Chapitre 18 (4/5)
C’était juste après l’Assomption. Le tout premier mariage de cette génération. Sa mère avait donc tenu à marquer le coup. Tant pis s’ils ne parvenaient pas à situer Manon dans l’arbre généalogique.
— C’est la fille de Célia, ma cousine, voyons. La quatrième. Manon est donc votre cousine issue de germain. Essayez de suivre !
Florian aurait bien voulu. N’empêche qu’entre deux naissances, il s’était perdu à mi-chemin entre le premier et le second degré sans parvenir à retrouver la trame généalogique. Sa connaissance en la matière se limitait à ses propres cousins germains et aux aînés de Célia : Pierre, suivi des jumeaux dont les noms lui échappaient. Il ignorait donc l’existence d’une quatrième avant de tenir le faire-part dans les mains. Manon se mariait donc. Et n’en déplaise aux aînés, elle était la première des cousins issus de germain à se marier en grande pompe.
« Tenue correcte exigée les enfants. Pas question de lui faire honte ! ». Et à en juger par les tenues sur leur 31, les invités avaient tous eu le même objectif.
L’église était comble. Il y avait un monde fou et Florian n’en connaissait pas le quart.
Clémentine avait insisté pour une robe vaporeuse incrustée de strass. Et Dieu sait comment, avait fini par l’obtenir. Emma, qui avait d’abord réclamé la même, avait finalement revêtu la robe cintrée lilas des petites filles d’honneur, ceinturée de petites roses blanches. Sage comme une image pendant toute la durée de la cérémonie, elle faillit provoquer un scandale à la sortie en exigeant de tenir la robe de la mariée. Ce privilège ne lui étant pas accordé, elle refusa de poser avec les autres enfants sur les marches de l’église. Zoé ne parvint à la convaincre d’y participer qu’à la seule condition qu’elle accepte elle-même de figurer sur les photos à ses côtés, et sa robe jonquille fit le plus bel effet au milieu de tous ces lilas.
La soirée se profilait à l’horizon et Florian se détendait enfin, sa coupe de champagne à la main. Il discuta un moment avec ses deux cousines de leurs orientations respectives : Audrey envisageait de devenir dentiste et Gabrielle s’engageait début septembre dans une formation d’éducatrice de jeunes enfants. Ils échangèrent des nouvelles et des rumeurs sur LA Famille – avec un grand F –, et il les regarda de loin feindre de balancer à l’eau les plus petits dans leurs éclats de rire horrifiés. Il déambula ensuite d’un groupe à l’autre, saluant les vieilles connaissances et les complices d’une autre vie, s’enquérant de la santé de l’une ou l’autre tante quand l’occasion s’en présentait. Toute cette situation ne présentait rien de distordu, tout exprimait la normalité. Cette avalanche de banalités sonnait pourtant tellement faux à ses oreilles qu’il s’attendait presque à rencontrer un élément surnaturel à chaque prochain buisson. RAS, juste une goule qui passe, tout est donc normal ce soir. Attends, y a un truc pas net, là… Pourquoi elle porte des lunettes vertes, on avait dit pailletées, bordel ! Des lunettes pailletées !
Il croisa sa mère qui s’esclaffait au milieu d’un groupe de mondaines lancée dans une discussion passionnée dont il n’était pas très difficile d’en deviner la teneur : les enfants et leurs frasques. Florian avait toujours trouvé impressionnant cette faculté qu’elle avait de s’intégrer dans n’importe quel milieu, qu’elle qu’en soit la circonstance. Par son caractère sociable, elle compensait sans aucun doute la réputation d’ours mal léché de son père et son côté professeur tatillon.
En passant par la salle de réception pour jeter un œil au plan de table, il manqua de percuter Clémentine qui voltigeait un peu partout, très fière de sa tenue.
— Regarde un peu, comme je brille ! s’extasia la petite fille en tournoyant, admirant les strass de sa robe chatoyer sur les murs sous l’éclat du couchant. Précédée de cet halo, on aurait dit une petite fée.
Florian la suivit des yeux alors qu’elle évoluait sans complexe sur la future piste de danse. Elle s’attarda un instant à asticoter la couette de Zoé qui passait, aussi curieuse que lui de la disposition de la salle, puis décida d’embêter le couple qui discutait, – flirtait serait plus exact – à l’opposé de la pièce.
— Eh ben, y en a qui s’amusent bien !
