Chapitre 22 (4/4)

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 Le plafond tournoyait. Y en avait-il vraiment un ? Le sol virevoltait. Un trou immense se forait sous terre, juste sous ses pieds. Bastien se sentit tomber au fond d’un puits sans fond. Ses doigts griffaient les parois sur son passage mais ne s’y raccrochaient pas.

Il tombe sur le dos, le choc lui coupe toute respiration. Le puits se leste de souvenirs qui tombent en pierres, déferlent au-dessus de sa tête. Le remous se referme sur lui et déchire sa conscience.

La casquette de son frère qu’il se trimballait partout, fier comme un paon.

Alec qui aime jouer au basket avec quelques gosses du quartier qu’il surnomme ses gosses non sans une pointe d’affection qui le rend jaloux. Alec qui le présente à des garçons qui ont pratiquement ton âge ce serait bien de faire une partie ou deux avec eux. Il lui ébouriffe les cheveux à rebours même si ça l’énerve. Le premier garçon nettement plus âgé que lui et insupportablement doué le prend immédiatement en grippe c’est certain. Et c’est réciproque. Quand le deuxième lui propose de les rejoindre il refuse l’humeur massacrante vexé. Il lui demande si c’est forcé qu’il passe autant de temps avec eux et Alec lui répond que oui parce qu’ils n’ont pas autant de chance que toi. Mais c’est moi ton frère proteste-t-il. Alec lui assure que oui et que ça ne changera pas qu’il reste son unique petit frère qu’il adore.

Alec qui joue souvent avec eux et leur enseigne des jeux glanés un peu partout. Le ninja qui reste leur jeu préféré. Il est jaloux parce que Claire l’a appris avant lui et que ce n’est pas juste. Arrête un peu d’être jaloux Bastien. La jalousie ne te rapportera jamais rien.

Alec si responsable et mature mais secret solitaire parfois perdu. Il est amoureux dit leur mère avec quelque malice. Il interroge Alec qui est un peu confus puis lui dit que c’est vrai et demande de ne rien dire à personne mais il sait qu’il peut garder un secret. Et il est si content de partager ce secret avec son frère.

Cette nuit où il s’apprête à quitter la maison et c’est étrange à une heure si tardive. Alec est soucieux et ne veut pas l’emmener. Il insiste. Tu es trop têtu pour quelqu’un d’aussi petit. Si je t’emmène tu dois me promettre de m’attendre sur le banc le temps de lui dire que ce sera pour une autre fois allez dépêche-toi ils doivent non elle doit m’attendre. Et puis l’attente et Alec ne revient pas il perd la notion du temps il divague ne se souvient plus s’il a correctement compté jusqu’à 100. Il est allé voir et alors

Qu’avait-il entendu cette nuit-là dans les buissons ?

Des jeunes qui riaient de son désarroi et de son chagrin sur le corps de son frère et le rire moqueur et perçant de l’amoureuse se confondait avec eux.

Des enfants apeurés et traumatisés qui s’étaient cachés à son approche et se retenaient à grande peine de pleurer à cris rentrés, petits coupables qui piétinaient les fourrés. Laissés seul livrés à eux-mêmes parce qu’ils avaient moins de chance que lui.

 Les souvenirs s’amoncellent. Avec tous ces autres indices mis bout à bout qu’il n’avait pas su déchiffrer, trop têtu qu’il est. Chaque clapotis de l’eau que provoque le raz-de-marée dans sa mémoire torturée semble le hisser à la surface. Tout en douceur. Mais plus il remonte et plus le noir s’accentue. Tout devient noir progressif. C’est fascinant. Il ignorait jusqu’alors que le noir pouvait devenir plus sombre encore, jusqu’à s’absorber lui-même. Il n’aspirait qu’à enfoncer dans les profondeurs de ce nuage d’encre toute son existence entière.

— Bastien, Bastien ! Réveille-toi, je t’en supplie ! Allez !

Clément le secouait du bout du pied, affolé. Il avait changé son fusil d’épaule et s’aidait à présent d’un sabre de cavalerie pour tenir les cauchemars à distance raisonnable. Une longueur suffisante pour éloigner des revenants.

— Bastien a raison. Recule. Tu n’existes pas.

