Chapitre 22 (2/4)

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Bastien ne l’entendait pas de cette oreille. Il fonça sur Clément.

— Bien évidemment, l’accueillit ce dernier, très philosophe. Que puis-je faire pour toi ?

— J’ai besoin de ton aide, annonça-t-il tout de go. Il n’y a que vers toi que je peux me tourner en fait.

Clément le dévisagea calmement par-dessus son livre.

— Je suis très ému à l’idée que tu penses à moi, mais désolé, je ne marche pas.

Bastien ne bougea pas. Clément savait qu’il n’aurait pas la paix. Il commençait à le connaître, hélas. Il abandonna donc son livre de bien mauvaise grâce.

— Je t’écoute. En quoi consiste ton plan de génie ?

— Je veux faire parler Natacha. Et j’ai besoin que tu me soutiennes là-dessus.

Clément ne s’attendait clairement pas à cela. Il sursauta, son genou heurta la table basse. Avec style. Ce qui ne l’empêchait sûrement pas d’avoir mal.

— Faire parler Natacha ? Oh, tout doux, on n’est pas l’Inquisition ! Qu’est-ce que tu mijotes ?

Bastien fit appel à sa patience qui était loin d’être inépuisable. C’était là son moindre défaut. Monter au créneau avant toute tentative d’assaut du pont-levis ne serait logique en aucun cas.

— Natacha. Elle sait.

— Il va falloir que tu sois un peu plus explicite, je ne te suis pas. Elle sait quoi, Natacha ?

— Elle sait ce qu’il se trame. Tu as bien vu sa tête quand elle a appris que Florian s’était taillé la nuit de l’accident. Comme si quelque part, elle s’y attendait. Et elle n’a pas paru non plus tellement surprise quand il a fini par se pointer la bouche en cœur et frais comme un gardon alors qu’on le recherchait depuis plus de trois heures !

Et dès qu’on parle de lui, elle se la joue muette comme une carpe, « je-ne-sais-rien, bouche cousue, ne me demandez rien » ! Elle sait ce qui est arrivé à Florian, j’en mettrais ma main à couper. Elle nous cache des secrets depuis le début sous des prétextes bidons et là, je craque.

— Tu craques, refit Clément qui avait écouté sa tirade jusqu’au bout et dont le ton posé commençait sérieusement à échauffer Bastien. Ça se voit. Et ça s’entend surtout.

— … ?

— Tes métaphores animalières. C’est marrant, souligna Clément qui ne le prenait visiblement pas au sérieux. Tu crois donc que Nat et Florian sont de mèche à présent ? Dans le même étang ?

Très bien, s’il voulait continuer dans l’animalier pour donner une dimension moins conspiratrice à la discussion, libre à lui. Tout ce que voulait Bastien, c’était le rallier à sa cause.

— Dans le même terrier. Natacha n’est pas un poisson, c’est un lapin, le lapin blanc pour être précis.

Claire avait raison. Même si elle soutient qu’elle a refusé ce rôle, et je n’y crois pas du tout, Natacha n’est qu’un appât censé nous attirer dans le terrier de ses employeurs. Ce qu’est Florian dans cette histoire, je n’en sais fichtrement rien mais je veux le découvrir. Et Natacha va nous dévoiler ce qu’il en est.

— Un lapin blanc… Intéressant.

Clément portait son attention sur ses ongles.

— Donc tu tiens à la cuisiner à l’ancienne en vulgaire lapin de garenne afin qu’elle nous révèle l’emplacement de son terrier. Tu tiens à la torturer ?

— Je voudrais éviter, reconnut Bastien. C’est pour cela que j’ai besoin de toi. Pour éviter que je ne pète un boulon et que cela tourne au règlement de comptes.

— Hin, hin. Très rassurant.

Clément gratta sa jambe d’un air dubitatif.

— Tu as le discours qu’il faut pour remotiver tes troupes, toi. Et simple question : pourquoi tu me demandes cela à moi en particulier, et pas aux autres ? Au départ, tu n’avais pas trop confiance en nous et finalement on se connaît à peine. Tiens, Cécile, par exemple. Elle serait plus en mesure de t’arrêter.

— Tu sais très bien qu’elle s’opposera à mon idée et qu’elle fera tout son possible pour m’en empêcher. Idem pour Mathieu ou Arthur. Et Claire.

— Et si moi, je trouve que ton idée c’est de la folie en bouteille, tu t’en moques.

— Exactement. Et je sais que tu ne vas pas m’arrêter, contrairement aux autres.

— Tiens donc, ironisa Clément. Et pourquoi ?