Florian crut que Zoé dénigrait l’attitude de Clémentine vis-à-vis d’inconnus jusqu’à ce qu’il reconnaisse Sophie, qui tentait d’écarter Clémentine d’une petite poussée affectueuse sur les fesses. N’importe qui d’autre aurait compris le message ; mais il en fallait beaucoup plus pour décourager Clem’ de jouer la sans-gêne jusqu’au bout.
— Tu m’inviteras à danser tout à l’heure ? Y a pas que ma sœur quand même !
Sophie était furieuse, mais le jeune homme eut pour Clémentine un sourire indulgent du mec-qui-se-la-joue-cool-pour-séduire-la-grande-sœur-et-qui-doit-donc-trouver-trop-mignonne-le-vrai-pot-de-colle.
— C’est vrai que ce serait dommage de ne pas te faire danser, avec une si jolie robe.
Rayonnante, Clem’ fit bouffer ladite robe, ravie d’avoir trouvé un connaisseur. Florian échangea un regard avec Zoé et elle grimaça, tout aussi indécise. Heureusement, Clémentine ne maîtrisait pas encore totalement le concept de l’ironie et n’avait donc pas à déterminer si la remarque comportait un sous-entendu un tant soit peu blessant. Florian n’avait qu’à espérer qu’elle soit sincère. Dans le doute, il décida de ne pas intervenir, pour ne pas provoquer un autre scandale de type Maurel. Surtout que le gars accordait à présent toute son attention à sa petite sœur, l’interrogeant sur sa vie et ses activités préférées. Florian était rassuré, il y avait encore des gens biens sur cette terre.
— Il est trop gentil pour Sophie, confirma Zoé, boudeuse. Elle va le dévorer tout cru.
— Ne sois pas jalouse.
— Pourquoi ce ne sont jamais les mecs de mon âge qui sont mignons comme ça ?
Florian ne répondit pas. D’abord parce qu’il n’avait aucun avis sur la question. Ensuite parce qu’il venait de réaliser un truc. De découvrir l’élément surnaturel au cœur de cette soirée. Il rentra la tête dans ses épaules, prêt à supporter une autre tuile s’ajoutant à la liste de sa future maison tuilée. Mais pas ce soir.
— Tu vas où, là ?... Mais enfin, qu’est-ce qui te prend ?
Courage, fuyons !
Florian détalait en direction du parking. Comme de bien entendu, ce n’est pas lui qui avait les clés. Il s’en foutait, il partirait d’ici à pied s’il le faut. Une main l’agrippa brutalement, le stoppant dans son élan à lui broyer le bras.
— Du calme, c’est moi !
Gabrielle l’observait d’un air soucieux, sur la défensive, comme s’il était sur le point de la frapper. Florian s’aperçut que c’était ce qu’il s’apprêtait à faire par simple réflexe et cette révélation acheva de lui couper le souffle.
— Tu es tout blanc, Flo. Qu’est-ce qui se passe, il y a un problème ? demanda-t-elle d’une voix pleine de sollicitude.
— Gabou… Il déglutit. Il faut que je me tire d’ici. Tu pourrais me prêter ta voiture un moment ?
Éberluée, Gabrielle le dévisagea. Elle dut comprendre qu’il y avait urgence car elle fouilla dans son sac et lui tendis les clés sans plus de questions, mais l’air grave.
— C’est bien parce que c’est toi. Dans quel merdier tu t’es fourré cette fois ?
— Florian ?!
Il se retourna tellement vite qu’il dérapa, trouvant le salut dans les bras de Gabrielle. Retrouver l’équilibre était un sacré défi, sans compter le gênant de la situation, bien moins problématique cependant que de ne pas regarder Arthur pour ne pas voir la panique qui se reflétait sans doute dans ses propres yeux.
— Mais merde, c’est pas vrai !
Gabrielle faisait l’aller-retour entre son visage et celui d’Arthur. Arthur posa les yeux sur les clés de voiture entre les mains de Florian et parut comprendre plus ou moins la situation globale. Sur sa figure se disputaient la confusion, la résignation et l’empathie, et un autre sentiment, impossible à interpréter.
— C’est le mariage de ma cousine, se justifia brièvement Florian, convaincu qu’il n’en fallait pas plus.
Arthur recula, nettement déboussolé.
— De ta cousine ?! répéta-t-il, consterné.
— Cousine issue de germain en fait. Cousine au second degré.
— Florian, mes clés, tu les prends ou pas ? s’impatienta Gabrielle, lui offrant une implicite porte de sortie. Et fusillant Arthur du regard. Arthur la défia à son tour, furieux qu’elle s’interpose dans une conversation qui ne la concernait pas, merci bien. Florian s’empressa de rendre ses clés à sa cousine avant que cela ne dégénère.