Clément en pleurait presque. Ils étaient bien placés pour savoir que ce n’était jamais un argument imparable.

Alec avança en avant, les paumes en l’air pour signaler ses intentions pacifiques.

— Je ne te ferai pas de mal. Promis. Laisse-moi juste regarder ce qu’il a.

— Ce qu’il a ? On se le demande, tiens. Réfléchis-y, ça ne devrait pas te prendre bien longtemps.

— Clem’, s’il-te-plaît. C’est mon frère.

— Je suis sérieux. Tu ne le toucheras pas. Que tu sois son frère ou non, je t’embroche si tu fais un pas de plus. Ce sera l’occasion de vérifier de quoi tu es fait.

— Tu crois sérieusement qu’un sabre va m’arrêter ? Je ne fais que te le demander gentiment pour ne pas t’effrayer plus que tu ne l’es. Mais je pourrais franchir l’espace qui me sépare de lui sans ton aide. Natacha le sait. Et toi aussi.

— Ne t’approche pas, Alec.

Raté. L’ultimatum se transformait en prière implorante au trémolo tremblotant. Clem’ ne savait pas à quoi s’en tenir ni à quel saint se vouer. Nat non plus. Elle se plaça aux côtés de Clément. Lequel faillit perdre toute concentration.

— Laissez-les tranquille. Tout ce que vous savez faire, c’est utiliser les gens.

— Et encore, tu ne sais même pas à quel point.

Clément en perdit toute maîtrise et le sabre se désagrégea entre ses doigts. Florian passa en revue Clément puis Bastien qui revenait à lui. Il aurait pu se précipiter vers lui mais resta sur place. L’air partagé. Il promena sa main sur le poignard pour vérifier sa présence. Rassuré sur ce fait, il recula. Et s’attarda longuement sur Natacha.

— Pourquoi as-tu fait cela ?

Natacha frissonna : la voix douceâtre empreinte pourtant d’une telle tristesse à son égard qu’elle aurait bien voulu en avoir le cœur serré si elle n’était pas aussi furieuse.

— Tu ne m’avais pas laissé le choix. On te l’avait dit pourtant. Tu ne peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

— Comme toi, j’ai essayé.

— Moi, je n’aurais pas laissé faire si je savais. Pourquoi voulais-tu me cacher ce petit détail ?

— Pas eu le temps. Il l’aurait découvert d’une manière ou d’une autre. Il est borné.

Cela semblait sonner comme une insulte. Pour Bastien qui ne pigeait rien, c’était la trahison de trop. Ce n’était pas Alec qui revenait des morts pour le hanter, ni les mensonges dont il les avait abreuvés étant gosse. Ce n’était rien de plus qu’un sombre retour du boomerang confirmant une malédiction familiale. Non. Étrangement, la goutte qui faisait déborder le vase, c’était cette froide cuirasse de Florian.

— Ne parle pas de moi comme si je n’étais pas là !!! Tu étais au courant de tout depuis le début ?

— Ne dis pas de sottises, je ne t’aurais jamais menti, soupira Florian, outragé.

— Ah oui ? Alors réponds-moi sans mentir : que s’est-il passé avec l’accident ?

— C’est… compliqué, se défila Florian.

— Il est mort. Ce n’est plus vraiment Florian.

Nat avait enfin compris de quel côté elle se rangeait. Florian n’avait pas l’air déçu. Ni même rageur. Il était seulement triste. Elle avait éventé son secret et il était triste pour elle. Elle détestait cela.

« Fais attention à toi. Ils ont clairement un plan te concernant et ils n’auront aucune pitié ». Elle n’en aurait pas non plus. Elle voulait le voir souffrir.

— Méfie-toi de lui. Sans son poignard, il pourrait te tuer, souffla-t-elle pour enfoncer le clou.

Le regard hagard de Bastien coule sur le poignard de Florian puis dévie sur celui d’Alec. Tous les deux au même emplacement. Ce n’était plus un cauchemar. C’était carrément une aberration. Même lui n’aurait pas été capable d’inventer un concept aussi dément.

— Ne sois pas stupide. Je ne vais pas le tuer.

Bastien reprit haleine. Comment avait-il pu en douter ? Quoi qu’il soit devenu, Florian n’aurait pu, ni même voulu le tuer. Alec non plus. C’était son frère, merde !

