Chapitre 18 (3/5)
— Bonjour. Je suis venu voir Arthur.
Direct. Sans s’embarrasser de de tâtonnements superflus. Il savait qu’il était là. Et il ne partirait pas sans lui avoir parlé.
— C’est qu’il n’est pas en état de recevoir des gens, biaisa Matthias calmement.
— La phrase type qu’il t’a demandé de ressortir ne marchera pas avec moi.
— On dirait que non. Elle a pourtant bien marché sur votre copine. Plus d’une fois, même.
— Je ne suis pas Garance. Et ne t’y trompes pas, tu lui fournissais une bonne excuse pour revenir tous les jours.
— Pour ça, elle est coriace. Elle a quelque chose à se faire pardonner ?
— Non, en réalité, c’est moi.
— Et pour quelle raison ?
Plus tard, Arthur pourrait se vanter d’avoir pris Clément au dépourvu en surgissant à l’improviste. Il n’en espérait pas tant dès la première tentative. Un coup d’œil sur sa tenue débraillée le renseigna plus avant : Arthur n’avait pas l’intention de se reprendre en main sur l’heure.
— Je pourrais te parler une minute ?
— Je t’écoute.
— Ok, ce sera plus long qu’une minute. Tu ne m’invites pas à rentrer ?
Arthur regarda Matthias. Qui retira son pied de l’étroite embrasure et ouvrit la porte en grand. Une invitation protocolaire.
— C’est toi qui vois. Dois-je comprendre que je n’aurais plus à jouer les portiers ?
— Je m’en occupe, merci.
— À ton service.
Matthias affubla Clément d’un œil fureteur avant de les laisser tranquilles.
— Tu bois quoi ? se renseigna Arthur en précédant Mathieu dans la cuisine.
— Rien. Comment tu vas, toi ?
— Comme tu le vois.
— Tu n’as pas l’air de dormir beaucoup.
Arthur enfouit sa tête dans le frigo pour ne pas avoir à répondre. Il ne parvenait pas à dormir. Comment le pourrait-il ?
— Tu comptes me laisser assurer le dialogue ?
— C’est toi qui voulais me parler.
— Tu sais très bien pourquoi je suis venu, ne fais pas l’enfant ! Il faut que toi, tu en parles, sinon tu ne vas pas t’en sortir ! Tu as vu ta dégaine ?
Il s’arrangeait pour éviter les miroirs justement. Et il ne voulait pas s’en sortir. Il préférait s’enfoncer, il y était plus à l’aise. Était-ce si compliqué à comprendre ?
— Pour ce qui est arrivé là-bas, c’est de ma faute.
— En quoi ? C’est moi qui ai fait une crise pour que tu m’ouvres cette porte.
— J’ai eu tort, insista Clément. J’aurais dû réagir plus tôt. Je le voyais venir en plus. Et je n’ai rien fait.
— Arrête ! Arrête tout de suite !!
La brique de lait s’écrasa sur le sol. Son cœur convulsait de rage, et de tout ce poids lesté de vide, sa silhouette en titubait. Arthur aurait souhaité cogner Clément jusqu’à plus soif ; l’idée de le savoir là, debout dans sa cuisine, à s’excuser d’un crime qu’il n’avait pas commis lui tordait les entrailles.
— Tu te sens forcé de te sentir coupable pour tous tes actes ? Sous prétexte que tu es l’aîné ? Ou que tu étais simplement là ?
Y était-il d’ailleurs ? C’est lui qu’avait vu Émile, c’était dans ses bras à lui qu’il était mort. Clément n’avait été qu’une ombre dans l’obscurité, départi de toute responsabilité.
— Tu peux parler. Tu es convaincu de l’avoir tué. Alors que rien n’aurait changé si tu n’avais pas été là. Je te l’ai dit, ça s’est passé en 1875. Émile était destiné à mourir en ce jour. Avec ou sans toi.
