Chapitre 18 (2/5)

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— T’en as pas assez de jouer la provoc’ ?

— Je n’ai pas que cela à faire, figure-toi. Assieds-toi. Assieds-toi, je te dis.

Florian se laissa tomber sur la chaise qu’elle lui présentait, le regard noir.

— Les véritables termes du contrat, les voici : Lucas a accepté que tu viennes habiter chez nous à condition que je t’apprenne deux ou trois bricoles fortes utiles qui pourraient t’éviter d’amocher l’installation électrique de cette maison.

— J’ai dépassé ce stade, grommela Florian.

— Mais bien sûr, tu as dépassé ce stade. Tu peux difficilement me berner, moi. J’ai connu exactement la même chose. Sans vouloir me vanter, j’étais même plus violente. Donc, pour ta sûreté comme pour la nôtre, ce serait bien que tu montes au niveau supérieur. L’absorption électrique, c’est bien, mais l’élektrokinésie, c’est mieux.

— L’élektrokinésie ? Tu te crois dans un Marvel ?

Léane n’appréciait pas qu’on ne la prenne pas au sérieux. Elle frappa du poing sur la table.

— J’essaie de t’expliquer la différence, concentre-toi un peu ! Pour commencer, tu n’as rien d’un superhéros. On n’arrivera jamais à manipuler l’électricité à volonté, ne rêve pas. Et tu ne génères pas de l’électricité, tu la recycles. Pour l’instant, tu ne sais qu’accumuler et emmagasiner toute cette énergie qui te tombe sous la main sans même pouvoir contrôler la quantité que tu absorbes. Et ce, jusqu’à ce que tu la restitues à t’épuiser, ou au contraire que tu craques face au surplus. C’est ce que j’appelle de l’absorption électrique, il n’y a pas de juste milieu entre ces deux extrêmes à ce stade. Non, ne nie pas, tu n’as pas la parole. Moi, je peux t’apprendre deux choses :

« Dans un premier temps, ce qui est le plus urgent, ce serait de maîtriser le débit que tu manipules. En clair, tu ne dois plus être une éponge. Dans un second temps, on verra le contrôle de la direction, canaliser l’électricité dans un sens que tu détermines sans l’éparpiller aux quatre vents par la suite. Pour qu’elle te revienne si tu le désires. Tu auras ainsi la possibilité de t’infiltrer sur un réseau électrique. C’est ce que j’ai fait l’autre soir, par exemple. Remonter le long du réseau pour tout faire sauter à la base. Cela fonctionne avec une bonne surcharge.

— N’importe quel réseau ? Tu pourrais pirater et saboter quelque chose de plus gros ? Comme le réseau urbain ? Les feux de circulation ?

— Et voilà, il s’emballe. Tu vois trop grand. Les feux de circulation ? T’imagine un peu la concentration de malade qu’il te faut pour te maintenir sur un tel réseau ? Tout ça pour quoi, que le feu passe au vert ? Tu veux mourir ? Lève-toi, on va tester la pratique.

— Assis, debout, je ne suis pas ton chien !

— Ce qu’il nous faudrait, c’est un bon exemple, dit Léane, songeuse.

Elle s’éclaira, inspirée.

— Bouge pas, je reviens !

De la fenêtre semi-enterrée, Florian la regarda se diriger vers Clémentine qui terminait joyeusement sa partie de babyfoot.

— Clémentine ? Tu peux venir une seconde ? Ton frère a besoin de toi.

Qu’est-ce qu’elle mijote encore ? Bientôt, il entendit le pas galopant de Clémentine dans les escaliers, puis dans le couloir.

— Waouh ! Elle est trop cool cette pièce ? C’est une salle de sport ?

— Une salle de jeu aussi. On va justement jouer à un petit jeu, cela ne prendra que trois secondes. Tu veux bien te placer, là ? À côté de ton frère. Parfait, ne bouge pas. Tu es prêt ? demanda-t-elle à Florian.

« Prêt à quoi ? ».


Léane décroisa ses bras devant son incompréhension, et posa sa main sur l’épaule de Clémentine, mesquine. C’est là que Florian le ressentit, cet afflux familier qui s’écoulait du plafonnier pour se répandre dans la salle. Il se prépara à l’ingérer. Sauf que, happée par une force extérieure, l’électricité ne se rassemblait pas dans sa direction. Mais dans le bras de Léane. La terreur parcourut son échine, jugulant les battements de son cœur. Il aplatit sa main sur l’autre épaule de Clem’, qui frémit.

— Florian ?

Clémentine louchait sur cette main enfoncée dans sa peau avant de zieuter celle de Léane qui y imprimait la même pression, à l’autre bout. Elle se trémoussa, mal à l’aise. Coincée entre ces deux pôles, elle se faisait l’effet d’être entrée dans une secte dont les membres se disputaient leurs victimes à grands coups de tirers-poussers dévastateurs.