Mais Natacha, intraitable, n’en avait pas fini.

— Non, vous n’allez pas le tuer. Parce qu’il vous est utile. C’est pour cette raison que vous le suiviez de près lui aussi. Quand bien-même il n’appartient pas à votre cercle. Même s’il est son frère, ça ne vous aurait pas empêchés de le tuer s’il n’avait pas une part essentielle dans votre combine, jeta-t-elle avec tout le mépris et l’écœurement qu’elle gardait en réserve.

— C’est vrai. Bastien est primordial, concéda Florian. C’est même leur mécanisme numéro 1 dans l’accomplissement de leur projet. Le tuer maintenant se révèlerait un terrible gâchis.

Le cœur de Bastien s’engourdit et dévala encore quelques paliers en lui arrachant une douleur sourde dans tout son organisme. Florian lui rappelait ces psychopathes dénués d’empathie qui l’avaient testé pour vérifier une de leurs hypothèses. Il avait beau en parler à la troisième personne du pluriel pour minimiser son implication, ce compte-rendu sobre et clinique était d’autant plus horrible qu’il le rattachait à eux. Il parlait d’arracher une vie avec une telle désinvolture, à la manière d’une grande Faucheuse. Florian était devenu un des leurs. Il ne s’englobait pas encore parmi eux mais ce n’était que partie remise. Et Alec. Alec en faisait partie. Alec avait-il déjà tué avec un dédain similaire ?

Alec évitait délibérément de croiser son regard. Jamais son frère n’aurait réagi comme cela. Ce n’était plus son frère. Et ce n’était plus Florian.

— Selon vos critères, Clément en revanche, a beaucoup moins de valeur, pas vrai ? Parce qu’il…

Natacha s’en voulait de ne pas avoir saisi plus tôt Et maintenant, il était trop tard.

— Parce qu’il ne fait pas partie de votre miroir. C’est le principe de votre pacte.

Une étrange lueur survola les prunelles de Christian sans parvenir à s’y installer. Elle ne brillait pas dans ses yeux, elle y flotta vaguement pour la forme avant de s’évaporer, soufflée comme une flamme vacillante sans le secours d’une mèche. Il n’y avait plus de place pour elle dans ces yeux éteints et ternes. Natacha s’affaissa, terrorisée.

— Florian…

Florian suivit son regard. Il attrapa Christian et l’entraîna à l’écart, les cachant à sa vue.

— Non. J’ai dit non. C’est notre invité, ne le touche pas. Tu lui dois bien cela. Il compte pour toi. Ce n’est pas le moment de te perdre. Que fais-tu de l’humanité que tu voulais garder ? Alec. Alec ! Ressaisis-toi, mec !

Cette familiarité fit sursauter Natacha mais ramena Alec à la vie. Tout estourbi de sa transe, il contempla Florian le rappeler à l’ordre.

— Ne t’éparpille pas maintenant. Pense à Claire et Bastien. Ou Rémi et Clément, Mathieu, ton chien, n’importe qui pour te retenir ici, mais surtout ne te sauve pas. Je m’occupe du reste.

Alec repoussa Florian avec brusquerie.

Clément tanguait en regardant Alec. Des larmes creusaient ses joues caves qui allaient se sectionner sous la pression. Il n’en pouvait plus.

— Comment… comment… Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Vous êtes quoi ? balbutia-t-il.

Florian se tourna vers lui, grave.

— Tu te crois vraiment différent de nous ?

— Arrête. Arrête, je ne t’écoute pas.

— Clément, je crois que tu ferais mieux de…

Florian s’interrompit. Paniqué. S’extirpant avec violence du masque qu’il avait affecté de porter pour la circonstance.

— Lequel d’entre vous s’est engagé dans la bilocation ?

Tous les trois lui retournèrent un regard asthénique. La question avait-elle une réelle importance après tout ?

Un déluge de cris et de chamailleries habituelles s’abattit en cataracte au-dessus de leurs têtes. Ils arrivaient. C’est le moins qu’on puisse dire. Ils allaient se propulser au milieu d’une pagaille sans nom.

