Chapitre 19 (2/2)

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Florian n’avait pas dormi de la nuit. Il était rempli d’une énergie nouvelle. Voilà pourquoi il sonnait chez Romain un samedi matin.

Un homme en peignoir, aux yeux de hibou mal remplumé, vint lui ouvrir. En avisant Florian, il s’avachit à moitié sur sa porte.

— Bonjour, Monsieur Dauret. Pourrais-je parler à Romain, s’il-vous-plaît ?

— Florian, il est 9 heures du matin ! Qu’est-ce qui te prend de te pointer à une heure pareille ?

— Il est un peu tôt, c’est vrai, j’en suis désolé. Mais il fait déjà très beau vous savez.

— Hein ? À quoi tu carbures le matin ?

— Laisse Papa, c’est bon. Je l’attendais.

Romain lui attribua un petit sourire tandis que son père rentrait dans son antre en râlant.

— En fait, je ne m’attendais pas à te voir débarquer aussi tôt. Dans tous les sens du terme.

— Je peux me montrer très spontané.

— Moui, si tu le dis. J’ai appris, pour Chloé et toi.

— Toute la ville est au courant ?

— Désolé. Vous formiez un très beau couple.

— Moins réel que le vôtre, apparemment.

— C’est moche ce qu’elle t’a fait.

— J’ai connu des jours meilleurs. Ce n’est pas pour cela que je suis venu. Enfin, si, mais c’était surtout pour te voir un peu, toi. On parlera de Chloé plus tard.

Romain parut indécis.

— Tu as déjà passé du temps avec moi la semaine dernière.

— Et alors ? Tu as un planning tellement chargé que je dois caler un rendez-vous six mois à l’avance ?

— Qu’est-ce que tu nous fais ?

— Disons que j’ai réalisé que je ne voulais pas perdre votre amitié. J’essaie de renouer. Pour reconstruire une relation solide. La vie est trop courte pour la gâcher en broutilles.

— Tu as bu ?

— Les envolées lyriques, c’est pas trop mon truc d’habitude, mais tu exagères un tantinet. Tu me fais entrer ou je poireaute le temps que tu te prépares ? C’est comme tu veux, j’ai tout mon temps. Et l’air est vraiment bon ce matin.

Romain promena le bout de sa langue sur ses lèvres sèches. Sceptique.

— Les ruptures ne te réussissent pas du tout.

— Qui sait ? Mathieu a peut-être raison, c’est sans doute une bonne chose. Une chance de démarrer à zéro une nouvelle année.

— Mathieu ? Ah, oui, ton nouveau coloc’. Ce virage à 190 degrés, c’est dur à suivre, même pour nous. Tu vois, je me demande si ce n’est pas une raison supplémentaire pour laquelle Chloé t’a largué.

— Non, ce n’est pas pour cela qu’elle m’a largué. Et oui, mon coloc’. Il faut que je t’en parle justement. Mais après. J’ai un plan.

Romain eut un rire franc.

— Il a un plan. Ça, ça te ressemble plus.


*

Chloé ouvrit de grands yeux ronds face au bouquet que lui tendait Florian. Il était gigantesque, ce bouquet. Elle l’attrapa du bout des bras comme un colis piégé.

— Il y a un malentendu, là, constata-t-elle d’une voix tremblante. Tu veux te venger de l’autre soir ? Je ne vois pas d’autre explication à ce que tu te présentes chez moi un dimanche après-midi avec un… une espèce non identifiée.

« Pitié, faites que ce ne soit pas un rencard, pitié. Jette-moi ce bouquet à la tronche si tu le veux mais ne m’invite pas à un rencard ».

Voilà ce que criaient les yeux très expressifs de Chloé voletant comme une chauve-souris égarée.

— Je t’invite au ciné pour fêter dignement notre rupture, déclara galamment Florian. Il fallait que je marque le coup par un bouquet aussi volumineux.

— Oh, mon Dieu.

Chloé porta la main à sa bouche et laissa choir les fleurs sur ses chaussures.

— N’hésite pas à le piétiner, il est là pour ça. Contrairement à ces fleurs, mon cœur s’en remettra.

Cela semblait plus classe dans ma tête, mais passons. Comme c’est un rendez-vous entre amis, j’ai choisi une comédie bas de gamme, pour qu’il n’y ait aucune méprise. Et j’ai pris la liberté d’inviter Romain.

Chloé était muette. Ses pieds ensevelis de fleurs.

