Chapitre 18 : La famille, rien que la famille

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« Famille de fous. »

Rapport judicieusement établi par F…

sur sa fiche de présentation pour l’année scolaire 201*-201*

L’été se mouvait paresseusement. Avec leurs activités considérablement ralenties, les gens aussi.

Le bac en poche, Florian n’avait pas tardé à accepter l’offre alléchante de Mathieu. C’était surtout le loyer qui avait emporté la décision finale. Mathieu avait eu raison en parlant d’une participation symbolique Au point de se demander où se situait l’arnaque. Florian le savait parfaitement, mais avait été bien en peine de l’expliquer à ses parents. Sa mère avait exigé de visiter la maison et de rencontrer ses occupants, exigence que Florian ne pouvait lui refuser. Il les avait briefés afin de s’assurer qu’ils se comportent le plus normalement possible

– « comme si on ne savait pas le faire, sérieux » –, mais ils avaient tous en réalité la tête ailleurs pour porter ce masque jusqu’au bout.

De par son attitude, Arthur inquiétait. Rémi aussi.

Garance avait finalement réussi à localiser Arthur, inconscient. Il s’était reclus sur lui-même, décidé à se volatiliser dans le non-être, ballotté au gré du flot constant d’ectoplasmes, camouflé dans leurs contours. Très bien camouflé. Mais pas assez pour Garance qui avait peut-être pensé elle aussi expérimenter cette technique. Elle n’allait pas le laisser disparaître, dommage pour lui. Elle avait eu plus de peine à le réunir avec son enveloppe, vu qu’il renâclait à la tâche. Elle avait tenu bon. C’était douloureux ? Rien à cirer.

Quant à Clément, le retour de leurs amis dans le réel (dont Garance, de laquelle il dépendait pour ses créations), l’avaient soudainement privé d’attache spatio-temporelle et de tout lien télépathique. Malgré cela, il n’avait pas voulu quitter Arthur, attendant son retour jusqu’au bout près de son corps désolidarisé.

Tourmenté, Clément. Il s’en voulait encore d’avoir cédé à l’impératif d’Arthur et de l’avoir laissé assister à la mort d’Émile.

Dévasté, Arthur. Il s’enfermait dans un silence radio mutique. Injoignable. Ils avaient convenu de lui laisser un peu de temps. Comme pour Rémi, bien que pour celui-ci, on ne savait quelle mouche l’avait piqué. La chute magistrale de Bastien du toit en était la cause initiale, mais elle avait réveillé un traumatisme plus profond qui le rendait taciturne et très peu enclin à la conversation. Quel qu’en soit le sujet. Il était parti s’enfermer avant l’heure dans son studio et avait tout relégué à Mélissa et Clément, lui qui aimait par nature diriger. Prévenu, Lucas lui-même avait semblé décontenancé avant de les inciter à laisser couler. La situation d’Arthur le tracassait en priorité.

— J’avais bien dit de ne pas vous occuper de ces miroirs, avait-il grogné. C’était un coup à s’attirer les pires ennuis. Vous étiez obligés de les faire transiter là-bas, hein ?! Sans même m’en parler ?

— Ils devaient comprendre et apprendre.

— Pour apprendre, ils ont bien appris. Je te félicite pour cela, Garance.

Maintenant, tu dois jouer la garde-malade sur tous les fronts. Satisfaite ?

Coupable, Garance s’était vue repousser son retour sans rechigner. Elle espérait le rétablissement d’Arthur pour se faire pardonner. Mais même dans la bilocation, elle trouvait porte close. Arthur la bloquait en permanence et avait érigé un mur qu’elle n’osait franchir.

Alors ils attendaient le signe révélateur qui leur prouverait qu’Arthur et Rémi étaient prêts à abattre leurs remparts respectifs. Patiemment.

Quand Clémentine s’extirpa de la voiture, elle cria de ravissement, conquise.

— C’est beau ! C’est immense ! Regarde Maman, on dirait un manoir hanté ! Et là, ce serait la maisonnette de l’apprenti-sorcier ! s’exclama-t-elle en montrant la « loge du gardien ». C’est trop classe ! Il y a même des corbeaux dans les arbres en plus !

— Ce sont des corneilles, chérie, tempéra sa mère avec toute l’indulgence requise pour calmer les ardeurs de Clémentine. C’est vrai que cette villa est impressionnante, concéda-t-elle, épatée.

— Attends d’avoir vu l’intérieur.

Florian regardait Clémentine qui gambadait partout, surexcitée. Elle avait insisté pour venir mais il n’était plus tout à fait sûr que de se faire accompagner par un tel cabri eût été une idée judicieuse en somme.

