Chapitre 23 (3/5)

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Un autre mystère insondable se trouvait dans l’essence des miroirs. Les miroirs, qui s’étaient transformés malgré eux en emblème de meurtre et de trahison aux antipodes de leur fonction première, s’en trouvaient entachés d’une malédiction qui venait tout juste de débuter.

Dès son trépas, l’âme du gamin s’était retrouvée capturée dans le médaillon, vraisemblablement par la Mort en personne tapie dans l’ombre. Dans le même mouvement, les autres composantes du pendentif s’étaient emparées d’un fragment de l’âme de ses deux autres camarades, liés par ces miroirs qu’ils conservaient depuis cinq ans, avant même qu’ils ne songent à s’en débarrasser. Les deux acteurs principaux restèrent ignorants du rôle qu’on leur faisait jouer.

Comme une malédiction ne s’arrête jamais à si bon compte, les miroirs commencèrent à aspirer tous leurs héritiers qui auraient pu connaître un destin profitable s’ils n’étaient décédés de mort prématurée, injuste ou accidentelle. Souvent violente. Par la suite d’une trahison souvent.

S’entamait ensuite pour ces pauvres âmes un parcours invariable où elles quittaient leur réceptacle temporaire pour venir se greffer en minuscules fractions, tels des hôtes indésirables, sur certains de leurs descendants.

Ceux-là portaient en eux cet éclat de miroir comme une marque indélébile qui retiendrait à jamais leur mémoire. Une fois le cycle terminé, ce fragment s’en retournait au miroir pour perpétuer la boucle infernale, chargé d’une nouvelle résonance qui morcelait toujours plus l’âme captive.

Au sein des miroirs, deux voies commencèrent à se dessiner entre deux incarnations :

Les âmes qui voulaient lâcher prise et tout oublier de leur vie précédente afin d’éviter souffrance et solitude repartaient pour un autre cycle. Prêts à tout pour se détacher, au risque de se perdre un peu plus à chaque tour.

Les âmes qui étaient ramenées dans les filets du passé, car elles refusaient de le voir disparaître, s’agrippaient fermement jusqu’à se libérer de la boucle. On aurait pu les croire délivrées de l’emprise du miroir, mais en vérité il n’en était rien. Et compte tenu des sacrifices qu’il en résultait, elles étaient peu à faire ce choix. Engluées dans le passé sans jamais devenir présent, elles étaient condamnées dans cet intermédiaire à regarder ceux avec qui elles avaient vécu subir les affres d’autres vies et d’autres cycles immuables. Toujours observer les effets destructeurs d’une même boucle qui ne faisait que consumer les âmes jusqu’à les enfouir à jamais dans les griffes des miroirs, constituants à part entière de leurs reflets.

Ces âmes-là ne pouvaient se résoudre à assister à ce genre de calvaires jusqu’au bout. Elles décidèrent de chercher une solution pour briser la malédiction.

Au fil des cycles, elles avaient fini par accumuler suffisamment de réminiscence pour développer au sortir de la boucle certains attributs du miroir qui les reliaient à leurs vies antérieures. Lasses de s’y perdre en éternels regrets, elles choisirent de prêter ces propriétés à leurs infortunés compagnons, sous une forme atténuée afin de s’adapter à leurs enveloppes. Nécessaires pour débrouiller leur passé emmêlé et confus à travers les méandres de l’oubli, ces pouvoirs constitueraient certainement une passerelle qui les conduiraient hors de la fatalité des cycles. Ainsi, une fois les cycles terminés, ils seraient tous en paix, enfin délivrés de la boucle.

Les âmes mirent donc toute leur confiance dans les trois nouvelles incarnations des trois garçons, persuadés que ce petit fragment qui résidait au fond d’eux ferait toute la différence au moment du « réveil » :

 À l’aîné qui savait si bien guider, ils octroyèrent la maîtrise de la téléportation, afin de se rendre plus rapide et silencieux que la Mort en personne.

 Au deuxième, qui avait dérobé le médaillon et qui était plus rusé que la normale, ils offrirent la possibilité de concrétiser les objets de ses anciennes vies qui naviguaient en résurgence dans son esprit, afin d’opérer le lien entre les différentes époques.

 Quant au dernier, dont l’essence entière était attachée à un autre, il reçut le précieux délicat et dangereux de la bilocation.

