Chapitre 16

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J'avais seulement eu le temps d'enfiler une jupe par dessus mon collant, des bottes trop larges pour moi ainsi qu'un long manteau noir tâché de boue. Je pouvais avoir honte de mon accoutrement, seulement, en présence de Sire Alderic, je ne la ressentais pas. C'était la première fois que je le voyais habillé sobrement, sans sa cape rouge ou sans sa tenue de combat. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état ; les poings serrés, tête baissée face au vent, il m'emmenait tout droit vers la forêt du parc sans m’adresser un seul mot. Ses yeux ardents semblaient s'enflammer chaque fois que j'osais lui poser une question.

- Je suis dans une position... - il cherchait ses mots avec frustration - délicate avec mes aïeux.

Sans expliquer le fond du problème, il exposait tout de même son agacement. Il se confiait doucement à moi ; je ne pouvais que me réjouir de ce grand pas en avant. Je me contentais seulement de hocher la tête respectueusement, le laissant s'exprimer comme il le pouvait par-dessus le sifflement du vent qui faisait joliment danser les arbres morts, les dernières feuilles mortes se mêlant à la valse de la nature en rythme.

- Vous restez leur roi, Sire, me permis-je de lui rappeler. Je suis sûre qu'ils comprendront vos choix, quelque soit leur avis.

- Justement. Ils font des choix à ma place. Et je ne peux contredire des personnes qui seraient bien meilleures que moi au pouvoir, c'est impossible.

Je secouai la tête, exaspérée.

- Voilà une autre chose que je découvre chez vous. Un manque de confiance flagrant.

Il haussa un sourcil, son regard glacial dirigé vers moi.

- Vous n'avez aucune aide et vous êtes seul, c'est tout à fait justifiable ! m'expliquai-je aussitôt en souriant désespérément. Il vous faut acquérir de l'expérience, et même sans cela, je sais que vous êtes un homme juste et bon. N'est-ce pas là les meilleures qualités qu'un roi puisse avoir ?

- Personne ne dit que je suis juste et bon, rétorqua-t-il. Vous êtes bien la seule à dire de telles bêtises.

Offusquée, je m'arrêtai.

- Non mais ! m'écriai-je en le défiant du regard. Ceux qui disent le contraire sont de beaux imbéciles. Il faut mal vous connaître pour ne pas le penser !

- Parce-que vous me connaissez bien, peut-être?

- Bien-sûr, oui ! m'emportai-je. Du moins, je commence ! Pourquoi faut-il que vous preniez ces grands airs ? Vous me laissez l'opportunité de me rapprocher de vous, alors assumez-en les conséquences.

Désarmé, Sire Alderic s'arrêta à son tour, ses épaules s'affaissant lentement. Je m'avançai jusqu'à lui avec vivacité, le regard noir.

- Et je ne me laisserais pas avoir par cette carapace dure et froide qui vous renforce, croyez moi, m'exclamai-je en me mettant sur la pointe des pieds tout en pointant son cœur du doigt.

Le visage inexpressif du roi se détendit légèrement, et, à ma plus grande surprise, il attrapa mon poignet.

- Ce n'est pas moi qui ai choisi cela, murmura-t-il avec clarté, le front plissé. C'est ce qui se trouve sous cette carapace qui s'est engagé à vous faire rentrer dans ma vie, et je vous assure que j'essaye d'accepter sa décision.

Mon cœur rata un battement dans ma poitrine. Je pouvais lire dans les yeux du roi une telle sincérité que j'en perdis mes mots. Ce genre d'affirmation de sa part me touchait profondément, être face à cette autre personnalité qu'il dévoilait me bouleversait. Je finis par me remettre de mes émotions, baissai la tête tout en glissant ma manche contre la sienne, les lèvres pincées. Le vent soulevait les feuilles autour de nous avec tant de puissance que j'en fus déstabilisée, mon bras fermement accroché à celui du roi retenant quelques tremblements.

- Continuons cette balade, finis-je par déclarer tout en le fixant, affectée. Elle s'annonce plutôt bien, je trouve.

Sire Alderic resserra son étreinte en plissant légèrement les yeux de sorte à exprimer sa gaieté. Je m'étais souvent demandé pourquoi son visage me paraissait si froid ; notre roi ne souriait jamais. À cet instant même, alors que je l'observais, je compris enfin que c'était son regard qui me souriait. Rares étaient les fois quand cela arrivait, dans tous les cas, c'était la chose la plus délicate et franche qui pouvait exister ; ses yeux éloquents parlaient pour lui, et je trouvais que cela lui donnait un air plus authentique. Je fus aussitôt charmée par ce nouvel aspect et, le pas lent et distrait, je m'enfonçais un peu plus dans la forêt profonde qui me paraissait inextricable à ses côtés.

