfilade de la vaste salle à manger panoramique qui surplombait les jardins pour proposer un point de vue imprenable sur le magnolia, s’étirait un grand salon-bibliothèque. Il sentait le renfermé et les fauteuils étaient recouverts de draps défraîchis, preuve de son utilité relativement réduite. Les ouvrages qui garnissaient les grandes armoires vitrées n’étaient plus de prime fraîcheur et devaient constituer une collection de qualité, à prix certainement coûteux. De quoi dissuader d’y toucher, par peur de les émietter de leur essence.
Plus au nord, vers l’avenue, un grand hall qui témoignait de la grandeur passée s’ouvrait sur de multiples trajectoires matérialisées au sol par de grandes dalles carrelées divisées en trois branches :
La première aboutissait sur un couloir s’élargissant abruptement sur le vestibule, puis le perron.
— Le vestibule à lui seul doit faire la taille de mon futur appartement, commenta Florian. Je ne pourrais jamais m’offrir plus grand.
La deuxième s’épanchait sur la droite en direction d’un salon de danse. Le modèle très respectable pour toute société qui se respecte.
— Ouah ! Les soirées de dingue qui devaient s’organiser ici !
— D’après Lucas, il y a pas mal de fêtes qui se sont organisées dans cette maison, surtout à la saison mondaine. Rien que dans cette salle, on devait y caser facile une cinquantaine de couples, estima Mathieu.
La troisième branche dédaignait en pied-de-nez l’escalier principal, pourtant imposant, pour déboucher plus modestement sur un petit salon-bureau aménagé de manière cosy, aux touches plus modernes – et surtout plus humaines – que la plupart des autres pièces du rez-de-chaussée. Il y régnait d’ailleurs un plus grand bazar.
Il revêtait une dimension historique nettement moins importante : une trouée sauvage s’épanouissait largement à mi-hauteur des murs sur une large plateforme, inabordable, qui écrasait la pièce.
— Il faut passer par les escaliers situés de l’autre côté pour y accéder.
— Et à quoi ça sert exactement ce palier creusé dans le mur ? Au voyeurisme ? demanda Bastien, franchement sceptique.
— Ça date des années 70. Le propriétaire a dû vouloir apporter une note de fantaisie.
— Eh ben…
Niché à gauche de l’escalier, un passage semi-dérobé conduisait à un vaste sous-sol semi-enterré, comprenant, outre la cuisine, un petit débarras et la fameuse « cave », métamorphosée en salle de jeu (et/ou de catch).
Le premier étage se révéla nettement moins complexe.
— L’architecte s’est lassé entre-temps, railla Claire à ce propos.
Côté sud, une salle de bain séparait deux premières chambres. Mathieu désigna la troisième qui se contentait d’un petit lavabo intégré dans un coin.
— Je vais prendre celle-ci à la rentrée, Rémi me la laisse. Clément et moi partagerons la salle de bains.
— Et il ira s’installer où Rémi ? Pourquoi tu ne prends pas l’autre chambre plutôt ?
— Pour éviter qu’on soit les uns sur les autres. Comme c’était une seule suite à l’origine, chambre avec salle de bains et petit salon, les cloisons sont assez minces.
— Rémi emménage dans la loge du concierge. C’est un petit studio indépendant, il ne sera pas à plaindre. Il est ravi même, confirma Mélissa. C’est lui qui a lancé l’idée. Un prétexte plutôt, on va dire.
Le côté nord était réservé aux filles. Justifiant cette répartition, deux chambres agrémentées de jolis petits cabinets de toilette et une salle de bain pour deux. Avec baignoire de surcroît.
Le deuxième étage n’était pas vraiment habitable dans les faits : les chambres de maîtres et de domestiques étaient encombrées du bazar-à-trier de la famille dans l’attente de moments plus favorables. L’ensemble, rebaptisé communément là-haut, pouvait s’apparenter à un grenier. Et effectivement, s’il n’était guère commode d’y torturer des gens, par manque de place notamment, on pouvait en revanche planquer deux ou trois cadavres dans ce fouillis sans trop de problèmes.
C’est cette observation qui frappa Florian dans un drôle de frisson en voyant Rémi et Clément debout au centre de la dernière chambre, en train de les attendre. Mélissa claqua la porte derrière eux et s’y adossa nonchalamment, non sans quelque facétie.
— Assez ri. Passons aux choses sérieuses à présent.
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