Round 2
Je viens de rappeler à ce cher Martin qu'on ne rémunère plus un éditeur au pourcentage sur les ventes. Il a l'air surpris :
– Ah, mais ce n'est pas ce que prévoit notre contrat... Enfin, pas la rémunération de l'éditeur. Je veux dire, il s'agit de vous rémunérer, vous l'autrice, avec onze pourcents des recettes, une fois déduites les taxes et retenu le...
Alors là, il me prend de court. J'ai du mal à y croire. So vingtième siècle ! Redressons :
– Écoutez mon petit, c'est amusant un moment, mais il va falloir faire un effort : ce n'est pas vous qui me payez. Vous n'êtes qu'éditeur, rappelez-vous ! Un prestataire de services, pas plus. Donc, ce que je vous demande, c'est à combien Gallimard évalue le coût de sa prestation ?
– Heu... évaluer notre prestation ?
– Oui, c'est ça, évaluer, donner une valeur, un prix quoi. À votre prestation, ce que vous allez faire pour moi. Relecture, propositions de correction, qualité littéraire, maquette imprimeur, droit à l'image pour l'utilisation de votre charte graphique, conseil juridique éventuel... Quant au poste promotion et relations presse, faites-moi un tarif en fonction d'un nombre de critiques garanti dans les journaux, de passages en télé et radio, et je veux aussi le chiffrage d'une campagne publicitaire média et hors-média, le tout avec des pénalités en cas d'objectifs non atteints. Alors, combien ça coûte, chez vous ?
– Mais, ce n'est pas... vous comprenez, il faudrait que je fasse calculer tout ça par la compta, parce que ça dépendra du nombre d'exemplaires et...
Ce gamin n'a aucune idée des réalités du métier. Il faut bien que quelqu'un fasse son éducation, mais pourquoi moi, et pourquoi aujourd'hui ?
– Martin, ouvrez les yeux : en quoi la rémunération de ces tâches ponctuelles peut-elle être liée à un quelconque nombre d'exemplaires imprimés ou vendus ? Vous n'êtes pas imprimeur, ni libraire, n'est-ce pas ? Les employés de Gallimard vont juste travailler sur l'amélioration de mon livre et son lancement, non ?
– Heu, oui, enfin, oui, bien sûr.
– Il faut donc qu'ils soient payés pour ça, non ? Vous-même, Martin, vous aimeriez être payé à la fin du mois : vous êtes bien salariés ?
Il est bien salarié, il confirme.
– Eh bien Martin, aimeriez-vous que votre salaire dépende du nombre d'exemplaires de mon livre vendus dans, disons six à douze mois ? Donc de mon travail d'hier et de sa réception future ? Est-ce que ce serait juste ?
– Peut-être pas, en effet, mais...
– Mais rien du tout. J'apporte le texte initial, vous travaillez dessus, et je vous paye pour votre travail, pour ce qu'il vaut, indépendamment de mon travail à moi et du goût qu'en auront les lecteurs éventuels. Voilà ce qui est juste, n'est-ce pas ? De même qu'il est juste pour moi de savoir combien vous allez me coûter. Il y a plus de quatre mille maisons d'édition en France, vous le savez. J'ai besoin de données chiffrées pour arrêter mon choix parmi ces quatre mille prestataires potentiels. Même en réduisant la sélection à vos collègues les plus proches en termes d'historique des succès, d'image de marque et de présence médiatique, il en reste une tournée. Je ne vais pas vous choisir au doigt mouillé ou sur votre bonne mine : donnez-moi des arguments comparatifs ! C'est le jeu de la concurrence, mon petit. Un jeu de massacre, que vos anciens patrons trouvaient très sain lorsqu'il jouait en leur faveur. Mais ça, c'était avant. Aujourd'hui, nous négocions ce que vous valez, vous et vos collègues de la maison Gallimard.
– Oui, sans doute, mais je ne sais pas si je suis autorisé à mener ce genre de négociation. D'habitude nous proposons un pourcentage et nous payons un à-valoir qui...
– Qui ne vaut pas grand-chose, je suis bien d'accord. Bon, si vous ne pouvez pas négocier vos tarifs de quoi pouvons-nous donc parler ?
Annotations
Versions