1er Round

2 minutes de lecture

La journée commence bien. Un temps tout juste gris qui n'invite pas trop à la balade, avec quand même assez de lumière pour ne pas plomber mon humeur travailleuse. Café parfait, chat en boule sur mes genoux, clavier accueillant : place à l'écriture, la littérature n'attend pas... et voilà que le téléphone sonne.

– Madame Godin ?

Pas de « bonjour », voix jeune et inexpérimentée : je sens qu'on va me déranger.

– Qui la demande ?

– Martin Pair, des éditions Gallimard.

Bien, je m'en doutais. Allons-y, répondons, mais faisons court.

– Et que puis-je pour vous, Martin ?

Raclement de gorge. On se cherche, on va se lancer, c'est parti...

– Eh bien voilà, Madame : nous avons lu les premiers chapitres que vous avez mis en ligne sur Scribay et nous aimerions savoir si vous seriez intéressée par un contrat d'édition avec notre maison.

What else, de la part d'un éditeur ? Qu'attendre d'autre qu'une proposition de contrat, je veux dire. OK, Gallimard, pas trop mal, ça pose un peu. Voyons donc.

– Je vous écoute, qu'avez-vous à me proposer ?

– Ah, je... merci. Bon, alors... Pour commencer sachez que nous avons adooooré ce que vous avez écrit et que nous ferons tout pour que votre livre trouve ses lecteurs. Je sais que vous avez l'habitude des relations avec un éditeur, donc je peux vous adresser notre contrat d'édition standard ce qui nous donnera une base de discussion pour...

Oui, le contrat standard, celui qui agace ou qui a fait sourire tant d'écriveurs avant moi.

– Gagnons du temps, Martin, voulez-vous ? Résumez-moi rapidement les points clés du contrat et je vous dirai s'il y a matière à discussion.

– Oui, heu... oui, bien sûr. Alors ce que nous proposons c'est bien sûr de vous accompagner dans le travail sur le texte, comme je vous l'ai dit nous adoooorons. Ensuite il y a la promotion et les services de notre attaché de presse pour que votre roman dispose des meilleures chances de mise en place dans...

Il me fatigue déjà.

– Attendez, je vous coupe : ne me parlez pas des évidences. Comme vous le mentionnez si gentiment, j'ai l'habitude et je sais ce que doit comporter la prestation d'un éditeur. Dites-moi d'abord combien.

– Le tirage ?

– Mais non, enfin : le tirage je m'en charge. Ce n'est quand même pas Gallimard qui va me dire combien il faut imprimer d'exemplaires de mon propre livre ! Je vous parle de rémunération, vous me suivez ?

Il y a une sorte de hoquet au bout de la ligne, comme si le jeune Martin se trouvait face à l'obstacle qu'il redoute le plus de sauter. Mais, bon cheval, il se lance.

– Alors, pour la rémunération, nous avons pensé à un pourcentage à deux chiffres qui...

Il est drôle, il me plaît. Jouons !

– Vous rigolez, Martin. Vous permettez que je vous appelle Martin ?

– Je vous en prie, Laurence...

– Ce sera Madame Godin, pour vous. Bon, Martin, j'apprécie l'humour de bon matin, mais il est hors de question que je vous rémunère au pourcentage. Un pourcentage de quoi, d'abord ?

– Eh bien, mais des ventes. C'est le contrat habituel, le mode de rémunération qui...

– Martin, je vois que vous commencez dans le métier, vous êtes plein d'illusions et de savoirs scolaires qui datent, c'est normal. Mais ne vous laissez pas bizuter par vos collègues plus anciens. On ne vous a rien dit dans la maison ? Alors voici : on ne rémunère plus un éditeur au pourcentage sur les ventes, c'est fini cette époque-là !

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