— Merci bien, mais ce n’est pas la peine finalement. Arthur, Gabrielle. Gabrielle, Arthur.
— Et qu’est-ce que Arthur fiche à ce mariage ? s’enquit Gabrielle, méfiante.
— La même chose que toi, apparemment, riposta Arthur.
— Ah, ça c’est que j’appelle une soirée réussie ! s’exclama soudainement sa mère en s’incrustant, crochetant son bras dans celui de son fils dans un geste qui se voulait complice. Alors, on s’amuse les jeunes ? Wow ! Un peu trop pour certains à ce que je vois !
Arthur pensait qu’elle faisait référence à la tension plus que palpable qui émanait de leur petit comité mais elle dardait son regard pailleté au-delà de leur groupe, en direction de Matthias qui contait fleurette.
— Qui est cette jolie jeune fille qui fait les yeux doux à ton baratineur de frère ?
— C’est ma sœur, Sophie.
Arthur prit une profonde inspiration pour s’inciter au calme tandis que sa mère se tournait vers Florian, les sourcils froncés dans une intense concentration.
— Sophie, Sophie… Attends une minute, toi… Tu ne serais pas le fils de Maud ? Mon Dieu, tu es son portrait ! Elle est là ?!!!
— Euh, oui… Elle est dans le coin, enfin… je… crois.
— Mais c’est FAN-TA-STIQUE ! Florian !!! Je ne l’ai pas vue depuis ta naissance, tu t’en rends compte !!! Je suis sa cousine, on passait tous nos étés ensemble ! expliqua-t-elle d’un air béat, limite les larmes aux yeux.
Arthur s’en serait douté. Mais entre une possible éventualité et la confirmation, il y avait une grosse différence. Et cette différence lui comprimait la poitrine.
Florian n’osait plus le regarder, désemparé mais fataliste. Gabrielle, elle, n’arrêtait pas de le fixer, les lèvres aspirées dans une pose ridicule.
— Il faut absolument que j’aille lui faire un petit coucou ! continua sa mère, comme si celle de Florian se trouvait à plus une heure de route d’ici. Et Sophie ! Oh mon Dieu, c’était une petite puce adorable à l’époque ! Ah là, là, mais ça ne nous rajeunit pas, tout ça !
— Adorable ? répéta Florian, plus que dubitatif.
Elle ne prêta pas attention au scepticisme de Florian, balayant scrupuleusement la foule à la recherche de sa cousine.
— Oh ! ça y est, je la vois ! Elle n’a pas changé, c’est fou ! Ah, elle est manifestement occupée avec ta petite sœur pour le moment !
Elle désignait une jolie femme blonde qui aidait une autre blondinette à nettoyer une tache rosée s’étalant sur sa robe jaune vif, au grand désarroi de la fille, qui n’en finissait pas de chouiner. Arthur ne savait même pas comment il arrivait à enregistrer autant d’informations tellement son cerveau bouillonnait, et son cœur palpitait jusque dans ses tempes en alerte rouge.
Il voulait que Gabrielle arrête de le regarder, il voulait que Florian le regarde. Il voulait que sa mère arrête de parler, il voulait que son père soit présent pour l’arrêter. Il voulait que Matthias cesse son opération séduction avec Sophie. Il voudrait disparaître dans un trou de souris.
— Ah, les enfants ! tu n’as que des sœurs, c’est bien ça Florian ? Ah, ta Maman a du courage, elle a toujours été déterminée ! Pour moi, c’était déjà compliqué avec deux, mais alors avec cinq ! Enfin, c’est surtout celui-ci qui nous a donné du fil à retordre, n’est-ce pas trésor !
— Maman, s’il te plaît, siffla Arthur, désespéré. Ne s’arrêtera-t-elle donc jamais de parler ? Elle n’allait quand même pas déballer toute son enfance et la liste de tous ses psys ?
Il tenta d’endiguer le flot de paroles de sa mère qu’on ne retenait plus, plus bavarde que jamais, en lui suggérant d’aller de suite embrasser sa cousine et de les laisser tranquilles. Mais évidemment, Florian s’en mêla.
— Je connais déjà Arthur, madame, intervint Florian d’une voix ferme, et je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi courageux et responsable que lui.
La mâchoire de Gabrielle allait se déboîter ; Arthur avait l’impression d’imploser. Il essaya de croiser son regard pour lui faire cesser son cirque illico mais Florian refusait obstinément de le regarder et s’adressait au sol, tel un enfant buté.
