Chapitre 21 (2/2)

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« La réalité est comme un visage qui se reflète sur la lame d’un couteau ; ses caractéristiques dépendent de l’angle sous lequel nous l’envisageons. »

Maître Hsing Yun

Placardée contre le mur, Fanny ne se départait pas de son beau sourire pour autant. Sans rire, elle semblait ravie de le voir même. Elle s’illuminait de l’intérieur.

— Ça va vite devenir une habitude de prendre les filles par la peau du cou. Donc tu ferais mieux de corriger cette attitude agressive au plus vite.

— J’aurais dû te tuer quand j’en avais eu l’occasion !

— Effectivement. Mais comme tu as laissé passer cette chance il y a un petit bout de temps, tu serais gentil de me poser à terre;

— Ne commence pas. Lâche-là.

Constance n’était pas aussi extatique par sa présence. Revenir pour mettre la pagaille d’entrée de jeu ne lui rapporterait pas des points auprès d’elle. Il ne tint aucunement compte de sa remarque, trop occupé à essayer d’étrangler Fanny. Ce n’est pas parce qu’il devait échouer qu’il ne pouvait essayer.

— Pourquoi as-tu fait ça ? Tu ne pouvais pas me laisser tranquille ?

Elle ne détournait pas les yeux, aucune trace de contrition ou de remords ne transparaissait sur son visage. Elle paraissait sincèrement croire qu’elle avait fait pour le mieux.

— Et te laisser retourner dans la boucle ? Tu me crois cruelle à ce point ?

— Je ne t’avais rien demandé. Ou plutôt si, je t’avais demandé de me tuer ! Il résista à l’envie de la secouer comme un prunier. Que te faut-il comprendre de plus ?

Elle parut blessée.

— Ne va pas me dire que tu regrettes cette initiative, je ne te croirais pas. À ce que je vois, tu es loin d’en avoir terminé ici.

Elle laissa s’échapper une poignée de secondes en le scannant sous toutes ses coutures.

— Pas vrai, Flo ? l’apostropha-t-elle non sans sarcasme.

Furieux, Florian raffermit son image qui s’effritait sous l’effort. Il ne devait pas s’évaporer de nouveau, pas sous cette dissection moqueuse.

— C’est ridicule. Tu t’épuises pour rien. Jusqu’où crois-tu aller ? Renonce, le sollicita Constance, d’une octave tourmentée. Et légèrement envieuse. Si tu tenais réellement à eux, tu ne jouerais pas à cela.

— Tu nous reproduis toujours les mêmes erreurs. Tu finis toujours par chercher à retenir ce qu’il ne faut pas. Et je ne parle même pas des filles. Encore une fois, Cécile, c’était la mauvaise pioche !

— Peter, le houspilla Christian qui le voyait arriver.

— Je suis sérieux. Il finit toujours par nous dégotter la mauvaise fille qui fait tout capoter.

Florian se retourna pour toiser Peter.

— Tu as beau jeu de dire ça. On reparle de ce que nous a rapporté ta dernière conquête ? La seule qualité qu’on peut conférer à Elena, c’est d’avoir bon goût en matière de préférences !

— C’est reparti pour un tour, soupira Constance. Misère.

Toujours suspendue, Fanny désapprouva la scène d’une petite stridulation réprobatrice.

— Vous allez nous reprendre votre dispute en l’état ? Voyons Pete, il vient tout juste d’arriver.

— Et il a l’intention de repartir et reprendre sa petite amourette du début. Avec Cécile ? Et pourquoi pas avec Ninon tant qu’on y est ?!

— Peter, non !

Peter était allé trop loin sur ce qu’il pouvait supporter. Louis céda et abandonna Florian. Il se jeta hors de l’enveloppe érodée qui l’affaiblissait pour se jeter sur son cousin.

Il fut projeté avec violence sur le sol. Christian appuyait un poignard contre sa jugulaire. Pas n’importe quel poignard. Le sien. Il se figea, incrédule.

— Ça suffit. Vous n’avez besoin de personne pour vous tailler en pièces tous les deux. Tu as besoin d’un coup de main pour te rappeler de l’issue de votre dernier combat, Pete ?