— Je t’en prie, Clem’, calme-toi un peu, la rappela-t-il à l’ordre, tendu.

— Et ne touche à rien, c’est compris ?

— Mais ouiiii. Vous soûlez, là. Je peux sonner, je peux sonner ? Steuplaît, steuplaît.

C’était mal parti.

Mélissa vint leur ouvrir et Clément se chargea gracieusement de l’introduction. Très poli mais tout en distance dans les présentations, il ne se dérida que devant le prénom de la petite sœur.

— Un petit homonyme ! Tu as quel âge, Clémentine ?

— Bientôt 11 ans, dit fièrement la petite.

Clément lui sourit, attentionné.

— Thomas, qui est au jardin, derrière, a pratiquement ton âge. Si tu le veux, tu peux aller le voir. Il pourrait te faire une visite privée si tu te lui demandes.

Clémentine fila dans le jardin après avoir obtenu la permission.

— J’espère qu’il n’est pas dans le magnolia, susurra Léane.

— Parle pas de malheur, répliqua Mélissa.

— Elle est adorable, observa Clément. Et l’air débrouillard.

— On peut dire qu’elle est bien dégourdie, effectivement. Un peu trop des fois, confia Clotilde Fralin dans un sourire dépassé. Vous habitez une jolie demeure, les jeunes.

— Je vous la fais visiter, se hâta de proposer Clément en abaissant ses dernières défenses.

Peut-être qu’emmener avec eux la pétulante Clémentine se révélait un bon stratagème pour briser la glace en fin de compte. Par une fenêtre, on la distingua attelée au désherbage tout en abreuvant Thomas de belles paroles, extrêmement volubile.

Comme eux auparavant, sa mère admira les charmes de la maison et s’attarda en particulier sur la véranda et sa splendide verrière. En entrant dans la chambre qui allait devenir celle de Florian, elle examina l’agencement avec minutie et conclut qu’il y avait tout le confort nécessaire à la réussite d’un étudiant.


C’est dans la salle de bains qu’elle fit la connaissance impromptue de Mathieu, et de ses parents qui l’aidaient à emménager. Les adultes entamèrent de suite une petite conversation amicale et décomplexée. Comme si la salle de bains avait été promue lieu de réception par excellence. Elle constituait pourtant un no man’s land entre les deux chambres communicantes.

Clotilde enchaînait les thèmes, passait du coq à l’âne sur les déménagements, les études de ses enfants, les activités extrascolaires et les goûters ; les parents de Mathieu suivaient parfaitement, enjolivant de leurs propres anecdotes de-ci de-là.

Mathieu et Florian échangèrent un regard effondré.

— Ce n’est pas comme cela que j’imaginais les présentations.

— Pareil.

Florian lança un appel à l’aide. Sagement rangés dans un coin, Clément, Mélissa et Léane n’étaient pas disposés à leur prêter main forte. Pire, ils s’amusaient sous cape de leur confusion.

— C’est du grand n’importe quoi, décida Mathieu. Hum. Maman, Papa, vous ne voulez pas que je vous présente Florian ? Vous savez, mon colocataire.

— Colocataire seulement si j’ai le feu vert, rien de définitif encore. Bonjour.

— Enchanté, mon garçon.

— Oh, mais je te le donne, cet endroit est parfait ! soutint sa mère, toute à sa cause. Bonjour Mathieu, Clotilde. Ravie de rencontrer un ami de mon fils.

— Euh, enchanté également, dit Mathieu, dérouté par cette spontanéité singulière.

— Par contre, c’est quoi ce loyer défiant toute concurrence ? Avec une telle superficie ? Vous ne pourriez pas l’augmenter un peu, ne serait-ce que pour l’entretien ? À ce prix-là, le propriétaire est lésé.

— Papa ! gémit Mathieu, fortement contrarié.

— C’est vrai que niveau revenus, ça ne rapporte pas gros au final. Même si vous divisez en en 7 ou 8. Combien êtes-vous, déjà ?

— Maman ! protesta Florian.

— On va partir sur 6 cette année. Ne vous inquiétez pas pour le loyer, Madame, ce n’est pas un problème. Florian a dû vous expliquer le statut de cette villa sur le plan juridique, ce qui explique un tel prix sacrifié. Les propriétaires sont ravis de la voir occupée par des étudiants. Leur fils l’a habitée durant ses études il y a quelques années, c’est un de nos amis. Actuellement, il est le représentant légal de la famille, c’est avec lui que vous finaliserez le contrat si les conditions vous conviennent.