Un dédale de pensées diverses traversa la bouillie qui constituait l’esprit de Bastien. Quelques mots en ressortirent sans anicroches. Claire. Mathieu. Rémi. Oh…

La même idée parcourut Clément qui échangea un regard furtif, mais exorbité avec lui. Le message était clair. Pas question.

— Empêche-les de descendre ! exigea Natacha, hystérique.

Trop tard. Ils dégringolaient l’un après l’autre par pelletées, emplissant la pièce. Tous. Ils étaient tous là, par on ne sait quelle évidence. Caitlin en tête, talonnée de près par Léane et Garance. Puis Arthur, Lucas, Stephen et Cécile. Mathieu, Kiernan et Thomas, tout couverts de suie pour une raison obscure. Mélissa et Claire. Puis Rémi, solitaire encore.

Bastien s’affala sur Claire qui tituba, pas franchement ravie. Déjà que se retrouver de nouveau coincée dans une espèce de tunnel avec toute la bande au complet et un tournis monumental qui lui retournait encore l’estomac, ce n’était pas un cadeau.

— Bastien, tu m’étouffes ! Pousse-toi, je ne vois plus rien !

La prison que formaient les bras de Bastien n’offrait aucune perspective. Claire ignorait ce qu’il y avait à voir mais d’un coup, il n’y avait plus grand-chose à entendre. Le tumulte s’était apaisé aussi brusquement qu’il avait enflé. Rémi poussa un bêlement étranglé quelque part sur sa droite, mais sinon ce fut tout. Elle donna un coup de poing dans l’épaule de Bastien qui ne la lâcha pas. D’abord, elle allait faire sa fête avant toute autre chose.

Bastien la comprimait contre lui mais sa capture restait faiblarde et manquait de fermeté. Avait-il encore épuisé ses forces dans un jeu qui n’en valait pas la chandelle ? Elle s’agita dans tous les sens à la recherche d’une sortie. Dans la mêlée, elle entrevit une échappatoire au creux de son avant-bras. Elle y força sa tête et risqua un œil craintif à l’extérieur.

 Elle hoqueta, saisie. Tout ce qu’elle voyait était une photo. Identique à la photo qui trônait sur la desserte du salon depuis ses 6 ans. Alec était immuable et le resterait à jamais. Même sa toute petite sœur finirait par le dépasser et le laisserait sur la touche de ses 15 ans éternels. Elle avait appréhendé cette date fatidique avant d’en prendre son parti. Pourtant, elle ne s’était jamais lassée d’imaginer.

Comme elle n’avait pas eu le droit d’assister à l’enterrement, elle en avait tiré ses propres conclusions : Alec était bien vivant et se cachait en attendant le moment le plus propice pour réapparaître. Il n’apparaîtrait rien que pour elle. Rayonnant, il correspondrait en tous points à cette photo qui avait remplacé les souvenirs chewing-gums qu’elle avait de lui, flous et poussiéreux. Eh ben voilà. Le jour était arrivé. Superbe. Sauf qu’elle n’avait plus 6 ans et que la période des trips Barbie lui était passée.

La photo devant elle était bien réelle et c’était le nœud du problème : Alec était resté rigoureusement le même. Il n’avait pas évolué d’un iota en presque huit ans.

La photo était bien réelle mais le cadre ne collait pas.

Les yeux fous, Rémi faisait une overdose d’angoisse silencieuse sans voir Clément qui s’était agenouillé auprès de lui pour lui apporter du secours. Mathieu portait une main spasmodique à son cœur et n’allait pas tarder à tourner de l’œil, avec ou sans le soutien de Mélissa.

La photo, le repère le plus fiable de son enfance, lui montrait que rien n’avait de sens grâce au tableau d’ensemble. Tout était faux. Tout se fanait, sauf les ombres.

Galvanisée, Claire écarta Bastien et voulut s’avancer mais Bastien la retint et l’attira à lui pour la caler entre ses bras. Ce n’était plus une prison mais un rempart protecteur dans lequel il fallait s’y réfugier. Claire tourna le dos et enfouit la tête dans la poitrine de Bastien, tétanisée. Ce n’était pas réel. Ce n’était pas Alec. Alec n’aurait jamais eu cette expression de cruauté égarée. Et jamais, au grand jamais, Bastien ne lui aurait défendu de l’approcher. Elle voulut fermer les yeux pour oublier. Oublier Florian qui se tenait en position défensive devant Alec. Pas pour le protéger d’eux. Mais pour les protéger, eux, de lui. Elle chiffonnait le T-shirt de Bastien en priant que se termine ce rêve au plus vite. Qu’Alec, la pièce centrale du puzzle, disparaisse. Et tout le puzzle avec.