Peter ne se déroba pas, soudainement flegmatique.

— Ce n’est pas nécessaire.

Il sourit.

— Enfin je te retrouve. Qu’est-ce que t’en dit Chris, ça lui ressemble plus, ça, non ?

Il ferma les yeux, écrasé sous la réalisation de son erreur. Il s’était laissé dominer par des émotions qui n’avaient plus cours et Peter en avait profité. Résultat, il s’était fait avoir comme un bleu.

— C’était votre plan depuis le début.

— Dans les grandes lignes. Je te l’ai déjà dit, tu es trop sentimental. L’inconvénient de vouloir s’accrocher à tout prix à Florian. Sinon, quoi de neuf ?

— Tu n’étais pas obligé d’en venir à cette extrémité, nuança Christian, renfrogné.

— C’est le seul moyen de le faire sortir de ses gonds.

Florian essaya de se rassembler pour reprendre contenance mais Christian l’en dissuada.

— Ne m’oblige pas.

Il tenait le poignard en guillotine sous sa gorge sans même trembler. Le traître. Mais Florian n’avait pas dit son dernier mot. Quand bien même il payerait fort son acharnement à rester en vie.

— Regarde-moi, alors.

Il redoubla son essai sans s’arrêter à la menace du couteau. Il pariait sur l’incapacité de Christian à mettre sa menace à exécution. Il ne pouvait pas laisser tomber, il lui fallait revenir.

— Ne fais pas ça, l’exhorta Constance. Tu vas te perdre si tu réessaies.

Qui finira-t-il par perdre ? Si c’était Louis, ce n’était pas une grande perte en définitive. Rose ou Victor ne l’attendaient plus. Mais ses parents, ses sœurs… Toutes ses sœurs l’attendaient. Et ses amis resteraient ses amis quoiqu’il arrive. Florian ne pouvait envisager d’autre perspective. Alors que Louis aille voir ailleurs. Quitte à se désintégrer.

Seulement, Louis rechignait à céder la place. Et Florian hurlait dans sa tête sa peine à se réapproprier son corps. Il avait trop mal. Et Louis qui surenchérissait derrière.

Christian apposa la pointe et appuya. La lame palpita, prête à aspirer Florian.

— Tu vas vraiment me faire ça ? interrogea-t-il.

— Si tu continues, oui. Et tu sais pourtant que je n’en ai pas envie.

— On peut savoir ce qui se passe ici ?

Un rapide aperçu de Florian qui combattait pour reprendre le contrôle de lui-même en de multiples distorsions éthériques renseigna Antoine sur la situation. Il s’approcha et désigna le poignard que retenait Christian.

— C’est celui-ci ? Joli. Donne.

Il trancha d’un coup sec l’aura de Florian sans cérémonie. Il la sentit s’éventrer, se répandre en une multitude de grains de sables s’écoulant lentement entre ses doigts sans parvenir à la retenir. Il ne pouvait que regarder se dissiper ce à quoi il tenait le plus.

— Pas plus difficile que cela. C’en est fini de Florian. Point final, conclut calmement Antoine en rendant le poignard à Christian.

Ce dernier était insensible à l’épitaphe, effondré.

— Mais qu’est-ce que tu...

— C’était ce qui était convenu. Tu croyais que c’était de l’esbroufe ?

— Mais pas maintenant ! Il n’a pas eu le temps de faire ses adieux convenablement. Ils le croient en vie !

— Personne n’a le temps de faire ses adieux. S’il voulait jouer au survivant, c’est son problème, pas le tien.

Antoine ne plaisantait plus.

— Désolé, mais c’est la seule solution adéquate qu’on ait trouvée pour t’apprendre les limites. Tu vas rester coincé dans cet état tant que tu n’auras pas compris les tiennes.

Il le scrutait sans indulgence.

— Ne me regarde pas avec ces yeux-là, tu veux ? La crise identitaire, ils me l’ont tous faite, et certains ne l’ont même pas encore terminée. Tiens, ces deux-là par exemple. Il signala Christian et Fanny qui se raidirent, douchés.