— Parfait ! Il ne nous reste donc plus qu’à fixer un rendez-vous pour officialiser le tout. Donnez-moi son numéro, je l’appellerai en personne. Il faudrait que j’appelle l’assurance, aussi. À partir de quelle date peut-il emménager ?

— Quand il le souhaitera, la chambre est libre. S’il veut manger avec nous ce soir, en guise de bienvenue, cela nous ferait plaisir.

— Ah oui ?

— Mais oui, tu sais, pour faire plus ample connaissance, ironisa Clément. Et tu pourrais donner un petit coup de main à Mathieu au passage.

— C’est une très bonne idée. Vous m’avez l’air d’être très responsables et rudement bien organisés. Je crois que je peux vous confier mon fils sans problème.

— Maman…

— Ne vous en faites pas pour cela, je m’assurerai personnellement que Florian ne cause pas d’étincelles, promit Léane d’un ton goguenard. Ni de pétage de plombs.

— Ah ? Très bien, approuva Clotilde légèrement démontée par l’expression.

— Je suis certaine que Florian fera un très bon colocataire, bien qu’il m’ait l’air encore un peu trop survolté.

— Oh, pitié.

Les yeux au ciel, Mathieu soupira en espérant, comme tout un chacun, qu’elle en avait terminé avec ses jeux de mots hasardeux.

Madame Fralin ne saisissait pas la subtilité de la blague.

— Oui, enfin, c’est plutôt sa sœur qui est ainsi, nuança-t-elle. En comparaison, Florian est beaucoup plus calme, vous verrez.

— Ah bon ? Il m’a semblé que c’était une vraie pile électrique, pourtant.

— Merci Léane, on a compris ! coupa Clément. Il devenait urgent d’abréger au vu de la tête de Florian.

On va laisser Mathieu déballer tranquillement le reste de ses affaires et je vous raccompagne en bas, d’accord ? Léane, peux-tu descendre et prévenir Clémentine ?

— Pourquoi moi ? s’offusqua Léane, volontairement imperméable à tous les signaux.

— Maintenant, Léane, tu serais gentille, souligna Mélissa en la refoulant vers les escaliers.

Clémentine s’amusait trop pour consentir à repartir aussi rapidement.

— On allait sortir le babyfoot du garage, pleurnicha-t-elle, et je n’ai pas encore eu ma visite privée !

— Ce sera pour une autre fois, chérie. On reviendra pour l’installation de Florian.

— Je veux rester encore un peu ! Florian me ramènera ! Dis-oui, Maman !

— Clémentine, c’est ton frère qui est invité, pas toi. Tu vas les déranger.

— Elle ne nous dérange pas du tout. Elle peut rester toute l’après-midi si elle en a envie. Je lui ai promis de la lui faire, cette visite, dit Thomas ingénument.

— « Sans vouloir vous forcer », accentua Mélissa en roulant de gros yeux. Ce ne sont pas des manières ! Excuse-toi !

— Mais…

— Je ne le prends pas mal, ne le grondez pas pour cela. Il doit être content de s’amuser avec quelqu’un de son âge, c’est tout.

— Si, si, excusez-le, se précipita Mélissa pour détourner son attention : au second plan, Thomas décernait son regard méprisant « je ne suis pas un gamin » en coulisses.

— Je la ramènerai après le repas, suggéra Florian.

— Bon, après tout, pourquoi pas ? Si cela ne vous fait pas trop, bien entendu.

— Du tout. Il y assez de nourriture pour un régiment, affirma Clément.

— C’est très gentil à vous. Vous deux, soyez à la maison au plus tard à 20h30 ! réclama Madame Fralin, essayant de faire démonstration de son autorité.

— Promis, Maman ! À tout à l’heure ! sautilla Clem’ tandis que Thomas époussetait le babyfoot sans s’émouvoir.


Sa mère n’eut pas plus tôt franchi la porte cochère que Florian se retourna vers la maison avec des envies de meurtre suintant de tous ses pores.

— Retiens-le, il va nous faire un carnage.

— Je crois que Léane est descendue dans la cave. On peut surveiller ta sœur pendant que tu lui règles son compte.

— Trop aimable, gronda Florian en passant comme une flèche.

— Les parents de Mathieu sont toujours là ! Ne fais rien de déplacé !

— Elle a dépassé les bornes, dit simplement Clément.

— C’était stupide de le provoquer devant sa mère, on est d’accord. Mais c’était plus ou moins prévu. Pourquoi crois-tu qu’elle l’attend en bas ?

— Joli, ricana Clément. Rien de tel qu’une mise au point dès le départ. Thomas ! Prenez votre temps ! On va attendre un peu pour la visite.

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