Ces trois pouvoirs unifiés en un voyage derrière le miroir les aiderait à révéler la vérité qui s’y cache. Pour faciliter les choses pour des créatures fragiles, à l’intelligence obtuse, les âmes magnanimes firent d’un quatrième descendant l’intermédiaire qui les intégrerait dans cet univers. Confrontés à leurs doubles dans leur contexte d’origine, il leur serait peut-être plus aisé de réveiller leur mémoire enfouie. Dans ces circonstances, peu de cycles seraient nécessaires pour percer le secret, pensaient-elles.

Cette tactique n’eut pas l’effet escompté. Les condamnés des cycles ne pouvaient – ou plutôt ne voulaient – appréhender cette réalité : même en la connaissant, une fois retournés au miroir, la plupart choisissait de leur plein gré d’entamer un nouveau tour et de tout abandonner. Faire face leur faisait peur, s’y soumettre leur faisait mal. La condition humaine est ainsi faite.

Frustrées et de moins en moins malléables au concept d’humanité, les âmes élaborèrent un tout autre système. C’est à cet instant précis que s’opéra le schisme : chacun pour son miroir.

Cette division entraîna d’autres conséquences en chaîne : les trois facultés qu’on avait offertes s’en trouvèrent fractionnées au sein de trois entités propres et irréconciliables. Le nombre de bénéficiaires se révélant donc insuffisant, il s’agissait de créer d’autres victimes récipiendaires de ces nouvelles propriétés.

L’enjeu était double : tuer sa propre descendance afin de constituer une équipe, tout en se débarrassant des champions des autres camps avant qu’ils n’aient le temps de découvrir la vérité. Avec l’assurance que la majorité d’entre eux, à leur mort, préfèreraient le confort de la caverne à la brillance trop brusque du soleil.

C’est ainsi que naissent les dérives : on ne sait trop comment elles surgissent, mais on ne peut plus les arrêter par la suite et la violence devient un cercle infini.

Ces décès prématurés et fort injustes qu’ils provoquèrent eux-mêmes se répercutèrent sur les miroirs. Face à cet autre paradoxe de trahison, les miroirs développèrent trois nouveaux mécanismes de défense afin de pouvoir se protéger. Mais les âmes insatiables s’en emparèrent pour leur propre profit, les remodelant en armes destructrices qu’ils fournirent de même à d’autres. Soumis à cette optique de défense, les sélectionnés protégeaient instinctivement ceux qui représentaient le miroir dans son essence en se dressant contre les adversaires susceptibles de les attaquer en retour.

Les âmes se rendirent rapidement compte que ces sept pouvoirs seraient tout ce qu’ils n’obtiendraient jamais du miroir. Un cycle ne pouvait contenir pas plus de sept personnes pour en figurer la complétude. Qu’importe, elles ne pouvaient s’en contenter. Leur soif d’en finir était telle que leur brutalité ne connut plus de limites.

Elles s’attaquèrent alors à des héritiers des miroirs adverses pour pimenter un peu la partie. Tuer était devenu un plaisir pour certains qui utilisaient ce privilège pour manipuler des pions sur un échiquier grandeur nature. Sous couvert d’une identité quelconque, il leur était par exemple facile de s’immiscer dans les relations humaines et d’y semer la pagaille ; puis d’observer tranquillement le résultat de leur participation. Plus il y avait de tensions, mieux c’était. S’ils venaient à s’entretuer entre eux, c’était encore mieux. Et si les autres utilisaient la même tactique dans le camp adverse, tant pis, ce sera le moyen de se constituer une réserve d’individus facilement interchangeables à intervertir à tout moment entre deux cycles, pour freiner leur lente dissolution.

Cela dura bien deux cycles. Au moins. Mais rien n’évoluait et l’on commençait à se lasser. On eut alors recours à un plan bien plus radical : puisque tout avait commencé par une trahison, tout devait s’achever en trahison. Et c’est sur ce principe…

Cela devenait n’importe quoi.

— Ça suffit. Tais-toi.

Natacha projeta son poing sur le gravier et maintint la pression comme une brute. Ça ne faisait pas assez mal. Même en le pivotant sur les pierres comme une forcenée, elle ne ressentait rien. Elle l’écoutait déblatérer des balivernes et elle avait atteint son point de non-retour. Elle en avait assez.

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