- Il faudrait que vous viviez au château dans d'autres conditions, finit-il par dire sans grande conviction.

- Vous savez tout comme moi que c'est impossible, répondis-je, comme pour me persuader moi-même.

J’espérais au plus profond de mon cœur être contredite. La tâche d’une domestique était bien plus difficile que ce que je me l’étais imaginée.

- Tout serait plus simple sans ces maudits Lombards ...

Il avait laissé cette phrase en suspend ; l'espace d'une seconde, j'interprétai cela avec une bouffée d'espoir. Mais nous nous portions seulement de l'amitié, lui et moi, et en tant que domestique, je ne pouvais me permettre de songer à autre chose qu'à de l'affection. Cependant... je n'arrivais pas à m'empêcher de m’imprégner de sa présence. Sa façon de me porter un peu de son attention. Son bon sens, sa vertu et sa vulnérabilité qu'il tentait maladroitement de cacher. Je secouai la tête en me blâmant intérieurement, perplexe de penser à ces choses alors que je ne l'aimais pas assez pour en arriver là.

- Eh bien... tentai-je finalement en pressant mon épaule contre la sienne. Je suppose qu'un jour, tout sera terminé. Et que nous pourrons vivre normalement.

- Je vous promets de vous protéger jusqu'au bout, Amicie, quelque soit la manière qu'il faille. Mais vous voir à bout à cause de ce travail m'ennuie fortement, me confia-t-il.

- Non, ne vous préoccupez pas de cela, je vais très bien et je peux patienter tout le temps qu'il faudra, insistai-je, le mensonge me brûlant la langue.

Sire Alderic sonda mon visage, incrédule. La nuit tombait peu à peu et c'était à peine si je pouvais voir son expression insatisfaite.

- Vous êtes trop modeste, le savez-vous, cela?

- Et vous, inattendu. Depuis quand suis-je votre principale préoccupation ?

- Depuis que vous vous êtes retrouvée attachée à un arbre, inconsciente après qu’un attentat ait fait exploser tout un wagon.

Je lui donnai un léger coup d'épaule en riant, me remémorant ces journées passées dans le campement de l'ancien colonel.

- Savez-vous au moins où est-ce que nous sommes ?

Il faisait noir complet, désormais. Nous pouvions apercevoir au loin dans le ciel les étoiles révéler leur splendide étincellement, dispersées autour du quart de lune qui nous éclairait vaguement. Le froid d'hiver nous enveloppait assez pour nous faire trembler, et le vent se faisait de plus en plus pressant.

- Vous avez raison. Nous devrions rentrer, finit par déclarer Sire Alderic après avoir longtemps observé les alentours.

- Je le conçois bien, ris-je nerveusement. Mais où sommes-nous ?

Un long silence accueillit ma question, trahissant les émotions du roi qui tentait de s'y retrouver tout en essayant de ne pas me faire paniquer. Il pivota, lâcha mon bras et je pus voir sa silhouette s'avancer jusqu'à un chêne.

- Nous avons tant marché que ça? pensa-t-il à haute voix tout en passant une main sur la mousse de l'arbre.

Là, il m'affolait. Je gardais tout de même mon calme, le cœur battant.

- Faisons demi-tour. Nous finirons bien par trouver l’orée.

Sire Alderic ne répondit pas. Je n'arrivais plus à voir où il se trouvait, ma crainte s’intensifiant lorsque j’eus l’idée qu’il se jouait probablement de moi.

- Sire ? murmurai-je dans le vent, figée.

Toujours rien. La peur me nouant le ventre, je m'approchai du chêne avec incertitude, en colère et terrorisée.

- Répondez-moi ! m'emportai-je, frissonnante.

Soudain, une main m'attrapa par le poignet, m'extirpant de ma paralysie, puis deux bras me plaquèrent contre le chêne. Je reconnus à travers mes yeux humides les mèches blondes de Sire Alderic.

- Amicie... chuchota-t-il.

- Enfin ! grommelai-je en lui frappant le bras. Cessez cette mauvaise plaisanterie immédiatement !

Mon comportement d'aristocrate ressortait ; voilà que je me mettais à donner des ordres. Au roi, en plus de cela. Sire Alderic fut un instant surpris ; alors que je m’apprêtais à m’excuser, il déposa sa main contre mes lèvres en me faisant signe de me taire.

- Les Lombards, m'expliqua-t-il simplement à voix basse.