— C’est gênant pour moi aussi, l’informa Florian dans une grimace. Je sais que j’ai rejeté un peu trop brutalement ta proposition de rester amis, d’où le bouquet. Mais ne t’inquiète pas, je ne viens pas te harceler, hein. J’y ai pensé, j’avoue, mais ce ne serait pas très chic de ma part. Et puis, j’ai une réputation à tenir.

— Une réputation ? Tu veux récupérer tes habitudes de bad boy ?

Florian lui adressa un clin d’œil, simplement heureux qu’elle entre enfin dans le jeu. Difficilement, avec énormément d’embarras, mais c’était un début.

— La séance est dans 1 heure 30. Je t’attends si tu veux te préparer. Tu es déjà parfaite en l’état, mais si tu préfères, tu as le temps de te changer.

— Tu me promets que c’est une sortie entre amis, rien de plus ? Et Romain vient, c’est sûr et certain ?

— Ta confiance me touche. Appelle-le, si tu veux confirmer. Il nous retrouve directement là-bas.

Chloé sortit son portable sans le quitter des yeux.

— J’en ai pour une minute, dit-elle en disparaissant dans la pénombre.

— Je t’en prie.

Elle réapparut cinq minutes plus tard. Ramassa le bouquet toujours étendu entre eux au travers de la porte.

— Je leur trouve un vase et j’arrive, signala-t-elle sans le regarder.

— Vas-y.

Quand elle se re-présenta devant lui, elle se balançait d’un pied sur l’autre, comme pour bercer un nourrisson. À contretemps. Elle avait bien des qualités, mais le sens du rythme n’en avait jamais fait partie. À la voir encore plus mal à l’aise que lui, Florian ne put s’empêcher de rire.

— Je ne vais pas te sauter dessus.

— Je n’en suis pas si sûre. J’aurais dû garder les fleurs en bouclier.

Florian cala son bras dans le siens, sans chichis.

— On ne doit pas être en retard. Allons-y.



Quand elle les aperçut dans la file pour la prochaine séance, Chloé freina. Elle voulut se dégager mais Florian avait anticipé. Elle lui fit face en véritable harpie.

— C’est quoi ce cirque ?! siffla-t-elle.

— Je t’avais promis un ciné entre amis. Seulement je n’avais pas précisé avec qui.

Chloé devint rouge, puis verte, puis livide. Elle tira Florian en arrière ; il la tirait vers lui, plus vigoureusement.

— Viens, je vais te les présenter. Ne fais pas la timide, enfin.

Empêtrée dans le guet-apens, Chloé se fit remorquer par son ex petit-ami jusqu’à ses ex-amis. Planter ses talons dans le sol ne lui fut d’aucun secours. Elle n’aimait pas faire de scène et Florian avait misé là-dessus. Mêlé aux autres, il lui fit donc remonter la file sans encombre. Bastien les vit en premier, effondré. Mathieu regardait les bandes annonces, pépère, sans s’apercevoir que Florian leur offrait Chloé en victime sacrificielle. Le temps qu’il le remarque, elle était devant lui. Il se liquéfia à son tour.

Personne ne pipait mot. À ce rythme-là, il n’y aurait pas de film et tout serait à recommencer. Florian décida donc de passer à la vitesse supérieure.

— Chloé, je te présente Bastien, un ami, et Mathieu, mon coloc’. Mathieu, Bastien, voici Chloé, ma nouvelle amie.

Sous le coup de l’émotion, les yeux de Bastien allaient jaillir à terre. Médusé, Mathieu regarda Florian, puis Chloé. Puis leur bras-dessus, bras-dessous un rien forcé.

— Qu’est-ce que tu essaies de faire, Florian ?

L’accusation dans sa voix était réelle. Florian dénoua son bras et plaça doucement le ticket dans la main de Chloé. Elle n’était pas loin de fondre en larmes, le menton tremblant.

— Par chance, vous êtes placés côte-à-côte.

Longue pause inconfortable.

— Vous savez, l’avantage du ciné, c’est que vous n’êtes pas obligés de vous parler, précisa Florian avec gaucherie.

Bastien le jaugea. Sans précipitation. Pour retarder l’instant.

« Comment peux-tu nous faire cela ? », hurlait chacun de leurs visages. Florian était impavide. L’accès à la salle se libéra et tout se mit en branle, les poussant en avant.

— J’ai à faire ailleurs, se défila Florian quand arriva leur tour. J’accompagnais ces trois-là, précisa-t-il à l’ouvreur qui prenait leurs tickets. Magnanime, l’homme lui ouvrit le passage transversal et referma le cordon derrière lui. Il enfourna ses amis dans une grande brassée pressée. Mission accomplie.