— Beaucoup trop émotifs. N’est-ce pas Fanny ? Vouloir manier le destin, c’était un sacré coup tordu qu’elle t’a fait, je te l’accorde. Et encore, elle a fait bien pire. Mais toi, tu es bien le premier à vouloir gagner sur tous les niveaux et au final tu as perdu bien plus qu’eux. C’est désespérant mais bon, si ça peut empêcher ton échappée belle, tu peux le comprendre, non ?

Il le mitrailla du regard en guise de réponse.

— Il ne comprend pas. Vivement que ce cycle se termine !

— En les tuant plus rapidement ? C’est ça votre alternative pour ce cycle ?! En faire une boucherie de groupe !

— C’est parti d’un projet commun, mûrement concerté. On est tous tombés d’accord là-dessus, figure-toi. C’est le moyen le plus rapide de tenir le pacte sans trop faire de dégâts dans chaque camp.

« Tout s’emboîte à merveille et les évènements ne s’enchaînent que plus vite. Et comme par hasard, il s’est trouvé que nous avons le catalyseur parfait sous la main pour veiller à ce que chacun respecte la tenue d’ensemble ! Pour éviter les débordements et la boucherie, comme tu dis.

— Ne me prends pas pour un imbécile ! Tu parles de Natacha comme d’un objet ! Ça ne fait pas de différence pour toi ! Et nous utiliser en pions pour servir vos intérêts, c’est une monstruosité !

— Les intérêts de tous, rectifia Antoine. Et on était enfin parvenus à trouver un terrain d’entente après toutes ces décennies. On n’allait pas laisser tomber l’occasion de briser la boucle une fois pour toutes ! Tu t’es vraiment senti utilisé, dis-moi ? Tu ne le savais même pas ! Et quand bien même ? Un seul cycle sacrifié pour le bien commun, ce n’est pas plus mal au final.

 En lui, le peu qu’il restait encore de Florian écumait de fureur. Un seul cycle ? Mais à ses yeux, c’était une existence entière ! Il débordait à mesure qu’il établissait la liste de tous ceux qui étaient tombés dans le piège au nom de leur bien commun.

  Tous. Pas un n’y avait échappé en définitive. Tout avait été orchestré, jusque dans les moindres détails. Depuis le début, ils avaient été manipulés pour se retrouver, se rencontrer, se rapprocher. En suivant ces connexions et ces plans prédéfinis, l’un après l’autre avaient accéléré le processus imposé. À commencer par Bastien, le seul élément perturbateur du rouage. Bastien qu’ils avaient ensuite manié à leur bon vouloir pour tester à qui allait sa loyauté et dont ils s’étaient ensuite servis comme exemple pour resserrer les liens entre eux. Sans qu’ils s’aperçoivent que les fils inextricables qui les reliaient se tendaient jusqu’à les enfermer tous, rassemblés dans un même sac. Étouffés, affamés. Il ne resterait plus qu’à y introduire en temps voulu le leurre idéal, Ilan en l’occurrence, et les regarder s’étriper les uns les autres. Le chaos. C’était simple, c’était radical. Ce serait un carnage.

  Natacha ne ferait pas long feu une fois qu’elle ne serait plus d’utilité. Ce qui était déjà le cas. Elle n’avait été qu’un leurre. Bastien compterait également parmi les premiers dont ils se débarrasseraient. Il était impossible d’en faire un pion docile donc il était dangereux. Et Ninon… Ninon qu’ils avaient délibérément placée à l’écart. Serait-elle utilisée comme arme pour le remplacer de force le moment venu ?

Avec horreur, il se rendit compte qu’Antoine et les autres instigateurs du projet côtoyaient le miroir depuis bien trop longtemps. Il n’y avait plus rien d’humain dans leur stratégie.

Les libérer de la boucle, oui. Mais à quel prix ?

— Comment as-tu pu mêler Natacha à ça ? Elle n’avait rien à voir là-dedans !