J'attendis sagement, piégée entre l'arbre et le roi, une boule d'inquiétude se formant au fond de ma gorge. Il retira lentement sa main, aux aguets, ce qui me permit de passer la tête sur le côté afin de voir ce qui nous entourait, les doigts cramponnés à mon manteau. À peine eus-je le temps de regarder le sol sous mes pieds qu'une détonation surprenante d'une arme à feu résonna dans toute la forêt. Le vent sifflant aux oreilles, je pus sentir la balle m'effleurer avant que Sire Alderic ne me tirât en arrière. Je m'appuyai aussitôt contre l'arbre en respirant avec peine, prenant conscience qu'il venait de me sauver la vie. Sire Alderic passa aussitôt ses mains sur mes épaules pour vérifier que je tenais encore debout, et, voyant la lueur chamboulée dans mes yeux écarquillés, il déclara :

- Il va falloir courir. Et vite.

Il me prit la main et m'entraîna vers l'espace immense de la forêt qui s'étendait devant nous. Je courus aussi rapidement que je le pouvais l'inconnu, les coups de feu retentissant derrière nous faisant monter en moi l'adrénaline qui m'incitait à dépasser mes plus grandes limites.

- À droite ! hurla Sire Alderic.

Il ne savait pas où nous allions, mais nous dérapâmes tout de même entre deux buissons, hors d'haleine. Alors que j'allais lui dire que j'étais à bout de force, deux hommes jaillirent de nulle part et nous crièrent de nous arrêter. Sire Alderic fit un arrêt net, manquant de me faire trébucher dans mon élan qui fut coupé.

- Ce n'est point la peine de détaler comme des lapins, Monseigneur, s'exclama un des hommes.

Stupéfaite d'entendre un accent français sortir de la bouche de nos poursuivants, je resserrai ma main tremblante dans celle du roi qui, ébahi lui aussi, demanda froidement :

- Que faites-vous donc ici ?

- On peut bien vous poser la même question, Monseigneur, rétorqua l'autre. Nous avons conscience que nous sommes dans la forêt privée du roi, mais vous êtes autant fautifs que nous.

- On vous a pris pour du gibier, pardonnez-nous, s'excusa le premier homme.

- Cela n'explique toujours pas votre présence ici, gronda Sire Alderic.

J'étais étonnée qu'il ne se prononçât pas comme étant le roi. Il devait rappeler aux chasseurs à qui ils avaient le culot de s'adresser, puisqu'ils semblaient ne pas le reconnaître et lui parler comme à un vulgaire bourgeois de campagne ; je ne pouvais pas les blâmer, les habits que portait Sire Alderic étaient trompeurs. Comprenant qu'il n'en avait pas l’intention, j'attendis alors avec patience que nous eussions une explication à tout cela.

- C'est évident, non ? Nous chassons. Avec notre cher monarque qui ne se donne plus la peine de gérer la crise économique et financière, nous nous devons de nous nourrir nous-même. Et par pur hasard, cette forêt regorge de gibier.

Face à cette annonce glaçante et révélatrice, je baissai la tête en m'imaginant la réaction du roi Celui-ci se crispa près de moi, tendu.

- Peut-être s'occupe-t-il d'autres choses plus importantes... tenta-t-il, sur la défensive.

- Il n'y a rien de plus important que de nourrir son peuple ! s'exclama un chasseur qui arrivait derrière nous suivi de tout un groupe. Pardonnez-nous d'avoir tiré sur vous, mes amis, nous...

- Oui, nous avons saisi, merci, le coupa durement Sire Alderic. Excusez-nous de vous avoir dérangés, mais nous rentrons, désormais.

- Mais... commençai-je.

- On y va, Amicie, dit-il avec brusquerie.

- Bien... au revoir, Monsieur-dame, lança la voix de l'un des chasseurs.

Sire Alderic m'emmena avec lui sous les regards étonnés du groupe, et, une fois assez éloignés, je tentai de le rassurer :

- Ils ne savent pas que vous êtes occupé avec les Lombards. La faim leur monte à la tête et les fait parler de manière déplacée...

- Non, marmonna-t-il comme pour lui-même. Ils ont raison.

- Ne baissez pas les bras. Ne les baissez jamais. Je sais que vous trouverez une solution.

Sire Alderic étouffa un rire jaune.

- Et nous sommes toujours perdus. Par ma faute. Je ne comprends pas pourquoi vous continuez à m’épauler. Je ne le mérite pas.

Je me tournai vers lui en marchant à reculons, l'attrapai par le bout des doigts et murmurai :

- J'ai jugé que vous le méritiez. Tout le monde mérite un peu de gentillesse, vous ne croyez pas ? Maintenant cessez de vous lamenter et retrouvez-moi ce fichu château.

Sire Alderic inspira profondément en se laissant aller, les yeux brillants.

- Très bien, Mademoiselle.

La petite note d'humour dans sa phrase me fit étrangement sourire. J'aimais le voir ainsi.

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