Alec luttait face à l’afflux d’importuns qui mettait son « humanité » à rude épreuve. Il résistait vaillamment mais ce n’était qu’une question de quelques minutes avant que Christian ne reprenne le dessus et ne décide de dégommer tout ce beau monde. Bastien y compris, qu’il soit son frère ou non. Et il sera trop tard pour qu’Alec le regrette ensuite. Si toutefois Alec réapparaît.

Enfiévré, misérable, Alec l’appelait à l’aide. Il le suppliait d’intervenir avant qu’il ne perde complètement les pédales. Ben voyons… Il avait tourné la page, tu parles ! Et comme de bien entendu, c’était donc à lui, Florian, que revenait la charge de tout ce carambolage.

« Parce que c’est toi qui l’a provoqué, susurra Louis, perfide. Et c’est toi qui vas le résoudre. Il te suffit simplement de

Dégage », lui dit simplement Florian qui refusait de s’en laisser conter. Il n’allait pas le laisser commettre un seul meurtre. Ni aujourd’hui ni…

Ne jamais dire jamais. Jamais n’existe pas.

Il soupira. Raison supplémentaire pour les virer d’ici avant qu’ils ne dégénèrent tous les deux.

— Je suis désolé, chuchota-t-il sans même avoir le courage de les regarder en face.

— Florian… Qu’as-tu fait ?

Dans le silence brisé, Léane attendait de lui une réponse. Déconcertée. Mathieu aussi. Profondément blessé.

— Je suis désolé, ne put-il que répéter. Avant de les faire disparaître.

Claire émit une plainte lugubre et se renfonça dans les profondeurs en claquant des dents. Les larmes coulaient de ses yeux, de la morve coulait de son nez. Elle devait en étaler des traînées scintillantes et baveuses sur Bastien, mais il n’en avait rien à faire. Il l’enserrait d’une main réconfortante cramponnée à ses cheveux. Il lui murmurait qu’il était toujours là, qu’il n’avait pas disparu et que tout irait pour le mieux. Elle aurait voulu le croire, mais il était difficile d’y adhérer quand Florian venait d’éliminer la quasi-totalité de ses amis.

Les jambes molles, Arthur tomba à terre, effondré.

— Tu…Tu…

Il s’essaya à aligner les mots dans sa gorge cotonneuse mais son effroi se passait tout aussi bien de paroles.

— Pourquoi ? croassa-t-il faiblement.

— Qu’est-ce que tu crois ? Pour les mettre en sécurité.

— Les mettre en sécurité ? En les désintégrant ?

Il aurait pu mettre des mots sur ses actes : en leur présence seule, Alec évitait la dissolution. Avec eux, Alec ne risquait rien. Et Alec ne les toucherait pas, eux. Mais endosser le rôle de l’incompris ne dérangeait pas Florian. Ce qui le touchait plus encore, c’était d’être le point de mire de tous ces regards broyés et désenchantés d’avoir misé sur le mauvais cheval. Florian se prit un coup de barre qui l’entraînait vers les tréfonds de tous ses êtres. Au final, c’était comme au bon vieux temps. Eux cinq, à nouveau. À la différence près qu’un fossé se creusait entre eux, et que lui se trouvait sur la mauvaise rive. Seul. Parce qu’il n’avait pu choisir.

Et Alec était au milieu. Au fond du trou. Alec ne se détachait pas de l’image de son frère et de sa sœur entremêlés en grappe. Avec tout autant de déchirement.

Claire portait toujours son bracelet qui ne la quittait jamais. Florian peinait à le supporter. Soutenir le regard éperdu d’Arthur qui le sondait furieusement n’était pas plus aisé, bien au contraire.

Et les yeux immenses de poupée triste de Cécile… À tout prendre, c’est ce qui lui faisait le plus mal.

— Je pense que je vous dois des explications, reconnut-il enfin d’une voix blanche.

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