— Tu n’es pas le premier à m’en parler, remarqua Antoine d’un air ennuyé. Mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle en fasse partie. Et elle s’est présentée quand il le fallait. Elle devrait s’estimer contente d’être partie intégrante du projet, elle a clairement le beau rôle. La façon dont on la gère ne devrait pas te déranger. Grâce à Natacha, tu es resté vivant bien plus longtemps que l’on pouvait ne l’escompter. Regarde, sur la fin, c’est même elle qui a abrégé ta souffrance.

— Et Ninon ? Comment peux-tu jouer de la sorte avec Ninon ?

Antoine sourit.

— Il faudra que tu choisisses de quel côté tu te situes. Un coup tu me parles de Natacha, puis tu embranches sur Ninon comme si tu t’en souciais réellement et là j’ai l’impression de m’adresser à un vieux pote. Il va te falloir démêler cela et réfléchir à celui que tu veux être parce que là, c’est assez obscur.

— Laisse à Florian un peu de temps pour s’effacer complètement, s’impliqua Peter. Une fois qu’il l’aura assimilé totalement, il aura les idées plus claires.

— Je sais. Ce n’est pas pour rien que je l’ai laissé débiter ces fadaises. C’est clairement son point de vue. Il est encore là. C’est prodigieux de voir ce qu’on peut faire pour garantir sa survie.

— C’est un juste retour des choses au vu du mal que l’on s’est donné pour en arriver là, s’empressa d’appuyer Constance. Tu as vu à quel point il s’est attaché à eux ?

— Hum. Mais le revers de la médaille, c’est qu’on le récupère dans cet état. Regarde-le nous faire un caprice de gosse, renifla Peter, nettement moins convaincu.

Très révélateur, le comportement belliqueux de Florian qui refusait de se laisser amalgamer démontrait la force des relations qui les unissaient… et marquait la totale réussite d’un dessein machiavélique. Florian le savait, c’est pourquoi il ne pouvait lâcher prise, révolté.

Raison de plus pour le garder en sécurité un petit moment. Après tout, aucune entrave, aussi solide soit-elle, ne peut-être dénouée par le temps. Je ne lui donne pas six mois pour revenir à de meilleurs sentiments.

Antoine se pencha et saisit Florian par le menton.

— Bientôt tu ne t’arrêteras plus à une conception aussi étriquée des cycles mais tu auras pris de la hauteur. Tu vas vite comprendre la portée de nos actes dans une perspective plus globale. Attends un peu de voir si tu ne changes pas de point de vue d’ici-là.

Le pire, c’est que c’était sûrement vrai. Il lui suffisait de regarder tour à tour la réticence de Fanny et de Christian, passive et consentante ; l’attitude rampante, servile de Constance et de Peter qui tâchaient d’arrondir les angles à leur sauce en faisant fi de leurs consciences ; l’indifférence marquée d’Antoine envers des vies gâchées pour « le bien commun », pour distinguer graduellement l’évolution. Et dans son cas, cela s’accentuerait davantage sans le poignard. Et beaucoup plus vite. Il ne resterait vraiment plus rien de Florian. Comme il ne restait plus rien de l’empreinte des cycles précédents. Désespéré, il ferma les yeux.

— Ce n’est vraiment pas contre toi, Florian. Seulement, j’attends beaucoup de Louis, alors ce serait bien qu’il revienne rapidement dans les parages. Dans l’intervalle, tu obliges Christian à jouer la nounou. Heureusement qu’il en a l’habitude.

De fait, Christian fut le seul à ne pas l’abandonner à lui-même. Constance et Peter ne lui concédèrent pas le moindre clignement d’œil, pressés de s’enfuir. Leur camaraderie faisait plaisir à voir. Ce n’était même pas la peine de se faire des ennemis entourés d’amis pareils.

Fanny s’était agenouillée furtivement auprès de lui avant de suivre le même chemin.

— Pardonne-moi, Louis, lui avait-elle supplié d’une voix étranglée.

Lui pardonner ? Pas moyen. Peut-être qu’en effet, Louis le pourrait et finirait même par le faire au vu de toutes leurs intrications passées. Mais Florian ne serait jamais en état de lui pardonner. Florian qui ne serait même plus là demain. En regard de toutes ces existences qu’ils avaient revêtues ensemble, Florian ne comptait pour rien dans la balance de Fanny.

