Chapitre 23 : Mais les auto...mates ne sont que des boî...tes... des roues... des fils... des...

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« Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. »

Orphée, réalisation de Jean Cocteau, 1950

« Il était une fois… ». Jolie rengaine passepartout à caser facilement dans n’importe quel contexte.

Qu’une histoire se produise il y a 1000 ans dans un royaume lointain, il y a 100 ans sur le continent européen, ou peut-être le mois dernier chez la voisine d’à côté, « Il était une fois » est une formule bien commode pour ouvrir sur un récit précisément indatable. Que celui-ci soit réel ou non n’a aucune importance. Il est dit que la vérité et les histoires ne font pas bon ménage ; mais bon, on dit aussi que toute légende puise à la source de la réalité pour exister. Et comme par sa nature, l’être humain se complaît à semer confusion et désordre, il préfèrera n’importe quelle sornette au vrai. En définitive, l’homme est un éternel incompris incompréhensible.

Il était une fois donc. Aux alentours du XIXe siècle. Dans ces eaux-là :

« Ils se marièrent et vécurent heureux ». Un temps. Sans avoir d’enfants. Ce qui allait à l’encontre de tout conte de fées. Mais ce n’en était pas vraiment un. Si les contes de fées ne commencent jamais par un mariage, ce n’est pas sans raison.

Le début était juste parfait pourtant. Les préparatifs de la noce. Le juste avant. La mère de la future épousée y avait veillé avec soin. S’était présentée chez l’horloger afin de réaliser le globe de marié le plus accompli sans regarder à la dépense. Le globe de mariée trônerait impérialement dans la chambre à coucher, sur le linteau de cheminée et accompagnerait le couple tout au long de leur vie conjugale. Symbole d’une union admirable, il se devait donc d’être irréprochable.

La décoration intérieure du globe devait compléter cette illustration de parfaite entente : y avait été consacré à cet effet beaucoup de temps et d’efforts. Même dans le choix des miroirs. La présence de miroirs était indispensable : l’amour mutuel que se porteraient les époux dépendait de leurs formes et de leur disposition sous le globe.

Pour prouver leur bonne foi et leur affection à la future bru, la famille du marié avait tenu à l’offrande des miroirs et les avait choisis les plus luxueux possibles, au nombre de trois.

Trois miroirs ovales pour apporter le bonheur au sein du nouveau foyer et combattre le mauvais œil. Le miroir central, le plus imposant des trois, incarnait le reflet de l’âme des mariés et la vérité qu’on ne peut dissimuler.

Au lendemain de la cérémonie, la jeune épouse avait sans doute déposé sa couronne de mariée sous ce dôme tapissé de miroirs et de fleurs artificielles à forte valeur emblématique.

Cette coutume à laquelle la famille s’était attachée est le seul lien tangible pouvant ancrer ce récit dans l’histoire du temps. Entre 1830 et 1870. Peut-être un peu avant. Nous ne possédons rien de plus. Tout le reste appartient inévitablement à la légende.

Par caprice, le globe de verre, initialement conçu pour protéger les horloges de la poussière, a dû protéger une multitude de mariages au cours du temps. Et a dû voir s’effriter plus d’un.

En si peu d’espace, la trahison avait fait main basse sur celui qui nous préoccupe. L’épouse délaissée, poussée par la honte, s’était laissée mourir de chagrin pour ne pas affronter le scandale. Ou peut-être, malgré la condamnation morale et religieuse, avait-elle dignement mis fin à ses jours en femme vertueuse victime des appétits volages d’un mari cruel. L’on ne sait très bien. L’enterrement de la pauvre femme se fit sans grand tapage médiatique et dans la discrétion la plus totale. À tel point que dans la précipitation générale, l’on oublia la tradition de recouvrir les miroirs de la chambre maritale. Mal leur en prit. La Mort s’y logea à l’intérieur, trouvant le décor fort à son goût. Les miroirs sous le globe de mariée étaient devenus témoins et détenteurs d’une fin tragique parachevant un naufrage annoncé.

La mariée fanée avait sans nul doute vu sa dernière heure arriver : des instructions avaient été données au préalable pour mettre ses affaires en ordre ; à sa mort, des dispositions furent prises dans ce sens.

Les miroirs qui réfléchissaient l’amour remarquable des époux l’un envers l’autre furent désassemblés ; les fleurs et autres ornements de métal qui composaient l’ensemble furent fondus pour être remodelés en médaillon somptueux par un orfèvre renommé. Composé en trois parties, selon les indications précises de la défunte. À l’intérieur, elle y avait fait placer une mèche de ses cheveux et incruster dans chacune des trois composantes un morceau de chacun des miroirs. Non sans une certaine touche d’ironie, elle avait fait sculpter un héliotrope sur la surface entière du pendentif. Qui fut porté en présent, en gage de sa profonde gratitude, à la maîtresse de son mari. Ne percevant pas la subtilité du geste, celle-ci renvoya le bijou, qui ne fut jamais porté.

L’orfèvre craignait qu’un tel objet, si précieux et délicat soit-il, ne trouve acquéreur. Il réussit à l’inclure dans la collection qu’il prévoyait de présenter à l’exposition universelle de 18** à moins que ce ne fût celle de 18**.

Bien qu’il démontre l’expertise de l’artiste capable d’exercer autant de finesse et de rigueur sur un tel ouvrage, le médaillon ne remporta nulle distinction d’aucune sorte. Il ne comportait pas la touche éclectique ou exotique qu’affectionnait déjà le public de cette époque, attiré par les styles asiatiques. Peut-être appartenait-il au passé. L’orfèvre finit par le vendre à quelque brocanteur. Le médaillon s’empoussiéra quelques années dans une vitrine, à l’abri des regards.

C’est peut-être à cet instant que commence réellement la fin du début.

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