— Tu l’aurais déjà fait sinon. Et de mon côté, je ne te ferais pas de mal même si j’en avais envie. À cause de lui qui commande à ma tête, parfois, affirma-t-il en vissant l’index sur son crâne. Il ne le permettra pas. On est dans la même équipe, n’est-ce pas ?

Clément lui jeta un regard de commisération profonde que l’on adresse à un fou devenu marteau.

— J’ai l’impression que t’y crois que lorsque cela t’arrange, cette histoire de miroirs.

— Disons que je sais tirer quelques ficelles quand cela m’arrange.

— Quel dommage, tu n’as pas touché ma corde sensible pour autant ! paracheva Clément en lui agitant son livre sous son nez pour mettre fin à la polémique.

Il l’ouvrit et le feuilleta jusqu’à sa page.

— Natacha a des secrets, on est d’accord là-dessus mais vous nous avez fait promettre de ne pas creuser plus loin et c’est exactement ce qu’on a fait. C’était le deal.

— Il n’y a jamais eu un tel deal ! Je refuse de fermer les yeux plus longtemps. Je sais que toi aussi.

— Bien tenté. Mais cela ne m’intéresse pas.

Clément humecta une dernière page et se replongea dans sa lecture. Il mentait. Bastien en était sût. Il abattit sa dernière carte.

— Ça, ça ne t’intéresse pas. Mais tu t’intéresses à Rémi. Tu t’inquiètes pour lui. C’est ton meilleur ami mais tu ne connais même pas la cause de son changement et cela te ronge les sangs à la pensée qu’il ne cherche même pas à se confier à toi. Et tu es persuadé au fond de toi que ce sont des conneries que d’affirmer que les choses finiront par retourner à la normale.

Clément releva les yeux, abandonna sa posture flegmatique de gentleman farmer au coin du feu. Il avait capté son intérêt.

— Moi aussi je m’inquiète pour Rémi. Et pour Florian. Et cela me rend fou de rage de ne rien comprendre et de tourner en rond. C’est peut-être contagieux. C’est peut-être une malédiction. Peut-être qu’on va tous y passer. La raison, je m’en balance, mais je pense que c’est lié à Natacha et ses secrets. Je me fiche de cette histoire de miroirs, de familles, je n’en ai rien à branler, toi aussi, tant mieux ! Ce n’est pas un miroir qui décide de ce que je suis. Ce sont des conneries comme le reste. Mais s’il faut résoudre ces questions pour comprendre ce qui leur arrive, je préfère m’y mettre que de rester là sans rien tenter du tout.

Bastien laissa l’instant s’égrener avant de reprendre, moins assuré.

— Et à part ça, je suis à court d’autres d’arguments valables pour te convaincre, mais ceux que je viens d’énoncer tiennent la route... Non ?

— Si. Ça se tient.

Clément l’étudiait toujours comme on étudie scrupuleusement un menu particulièrement fourbe : quel que soit le plat choisi, au final on sent qu’on va se planter. Il ferma les yeux. Laissa filer ses dernières résistances.

— Que ce soit bien clair. Au moindre dérapage de ta part, je t’abandonne et tu te dépatouilles tout seul.

— Dois-je comprendre que tu m’accompagnes ?

Clément rouvrit les yeux.

— Qu’est-ce que tu crois ? Tu es incapable de te balader sans t’attirer des ennuis, lâcha-t-il en évidence.

— Marché conclu, alors.

— Et enlève-moi ce sourire débile ! On ne parle pas d’un pique-nique !

À présent qu’il s’était décidé, Clément était loin de prendre cette expédition à la légère.

— T’as conscience des risques que tu veux prendre au moins ? Si Natacha ne dit rien, c’est pour nous protéger à ce qu’il paraît. Ce n’est pas pour rien qu’une fille comme elle nous cache des secrets. Si on parvient à la faire parler, tu n’as pas peur de regretter ce que tu vas déterrer ?

L’enjeu n’était pas le secret en lui-même mais ce qui se cache derrière. Et ses répercussions. Clément en avait peur. Bastien aussi. Mais ce qu’il craignait avant tout, c’était que ces secrets enfouis n’en finissent pas de les engloutir, façon squelettes au fin fond du placard. Il en savait quelque chose.

— Peut-être que si. Mais je prends le risque. Je préfère vivre de remords que de regrets.

— C’est tout à ton honneur, grommela Clément, légèrement froissé d’avoir gaspillé sa dernière cartouche. Bon, dans ce cas, allons-y.

— Maintenant ?

— Avant que tu ne craques davantage, oui, il vaut mieux.

Bastien approuva.

— Allons déloger le lapin blanc.

*

— N’en fais pas trop, s’inquiéta Clément.

— Tu veux qu’elle parle, oui ou non ?

— Le but n’est pas de lui faire mal, je te rappelle.