— Décidemment je suis vraiment ravie de constater que les chiens ne font pas les chats.
« Quoi ? Mais qu’est-ce qu’elle raconte ? Que quelqu’un la fasse taire ! ».
— Tu es vraiment un garçon adorable ! Un de ces jours, vous me raconterez tout ça, hein ? Bon, eh bien, je vous laisse entre jeunes. Je fonce, moi. Et au passage, chéri, tu peux aller dire à ton frère d’arrêter de draguer sa cousine ?
C’était le bouquet.
Après son départ, Gabrielle laissa échapper un petit cri survolté, avant de se tourner vers Florian.
— Mais depuis quand tu sors des phrases pareilles, toi ?
— Laisse tomber.
— Et donc, c’est notre cousin, lui maintenant ? Sa mère doit aussi connaître Papa, c’est logique, vu que c’est aussi son cousin.
Elle réfléchit, concentrée, en rajustant son bandeau sur ses cheveux blonds torsadés.
— Donc, Manon pour toi c’est… Ben pareil que nous, ta cousine au deuxième degré ou un truc comme ça ! Oh la famille, c’est d’un compliqué !
Arthur tressaillit et scruta Gabrielle sous un jour nouveau. Sa cousine … Florian s’attaquait méthodiquement à l’observation du parterre de fleurs. Seule une légère crispation de ses épaules aurait pu trahir son exaspération mais Gabrielle ne la remarqua pas, trop occupée dans ses conjectures.
— Je veux dire, c’est quand même dingue ce genre de coïncidences, non ?
Devant leur absence de réaction, elle remonta ses lunettes sur son nez d’un mouvement agacé.
— C’est quoi votre problème ? Non mais sérieux, Florian, il se pointe et tu pars en vrille. Qu’est ce qui se passe ?
— Il y a que je ne crois plus aux coïncidences depuis un bail, marmonna Arthur. Et Florian aussi, s’il avait le courage de regarder la réalité en face.
Florian encaissa sans un mot, rouge écrevisse. Gabrielle afficha une délicieuse mimique « Ok, je suis complètement paumée, je renonce à comprendre, je vais donc agir avec tact ».
— Puisque vous avez vos petites affaires à régler, je vais vous laisser, hein. J’ai d’autres potins à raconter à Audrey ! Flo, ça ira ?
Florian acquiesça et Gabrielle lui enfonça gentiment son poing dans l’épaule.
— Mouais, arrête de faire genre, tu veux ?
Arthur dut se contenter d’un vague « À la revoyure, très lointain cousin », à son encontre. Une cousine qu’il n’était pas manifestement prêt de revoir, et ça lui convenait très bien.
— Dire que ta mère trouvait Sophie adorable… Pfiou, elle ne l’a vraiment pas vue grandir.
Arthur resta subjugué devant son soudain flegme surgi de nulle part. Il n’arrêtait jamais de souffler le chaud et le froid, Florian.
— C’est tout ce que tu trouves à dire ?!
— Que veux-tu que je dise ? Le reste était prévisible. Dès que j’ai reconnu ton frère, en train de draguer ma sœur… je veux dire, c’était plié. C’est toujours le même schéma.
— Ouais, tu sais quoi, arrête de faire style que ça n’a pas d’importance, parce que là, Gabrielle a raison, ça te va pas, mais alors pas du tout. Et sinon, le reste de tes vacances ?
— Je n’ai pas vraiment bougé. Et je n’ai pas fait grand-chose. À part ressasser le bilan plus ou moins foireux de cette année, surtout sur la fin…
Arthur comprenait l’amertume de Florian, il se repassait souvent la même depuis quelques années déjà. Y avait des jours où il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser.
Florian brouilla rapidement de la main ses cheveux comme pour effacer ses idées noires et reprit avec emphase, non sans ironie :
— À part ça, la famille, rien que la famille… On y revient toujours, hein ?
C’est pour cela que tu as voulu te barrer. Ce n’était pas un hasard s’ils se retrouvaient tous deux apparentés sur un coup de baguette magique, eux qui entremêlaient déjà leur sort au même miroir. Sa présence au mariage de sa cousine impliquait beaucoup trop et Florian aurait préféré se voiler la face plutôt que de mêler sa famille à cette folie. Arthur déchiffrait d’autant plus facilement ces non-dits qu’il les partageait.
Pourquoi moi et pas eux ?