— Vous jouez à quoi ?

Léane aspira une goulée d’air, surprise. Elle lâcha Clémentine la première et considéra Florian sous un jour nouveau.

— Ce n’est rien choupette, ton frère voulait simplement te montrer à quel point il t’aimait.

Clémentine était sceptique.

— Vous êtes vraiment bizarres. Tu peux arrêter de me pitrogner comme une miche de pain, Flo ?

Florian ferma le poing, la respiration tailladée. Ses yeux lançaient des éclairs.

— Tu n’as qu’à remonter. Je suis sûre que Thomas a hâte de te faire la visite, déclara Léane d’un sourire engageant. Ton frère a encore quelques détails à régler avec moi.

— Je vois ça.

Clem’ se tailla vite fait sans plus se soucier des jeux pour le moins étranges des adultes.

— Elle te ressemble, mine de rien, commenta Léane.

Florian l’empoigna par les cheveux et lui balança en passe meurtrière l’électrochoc qu’elle comptait infliger sur Clémentine.

— Essaie un peu d’utiliser ma sœur, pour voir…

— Relax, je n’allais pas la toucher, qu’est-ce que tu crois ? Je suis assez sensible des cheveux et j’y tiens.

Florian la libéra dans un grognement sourd.

— Je t’ai mal jugé, tu es plus doué que je ne le croyais, reconnut Léane. Je pensais que tu te contenterais seulement de la changer en isolant. Mais l’utiliser comme conducteur pour me voler cette décharge, c’était bien joué. Facile, mais malin. Tu aurais dû la garder, signala-t-elle.

— C’est toi qui voulais éviter que je sois survolté.

— Pas faux. Il faut rendre à César ce qui est à César, approuva Léane en laissant l’énergie revenir à sa source.



Mathieu s’affairait dans la cuisine.

— Tu étais censé m’aider.

— Tes parents sont partis ?

— À l’instant.

Il fourra des Tupperware blindés dans le tiroir qui lui était réservé.

— Ma mère m’a donné trop d’accompagnements. Que des cochonneries en plus.

— Estime-toi heureux, la mienne ne sait pas cuisiner.

— Léane, Clément m’a chargé de te demander ce qu’on mangeait ce soir.

Léane roula des yeux, manifestement outragée.

— Vous les garçons vous ne pensez qu’à bouffer ou quoi ? Je vous préviens, on n’est plus chez Papa-Maman et ici, on prépare les repas à tour de rôle. Et pour fêter votre installation, c’est vous qui allez nous concocter un bon petit plat ce soir. Vous formerez souvent un duo, parce que selon la tradition, les nouveaux venus peuvent cuisiner pendant des semaines !

— Quoi ! s’écria Mathieu.

— Vous devez préparer un plat pour neuf personnes, équilibré, nutritif et délicieux. On veut être épatés, Ok ? La cuisine est à vous, surprenez-nous.

— Mais je n’ai jamais…

— Tiens, et pendant que j’y pense… Où sont-elles passées ? marmonna Léane en farfouillant dans les placards. Ah ! Réflexe !

Elle colla dans les mains de Florian un sac garni de dizaines d’ampoules neuves encore emballées dans leur pack.

— Le temps qu’on règle la technique, tu serais chou de te défouler sur ces ampoules et pas celles de la maison.

— T’es sérieuse ?

— Et tant qu’on y est, voilà pour toi.

— Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse de ce machin ? s’insurgea Mathieu.

— On ne sait jamais ce qui peut arriver. Tu peux faire une activité découpage si tu as besoin de te changer les idées. Au pire, sers-toi en pour ta déco. Au boulot ! Et bienvenue dans le monde des adultes ! cria Léane en repartant en coup de vent.

— Nan mais j’hallucine ! explosa Florian pendant que Mathieu feuilletait le catalogue de jouets. Au fait, tu sais cuisiner, toi ?

Mathieu sortit de sa contemplation perplexe.

— Un repas équilibré ? Aucune chance.

Florian eut le même geste d’impuissance qu’il lut dans les yeux de Mathieu. Un plat capable de nourrir neuf personnes…. Improvisation…

— Pâtes ?

— Pâtes, confirma Mathieu, ravi d’être sur la même longueur d’ondes.


*

— J’ai trop mangé.

— Il t’en reste plus de la moitié.

— Elle ne mange jamais rien de toute manière, indiqua Florian. Tu peux finir ses pâtes.

Thomas ne se fit pas prier et engloutit le contenu de l’assiette de Clémentine qui le regardait faire, rebutée.

