Chapitre 17 (4/4)

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— Arthur !

Clément se plia, la main sur la hanche.

— Ne pars pas comme cela sans prévenir ! haleta-t-il. Vous n’en avez rien à faire, des consignes, dans votre groupe !

Arthur ne quittait pas la porte des yeux, le cœur au bord des lèvres, battant la chamade.

— Je dois rentrer dans cette maison. À tout prix. Je n’arrive pas à l’ouvrir, ma main passe à travers, chouina-t-il en fixant son bras translucide fiché dans la porte. Tu peux le faire, toi ?

— Non !

Arthur se tourna vers lui, bouleversé. Implorant.

— Il y a Émile à l’intérieur, balbutia-t-il.

— Qui ?

— Émile. Un gamin. La voix dans ma tête, c’était lui. Il est parti. Je l’ai vu rentrer dans cette maison, ouvre la porte. Je sais que tu le peux, je t’en supplie ! Je veux… Je veux juste le voir. S’il-te-plaît.

Clément passa par toutes les couleurs.

— La voix dans ta tête était un garçon que tu as vu à l’instant ? Tu es sûr de ce que tu dis ?

Arthur confirma en tremblant. Clément se tint le front, clairement partagé. Remué, également.

— Recule, lui ordonna-t-il en l’écartant de la porte. Il tambourina avec force contre le linteau. Pas de réponse.

— Il n’y a personne, nota-t-il non sans soulagement. Je pense que tu t’es trompé. On ferait mieux de revenir avant que les autres ne se perdent.

— Je l’ai vu ! Qu’est-ce que tu attends pour ouvrir ?

— Ah, non ! Même ici, ce serait une violation de domicile et une atteinte à la vie privée.

— Alors je vais hurler jusqu’à ce qu’il m’ouvre, prévint Arthur, buté.

Clément produisit un chuintement agacé.

— Moi qui croyais que toi, au moins, tu étais raisonnable. Oh, et puis zut.

Il actionna le loquet et poussa la porte.

— À toi l’honneur.

La pièce était sombre, exigüe, peu fournie. Et vide.

— Je te l’avais bien dit.

Arthur s’accroupit et darda son regard scrutateur sur la tête du lit en fer.

Je sais que tu te caches derrière, je vois ton ombre. Montre-toi, je ne te ferai rien.

Au bout d’un silence se pointa une tête apeurée et hostile.

Le garçon était à peine plus âgé que dans sa mémoire, 12 ou 13 ans révolus. La figure crayeuse, un aspect maladif dans toute son allure comme s’il n’était guère habitué à se baigner de lumière. Ses yeux fauves, farouches, balayaient la pièce en quête d’échappatoire.

« Il ne me reconnait pas ». Ce constat lui faisait mal.

— C’est lui ? s’enquit Clément, un rien fiévreux.

— C’est lui.

L’enfant lui lança un regard étrange avant de reprendre ses larges venues oculaires sur le qui-vive.

— Émile. C’est ton nom, pas vrai ?

Émile se roidit, aux abois, et se tassa contre le mur. Clément s’agenouilla lui aussi, en restant prudent. Émile ne le regardait pas, il bloquait sur Arthur.

— Il ne me voit pas.

— Évidemment qu’il ne te voit pas, rétorqua Arthur à mi-voix et sur un ton égal pour ne pas l’effrayer plus encore. Il ne peut voir que moi.

Il avait besoin de cette appropriation égoïste pour attiser en Émile le souvenir de leur lien particulier. Mais Émile le fixait comme un étranger.

— Tu ne te souviens pas de moi ? Je suis Arthur. Ça ne te dit vraiment rien ?

— Tu ne confonds pas avec quelqu’un d’autre ?

— Comment pourrais-je le confondre ! C’est lui qui m’a tout appris, il a vécu avec moi pendant des années !

— Il n’a pas l’air au courant, remarqua Clément alors qu’Émile considérait Arthur comme un cinglé avec une araignée au plafond. Arthur, réfléchis. Ce n’est qu’un gosse terrifié, il n’aurait rien pu t’apprendre, raisonna Clément.