Il invectiva Christian qui se serait volontiers passé de toute interaction.

— Merci de ton aide. J’apprécie.

— Que voulais-tu que je fasse ? Tout ce qu’il a dit est exact, c’était une décision collective. Comme toi, je n’ai pas eu mon mot à dire dans l’affaire.

— Ce qui t’arrange bien on dirait. Tu cautionnes ce qu’ils font ? Venant de toi, c’est difficile à avaler.

— Tu attends des autres de correspondre à la hauteur de tes exigences. Mais tu places la barre bien trop haut. Personne ne pourra jamais l’atteindre.

— Pas toi, c’est certain. Tu viens même de dégringoler du piédestal. Comment as-tu pu t’aveugler à ce point ?

— Personne n’est parfait. Je ne suis pas le superhéros que tu t’étais toujours imaginé.

— Je le croyais pourtant. Et je n’étais pas le seul. Tu as toujours été celui qui prenait les meilleures décisions. Même maintenant, je pensais que ce serait toi qui me sauverais la mise.

— Tu as eu tort de le penser.

— Je le vois bien, oui.

— Tu débarques à peine alors ne prétends pas savoir comment tout fonctionne, s’exaspéra Christian à bout de patience. Antoine a raison quelque part : tu abordes la situation sous l’angle de Florian et ça n’a plus lieu d’être. Si on interrompt la boucle à la fin de ce cycle, c’en est terminé de ce cauchemar. Tout le monde est gagnant.

— Sauf eux ! Comment peux-tu rester imperturbable à ce point, c’est impossible !

Il ne voulait pas aborder la situation sous un autre angle que celui-là : Louis n’avait rien à faire de cette époque, pas plus que Christian. Pour eux deux, ce n’était qu’un dommage collatéral tout au plus.

Amer, il montra le poignard qui pendait aux côtés de Christian comme une breloque sans intérêt.

— C’est juste pour la déco alors ? persifla-t-il. Ou pour jouer l’intermédiaire avec Natacha lorsque tu t’ennuies ? À moins que ce soit juste par procuration ? Et moi qui croyais que tu le trimballais dans un tout autre but.

Christian se défila.

— Tu as mal cru. Une fois encore. J’ai tourné la page et j’aimerais que tu en fasses autant.

— À d’autres. Ce n’est pas ce que sous-entendait Antoine. Tu te bats encore.

— Parce que j’ai hésité à ton égard ? Parce que je répugne à blesser Natacha ? Moi aussi, je ne tiens pas à perdre le peu d’humanité qu’il me reste. Et je ne suis pas le seul.

— Vous obéissez tous aux ordres, pourtant. Et arrête-moi si je me trompe mais la motivation initiale, n’était-ce pas notre protection ? Quand est-ce que cela a dérapé, déjà ? Quand ils se sont enfin entendus sur la question ? Du genre, va pour une alliance temporaire, alléluia, c’est parfait mais il faudra organiser un petit massacre par-ci par-là pour faire plus réaliste parce qu’après tout la fin justifie les moyens ? Tuer pour mieux protéger, en voilà une jolie petite devise à broder sur nos écussons, pour laquelle on serait prêt à pourfendre !

— Ne sois pas aussi caustique tu veux ? Si tu veux accuser quelqu’un, prends-toi au miroir pour commencer !

— Oui, tu as raison, bonne idée. Comme si cela pouvait m’empêcher de disparaître ! Il n’y a qu’à voir le résultat sur toi. Vraiment, j’ai hâte !

Longue pause.

« D’ailleurs, Antoine, il s’est pris une boucle de trop, non ? Comment a-t-il pu devenir si froid ? C’est aberrant.

— La faute au miroir, j’imagine, répéta Christian en imputant tout dessus. On n’en revient jamais indemne. Ce n’est pas pour rien que Fanny voulait t’empêcher d’y retourner.