— Je ne comprends pas comment tu peux aimer ça, c’est trop cuit. Et immangeable.

— Elle a bon goût cette petite, notifia Rémi qui promenait sa fourchette sans la porter à sa bouche depuis le début du repas. C’est immonde.

— Les compliments, ce n’est décidément pas ton rayon, le rabroua Mathieu, vexé. On a fait ce qu’on a pu.

Soucieuse, Mélissa dévisagea Rémi qui reporta son attention sur son assiette, maussade.

— Tu es sorti aujourd’hui au moins ?

— Occupe-toi de tes oignons.

— Flo ?

Clémentine releva la tête, estomaquée que Thomas ait l’audace d’employer ce surnom avec autant de familiarité.

— Quoi encore ?

— Tu pourrais me raccompagner moi aussi ?

— Tu es gonflé, tu n’habites pas la porte à côté.

— Alors je vous raccompagne d’abord, persévéra Thomas.

Clémentine poussa un énorme soupir. Un soupir d’adulte.

— Tu tapes l’incruste à fond, toi. Tu n’as pas de parents pour venir te chercher ?

— Clémentine, une pomme ? aiguilla vaillamment Clément. Clémentine ne s’en laisser pas conter. Elle plissa les yeux et fixa Thomas par-dessous son verre d’eau.

— C’est mon frère. Pas le tien, déclara-t-elle en surlignant le possessif.

— C’est aussi le mien, répliqua Thomas du tac-au-tac.

Florian recracha la bouchée gluante qu’il mâchait sans entrain.

— Depuis quand ?

— Première nouvelle.

— C’est vrai, Florian ?

Chacun l’observait, guettant sa réaction. Et la manière dont il se dépêtrerait tout seul. Clémentine avait noué ses doigts crispés autour de sa fourchette dressée, parée pour l’attaque.

— Bien sûr que c’est vrai ! fanfaronna Thomas, certain de son fait.

— Euh, Thomas, je ne me rappelle pas en avoir parlé avec toi.

Thomas secoua une main désinvolte : détail secondaire, mon cher ami. Le petit morveux.

— Tu ne me l’as pas dit comme cela, mais tu me vois comme le petit frère que tu n’as jamais eu. J’ai pas raison ?

C’était tout de suite plus facile, présenté ainsi…

— On va dire que tu es le petit frère de tous.

— C’est vrai ou pas ? s’entêta Thomas pour faire durer le supplice. Juste en face, Léane et Mathieu avaient du mal à rester sérieux.

— Oh et puis pourquoi pas, après tout ? Si cela te fait plaisir, s’inclina-t-il.

Thomas se fendit d’un grand sourire qu’il orienta avec ostentation vers Clémentine.

— Tu as de la chance que ce soit un garçon, dit Clémentine, intraitable, en menaçant Florian avec sa fourchette. Si tu te choisis une autre petite sœur, je t’embroche !

C’est le moment de parler de Claire ?

Qu’est-ce que tu lui trouves, à mon frère ?

— Il est génial, ton frère ! J’aurais bien aimé avoir un grand frère comme lui !

Florian eut grande peine à ne pas rougir sous l’éclat admiratif.

Rémi se dressa d’un saut aérien et en renversa sa chaise.

— Je n’ai plus faim, déclara-t-il d’une voix sans timbre. Et d’aller se barricader dans sa loge, en ermite.

Long silence. Mélissa força un sourire automatique de circonstance et entreprit d’empiler la vaisselle à grand bruit. Garance lui emboîta le pas. Clément resta un instant immobile, visage fermé, front appuyé contre sa paume.

— Ce n’est pas poli de mettre les coudes sur la table, rappela Clémentine, plus sévère à l’égard de son homonyme qu’avec n’importe quel autre.

— C’est bon ! Remercie pour cet après-midi et dis au revoir à tout le monde.

— Au revoir à tout le monde, répéta Clémentine, soudainement docile.

— Avec un peu de bonne volonté !

— Au revoir Clément, Thomas, Mélissa, Garance, l’autre qui est parti, Thomas, Mathieu et Léa, débita-t-elle sur un ton monocorde. On peut y aller ?

La petite morveuse.

— Léaneuh, pas Eléa.

Elle haussa les épaules comme si elle ne constatait pas la différence.

— On y va, Florian ?

Florian était scotché. Comment ne l’avait-il pas remarqué plus tôt ?

— Léane. C’est l’anagramme d’Elena.

Léane ne voyait pas le rapport.

— Sans doute, oui. Et alors ?

— Alors, rien. Rien du tout.

Drôle de coïncidence tout de même que cette Léane en pendant d’Elena en – à peine – moins sadique.

Il s’obligea à reconnaître la part de hasard dans cet enchevêtrement parfait. Avait-il le choix ?

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