— Par ma faute ! Il est mort par ma faute ! Parce que j’ai changé le passé. Si je ne l’avais pas retenu pour pouvoir lui parler, il se serait sauvé à temps. Je suis… J’ai…
Arthur hoquetait. Clément le tira pour le laisser s’épancher contre lui. Arthur sanglotait violemment, toute retenue envolée. Il avait beaucoup supporté, relégué ses émotions derrière le masque du conformisme discret. Il n’en pouvait plus, l’infection gagnait son cœur désespéré de se constater vide, enfin.
Matthias se pointa au pas de course. Le fait de voir son frère écroulé sur un inconnu, à se vider comme un veau au milieu d’une flaque de lait, lui coupa les jambes. Il se jeta sur une chaise, pétrifié.
— Qu’est-ce que tu lui as fait ?
— Il avait beaucoup à gérer, expliqua Clément.
Matthias se tordit les mains. Il ne s’attendait clairement pas à ce type de réponse. C’était un problème auquel il ne pouvait remédier.
— Qu’est-ce que je peux faire ? bafouilla-t-il, nerveux.
— Pour le moment, rien. Mais il se pourrait qu’il ait besoin de toi ensuite. Que tu l’emmènes prendre l’air, voir du monde. Ce genre de choses.
Matthias se releva, chancelant.
— Tu es sûr qu’il n’y a rien d’autre ?
— Certain. Peux-tu nous accorder encore un petit moment ?
Matthias fit un pas vers Arthur, se rétracta et hocha la tête.
— Je ne suis pas loin s’il a besoin de moi, dit-il comme s’il n’y croyait pas lui-même.
— Cela te ferait du bien de consacrer du temps à ta famille. Ou à tes potes. Je veux dire, tes autres potes. Histoire de changer de crèmerie, fit observer Clément en voyant Matthias se carapater comme s’il avait peur de son ombre. Tu dois te ménager des activités sociables. Ce n’est pas bon de se couper des choses normales, tu vas finir par devenir dingue autrement.
Arthur s’agrippait toujours à son haut qu’il chiffonnait allègrement, mais Clément n’avait pas l’air d’y attacher une grande importance.
— Comment peux-tu me demander ça ? J’ai l’impression… C’est comme si on m’avait amputé d’une partie de moi-même. Je ne peux pas continuer à faire semblant, c’est au-dessus de mes forces.
— Je connais ça. Et c’est justement pour cette raison qu’il te faut autre chose. Tout finira par se tasser, va.
— Tu ne peux pas comprendre. Il a été avec moi pendant presque cinq ans, il faisait partie de moi. Moi qui me demandais où il était parti, comme un idiot fini… Le voir mourir devant moi, c’est intenable. Je ne peux pas passer à autre chose.
— Il le faut. Tu dois continuer à avancer. Et on est là pour t’y aider si nécessaire. Alors cesse de tout garder pour toi. On a déjà suffisamment à faire avec Rémi qui nous fait le bernard-l’hermite.
Arthur essuya ses larmes, mortifié de s’être laissé aller comme un bébé. Encore plus quand il en réalisa les conséquences sur le T-shirt de Clément. Celui-ci suivit son regard et le réarrangea comme si de rien n’était.
— Ce n’est rien.
— Comment fais-tu pour être si indulgent ?
— Comme tu l’as dit, je fais partie des aînés. Je dois montrer l’exemple, c’est logique. Et si je peux t’aider, pour n’importe quoi, n’hésite pas à m’en parler.
— Il y a bien un truc, acquiesça Arthur.
— Tant mieux ! C’est quoi ?
— J’aimerais avoir une arme aussi badasse que celle de Garance. Tu pourrais m’en faire une à moi aussi ?
Clément éclata de rire devant le contraste.
— On va t’en faire une sur mesure, Mélissa et moi. On doit en avoir une qui déchire. Mais ne t’attends pas à une merveille technologique. Je ne remonte pas au-delà des années 30, tu sais.
— Plus c’est démodé, plus c’est classe. Vintage.
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