— Elle aurait dû s’abstenir. Il hésita. Et Julien ?

Christian fit non de la tête.

S’en douter était une chose. En avoir la confirmation en était une autre. C’était une douleur tolérable, grâce à Florian auquel il s’agrippait encore. Dans le même temps, il était soulagé. Julien n’avait pas eu à subir les affres d’un choix inexistant. Il espérait juste qu’il ne ressentait plus rien pour n’avoir rien à voir.

— J’aurais dû le suivre en définitive.

— Ne dis pas ça. Tu as échappé au pire. Sa position n’a rien d’enviable.

— La nôtre non plus. Que sais-tu du pire au fond ? Est-ce si mal de ne plus se sentir exister ? Vouloir se confondre avec les ombres, préexister un reflet, est-ce si mal ?

— Qu’est-ce que te racontes ?

— Sommes-nous si éloignés d’eux ? Tiens, Antoine par exemple. À l’heure actuelle, il n’y a plus tellement de différences entre lui et les… les fouchtris. Et il sourit devant le terme évocateur.

— Ce n’est pas faux. Et nous, nous n’avons même pas d’excuses, marmotta Christian, ému lui aussi.

Le cœur de Florian papillonna en une étreinte, surpris. Il avait eu raison sur toute la ligne. Christian mentait plus facilement que lui, c’est tout. Il était loin d’avoir tourné la page. Ça se saurait si c’était aussi facile. C’était juste… humain.

Christian l’évaluait, semblant peser le pour et le contre. Il s’adoucit enfin.

— Tu avoueras, c’était stupide de ta part de vouloir rester.

— C’est vu et revu cette réflexion. Tu n’es que le cinquième d’affilée. Dire que je commençais réellement à croire que le destin n’existait pas, que j’aurais la possibilité de choisir. Me voilà servi, ricana-t-il.

— Mais tu as encore cette possibilité, Florian.

Il écarquilla les yeux. Avant de comprendre, il se retrouvait, le poignard entre les mains. Christian étouffa un rire devant la mine ahurie de Florian.

— Qu’est-ce qui te prend ?

— À ton avis ? Je t’offre la clef des champs. Il est à toi, fais-en ce que tu veux.

— Justement, pourquoi me le donner ? Pourquoi ferais-tu cela ?

Christian tapota son propre poignard, songeur.

— Va savoir. Je ne cautionne rien du tout. Je suis peut-être vieux jeu, mais je pense encore que la fin ne justifie pas le moyen. Mais ce n’est pas parce que je comprends ton attitude que je l’approuve pour autant. C’est juste que selon moi, tu as le droit à une seconde chance. À toi de voir si tu veux la saisir ou pas.

Florian en resta coi. Christian pensait sérieusement ce qu’il disait. Il semblait croire fermement au principe de la seconde chance. Du deuxième essai. Comme si Florian venait de lui apporter la preuve tangible que c’était possible.

— S’ils l’apprennent, tu vas avoir des problèmes.

Nous allons avoir des problèmes corrigea Christian. Assume tes responsabilités. J’assumerai les miennes. Et ne te méprends pas : ce n’est pas uniquement pour toi que je le fais. C’est pour moi aussi. Tu tiens l’opportunité qu’aucun de nous n’a jamais pu avoir. Alors ne la gâche-pas. Prouve-nous qu’on avait tort.

— C’est vraiment tout ce que tu attends de moi ?

— Ne te fais pas prendre tout de suite. C’est tout ce que je demande. Ils ont besoin de toi alors ne les déçois pas.

L’âme continuait de se déverser lentement en lui, ravivant la semblance de Florian. Plus encore, il portait de nouveau en lui ce qui faisait de Florian ce qu’il est. Avec ses luttes. Ses chagrins, aussi. Et ce qui lui tenait à cœur.

Il saisit le poignard et le maintint contre son flanc. Il ne laisserait personne le lui reprendre. Il leva la tête. Une étincelle fantôme flotta un instant entre eux alors que Christian semblait se changer en ombre cendrée prisonnière du passée. Tout un monde avait beau les séparer, le but qu’ils partageaient était le même.

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