— C’était moi le gosse terrifié dans l’histoire. N’inverse pas les rôles, c’est toi que tu essaies de convaincre !

Tu ne veux pas l’admettre, mais si je m’étais trompé, il ne me verrait pas ! Et pourtant c’est le cas. Pourquoi, selon toi ?

Clément était désarçonné.

— Mais enfin, les voix ne sont pas… Ce ne sont pas des personnes qui viennent de 1875 ! Ils n’ont pas forme humaine, ce ne sont pas des êtres vivants ! C’est impossible !

Ils savaient tous les deux que ça ne l’était pas.

— Les miroirs. Ils doivent provenir des miroirs. C’est peut-être aux voix en nous que les miroirs réagissent. Ces voix, ce sont peut-être les gens qui nous voient ici !

Parvenu à la même conclusion, Mathieu lui retourna une mimique perdue avant de revenir sur Émile : à l’évocation des miroirs, ce dernier s’était rétracté davantage, comme coupable d’un quelconque larcin.

— Émile, tu sais quelque chose sur les miroirs ? C’est toi qui les as ?

Émile ne répondit pas à l’interrogation précipitée d’Arthur. Dévoré par l’angoisse, il braqua ses yeux sur la lourde porte.

— Ils arrivent, hoqueta-t-il d’une voix rauque.

Le petit dévisagea ensuite Arthur, dans l’attente.

— Sauvez-moi, haleta-t-il, désespéré.

— Arthur… Allons-nous-en vite, se releva vivement Clément. Des gens viennent pour lui, on ne peut pas rester ici.

— Tu veux qu’on l’abandonne là ?

— On est dans le passé, réveille-toi ! C’est déjà arrivé, on ne peut rien changer pour lui, quoiqu’il arrive, rappela Clément. Viens vite. Allez !

Arthur se dégagea, outré. Émile le regardait de ses grands yeux. Guettant en lui une aide qu’il ne pouvait lui offrir.

— Cache-toi sous le lit ! Dépêche-toi, vite ! le houspilla-t-il en le bousculant.

Ses bars traversèrent Émile. Celui-ci sursauta, livide.

— Un fantôme, balbutia-t-il en dévorant ses larmes. Sans même savoir qu’il en était déjà un lui-même.

— Émile, supplia Arthur.

La porte s’ouvrit avec fracas. Émile bondit sur ses pieds. Frénétique, Clément agrippa Arthur et commença à le traîner vers la sortie.

— Émile, sors-de-là ! se démena Arthur, hurlant de tous ses poumons.

Émile l’observa. Puis s’intéressa à un point devant lui, blême.

— Je … je ne suis personne, moi, dit-il à l’adresse de ses assaillants.

Il s’écroula silencieusement, ramassé sur lui-même. Les mains crispées sur sa poitrine. Choqué devant ce tableau qu’il avait pourtant anticipé, Clément en relâcha Arthur. Au ralenti.

Au ralenti, Arthur se vit se précipiter sur Émile et recueillir cette pauvre âme diaphane qui s’éteignait lentement. Émile lui présenta ses yeux de reproches chargés.

— J’ai mal.

— S’il-te-plaît… Non !

— J’ai froid, s’étonna Émile.

Graduellement, son corps se solidifiait à mesure que la flamme vacillait. Arthur resserra ses bras autour de lui. Il n’avait pas l’intention de le laisser fuir dans cet autre côté dont on ne revient pas.

— Reste là. Reste.

Émile esquissa un sourire inachevé tandis que dans ses yeux, la lueur sauvage, enfin radoucie ramenait une vive insouciance sur sa figure.

Le temps s’étirait, l’espace aussi. Les pensées d’Arthur s’entrechoquaient, dures et inconstantes, obscurcissant toute raison. Alors qu’il sombrait à la dérive dans les limbes en compagnie d’Émile, il emporta la vision de cette étincelle qui se soufflait dans la nuit, charriée par une cohorte de fantômes prisonniers d’un miroir.

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