En quelque sorte, pourtant, c’était rassurant de se dire qu’ils n’étaient pas tous condamnés, qu’il y avait une limite à la casse. La plupart avait une chance de s’en tirer de mener une vie normale. Mais jusqu’à quand ? Selon la théorie élaborée par Mélissa, il restait quelques « postes » à remplir pour obtenir une séquence complète. Qui serait choisi ? Et qu’est-ce qui déterminerait ce choix ?
— C’est dans ces moments-là que je comprends Bastien, l’attitude qu’il a avec Claire. C’est encore plus dur quand quelqu’un à qui tu tiens est concerné. Si une de mes sœurs, ou même mes cousins… Je ne sais pas comment j’agirais. Et lui… il avait déjà perdu… un frère…, ce n’est pas...
— Ce n’est pas juste, je sais, acheva Arthur devant la difficulté de Florian à terminer. On est tous paumés. Mais ce qu’il y a de positif dans cette histoire, c’est qu’on est au courant. Le reste viendra tout seul.
À vrai dire, il n’en savait plus rien. Florian ne voyait sûrement pas la blondeur de Gabrielle entachée d’une animosité bestiale qui la pousserait à essayer d’égorger Arthur dans un accès de colère. Arthur, lui, ne pouvait imaginer la désinvolture de Matthias éclatée au cœur d’une guerre absurde et dénuée de sens, édictée par des créatures cauchemardesques… Et par des voix qui leur rappelaient l’allégeance au miroir en les opposant les uns aux autres. Ces voix sur lesquelles il fallait sans doute mettre un visage du temps passé, à l’instar d’Émile. Et Émile justement ? Pourquoi lui, pourquoi moi, en quoi sommes-nous liés ? Parce que nous possédons la même aptitude ? Parce que j’ai contribué à sa mort ? Ou parce qu’il serait mon ancêtre ?
Et soudainement, tout devenait une affaire familiale. Et soudainement, tout n’avait plus aucun sens.
Et Bastien dans l’histoire ? Était-il le grain de sable dans cet engrenage infernal ?
Une petite fille toute en bouclettes surgit et se jeta dans les bras de Florian, en s’aidant de ses petites jambes à la manière d’un ouistiti pour l’escalader. Arthur reconnut le petit diable qui avait mis le feu à la cérémonie.
— Doucement, Emma ! s’exclama Florian avec un peu trop d’ardeur et Arthur devina qu’il s’agissait pour lui de l’intermède parfait pour se ressaisir. Florian cala la fillette sur sa hanche avec une attention qui démontrait une profonde tendresse pour sa petite sœur.
— Tu tombes bien, je voulais justement te présenter Arthur, mon ami. Et… ton cousin, ma puce. Dis-lui bonjour.
Emma plissa d’abord son petit front, perplexe devant ce nouveau cousin improbable puis adressa à Arthur un petit sourire timide, à moitié dissimulé derrière sa main potelée.
— Elle sait charmer son monde, mais c’est une petite chipie ! le mit en garde Florian en chatouillant l’enfant.
— C’est ce que j’ai cru comprendre, sourit Arthur. Mais c’est de famille, les caractères trempés ! Et je n’avais jamais vu de chipie aussi jolie !
Sous le compliment, Emma se recroquevilla davantage contre Florian. Arthur n’eut aucun mal à la trouver adorable.
— Avec de telles cousines, on ne sera pas trop de deux pour les empêcher de faire des bêtises !
Le regard que lui jeta Florian fut indescriptible. Un pacte implicite passa entre eux, parmi le contraste des rires et des conversations qui enflaient autour d’eux. Emma s’assombrit, troublée devant tant de sérieux.
— Je crois qu’on en a pour un petit moment de toute façon, ajouta Arthur en se tournant en direction de leurs mères en plein dans leurs joyeuses retrouvailles. Elles avaient l’air de bien s’amuser.
— Si Gabrielle te laisse une seconde chance, c’est gagné, rit enfin Florian en laissant glisser sa sœur à terre.
Arthur n’en était pas si sûr, mais préféra s’abstenir de commentaire sur l’impétuosité de Gabrielle.
— Le pire, c’est qu’on n’allait pas tarder à partir, après le cocktail. On doit retrouver mon père demain. Il veut nous emmener en Écosse.
— Tu veux dire que je n’aurais eu à attendre que, quoi, 30 minutes à tout casser avant de me mettre à courir comme un parfait imbécile ?
— Si tu n’avais pas couru comme un parfait imbécile, je ne t’aurais peut-être pas vu, surtout.
Florian parut contrarié puis s’empara de la main de sa petite sœur.
— Est-ce que tu as faim, Emma ?
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