Balle au centre.

Florian chaussa ses lunettes noires imaginaires, pas peu fier de lui. N’est pas bad boy qui veut. Il suspendit son geste. Aïe. Ça, il n’avait pas prévu. Ils avaient étendu l’offre aux filles.

— Claire ! Ici !

Placée dans le peloton de queue, Claire parut surprise de le voir en-dehors de la file. Elle rebroussa chemin pour le rejoindre, Cécile dans ses pattes.

— Ne me dites pas que vous comptiez prendre cette séance.

— Ben si. Mathieu et Bastien sont déjà rentrés ?

— Je vous conseille de prendre la séance suivante. Bastien et Mathieu sont actuellement avec Chloé, là.

Claire eut un drôle de rictus.

— C’est quoi ce coup monté ? Ah, toi et tes idées… ça aurait dû être la mienne celle-là ! Pourquoi tu ne m’as pas mise dans la combine ? se lamenta-t-elle, vexée.

— Non mais vraiment, vous êtes cinglés, remarqua Cécile, d’un tout autre point de vue.

— Je sais. Florian lui adressa un sourire contrit. Pour me faire pardonner, je vous rembourse les billets.

— On peut encore les échanger sans frais, la séance ne commence pas avant 15 minutes. Autant aller en voir un autre, vu qu’on est là. Je préfèrerais voir celui-là, c’est un thriller d’action psychologique ! s’écria Claire en pointant un doigt enthousiaste sur une affiche.

— Je n’ai rien compris mais je te suis, approuva Cécile en se rapprochant pour prendre connaissance des horaires. Il y a une séance dans trente minutes.

— Demi-tour, vite, on doit échanger ces billets ! Claire redescendit sur terre.

Ah, euh, Florian… C’est ton genre de films ?

— Tu veux venir avec nous ?

Pourquoi ces mots sont-ils sortis de sa bouche ? « Il va croire que je m’intéresse à lui maintenant. Ou que j’ai pitié de lui à cause de sa rupture. Mais ce ne serait pas correct de le laisser en plan ! ».

— Euh, si tu le veux, hein. On ne veut pas te forcer donc ne te sens pas, euh, forcé…


Cécile s’emmêlait les pinceaux. Elle ne savait pas trop si elle avait envie que Florian s’incruste ou non. Surtout que c’est elle qui l’incrustait au final. S’il pouvait décliner l’invitation, ce serait bien. Mais elle se sentirait mal s’il le faisait. Cela voudrait dire qu’il ne les appréciait pas ou qu’il trouvait leurs goûts douteux. Ou alors il ne se sentait pas à sa place au milieu de filles. Et s’il y a des scènes de romance, cela risque de le déprimer encore plus et surtout ce serait horriblement gênant…

Florian observait Cécile se débattre dans son grand verre d’eau. Elle s’en faisait une montagne de pas grand-chose.

Il le pensait, il n’avait pas l’intention de l’abandonner elle non plus. Il se chargerait de sa protection quoi qu’il advienne. Quoiqu’elle n’en ait pas forcément besoin. Ni envie. Ce serait malavisé de la traiter en poupée fragile. Cécile cachait en elle un feu qui ne tenait qu’à elle de découvrir. Si leur rôle était de l’y aider, soit.

— Je ne me sens pas forcé, c’est avec plaisir. C’est plus mon truc qu’une comédie ringarde !

Cécile rosit légèrement.

— Super. Tant mieux.

Elle lissa sa chemise avec une concentration étudiée. C’était adorable malgré tout.


« C’est juste qu’elle est jolie ». Il l’avait déjà remarqué.

« Et super sympa ». Ça aussi, il l’avait remarqué. Un peu trop parfois, même.

La réalité le cogna violemment :

« Tu es formidable. Mais je pense que je t’ai trouvé formidable uniquement parce que tu es apparu au bon moment dans ma vie », lui avait dit Chloé.

Et tous ces gens formidables qui apparaissaient aux mauvais moments de sa vie, il en fait quoi de cette deuxième catégorie ?

On les protège mais on ne s’amourache pas d’eux ! Un point c’est tout !

Curieusement, la voix s’affolait de la perspective.

Je n’aime pas Cécile, je suis encore amoureux de Chloé. Et je souffre encore. Je ne suis pas bête, je sais encore faire la différence.

Tu as intérêt.

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