— Mais je ne lui fais pas mal, là.

— Elle va sûrement se récolter un bleu, mais oui, t’as raison, tu ne lui fais pas mal.

Nat n’avait vraiment pas mal. Elle aurait dû. Juste, elle aurait préféré qu’il ne serre pas aussi fort. Mais cette manie faisait partie de la panoplie. Alors elle attendait qu’il se calme.

Elle n’avait même pas la frousse. Même si Bastien filait les jetons. Seulement, à côté de Florian, Bastien c’était de la gnognotte.

Clément laissait Bastien à la manœuvre. Adossé à la porte. Ils la traitaient en ennemie dans sa propre chambre. C’était stupide. Alors qu’elle les avait faits entrer sans chichis, en présence de sa famille, en sachant très bien de quoi il en retourne. Florian était bien gentil, mais il n’avait pas réfléchi à la question. On ne pouvait cacher éternellement un éléphant sous un tapis de salon. Et voilà pourquoi il était seul à tenter le coup ! Tout aussi écervelé que ses amis.

Vaguement ennuyée, Nat héla Clément pour le faire réagir.

— Tu ne comptes pas m’aider ? Il me broie le bras, là.

— Non désolé, je suis venu pour l’assister. C’est lui qui mène cette fois, expliqua-t-il d’un haussement d’épaules navré. Il en était le premier désolé, mais il ne pouvait en faire autrement.

— Ok. Parlons alors. Et de quoi ?

Bastien s’approcha davantage et réduisit l’écart qui les séparait en peau de chagrin, sans tenir compte de son espace vital. Elle en oublia de respirer pendant quelques secondes.

— De Florian. Tu sais pourquoi il est ainsi, n’est-ce pas ?

Ce n’était pas vraiment une question. Comme elle s’y attendait, Bastien était futé.

— Et Rémi aussi, s’engouffra Clément à sa suite.

Ce n’était pas une affirmation, en revanche.

Elle n’essaya pas de repousser Bastien, c’était inutile. Elle lui fit signe de reculer un peu.

— Si tu veux que je parle, il va falloir que tu me laisses un peu d’espace pour commencer.

— Justement non, laisser de l’espace, ça me gonfle.

— Tu ne sais même pas dans quoi tu t’embarques. Tout ce que je voulais, c’était vous éviter de tomber dans le piège. Comme moi.

— Et c’est une belle réussite, bravo. Florian t’en est particulièrement redevable.

— J’ai échoué, c’est vrai, admit Natacha, blessée. Et cet accident devrait te prouver à quel point ils sont mesquins. N’essaye pas d’en savoir plus, tu ne feras qu’empirer la situation.

Il était difficile de faire entendre raison à Bastien. Quasiment impossible, même. Mais elle se devait d’essayer.

— Crois-moi, c’est une très mauvaise idée, s’acharna-t-elle. Florian n’apprécierait pas que tu tentes de forcer le passage.

Erreur monumentale. Bastien perdit son sang-froid.

— Tu ne sais pas ce qu’il voudrait ! rugit Bastien.

Ah oui ? Combien tu paries ?

En concession, elle dénia posséder la moindre information sur Rémi. Pour le reste, elle ne comptait pas se mouiller.

— Donc tu sais vraiment de quoi il en retourne, souffla Clément.

Il tombait des nues, ébahi sur un secret de polichinelle. Bastien commençait à voir rouge. D’où il débarquait ?

— Pourquoi crois-tu que je m’échine à faire cracher le morceau à cette fille depuis le début ?

— J’arrive pas à croire que tu aies raison, se renfrogna Clément, plus méfiant à l’égard de Natacha.

Qu’il se prenne à la détester, ça ne changeait rien. Pour elle, c’était bonnet blanc et blanc bonnet.

— Ceux qui t’ont fourni toutes ces infos sur nous, où sont-ils ? Florian est avec eux ? Où va-t-il quand il s’enfuit comme un voleur ? Tu vas répondre, oui ?!

Bastien se retenait dangereusement de la brutaliser franco. Les veines saillaient sur son cou et elle ne distinguait plus rien de bleu dans ses yeux. Elle ne pouvait plus rien en tirer. Encore moins le raisonner.

Désolée, Florian.

Clément quitta son détachement froid et s’interposa.

— Arrête !

Son intervention agit en douche froide sur Bastien qui reprenait lentement ses esprits. Mal réveillé, il tituba de l’autre côté, haletant. Mais sa colère ne se tarirait pas avant d’avoir obtenu compensation. Pandore avait-elle regretté son geste dès l’instant où elle avait ouvert la boîte ? Bonne question.

— T’as gagné, dit-elle en se frottant la joue. Mais ne va pas te plaindre après.


*

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