Chapitre 17

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- Tu nous as inquiétés, hier soir.

Les flammes crépitaient doucement dans la cheminée, le regard de ma grand-mère lançait des éclairs et la tasse de thé que je tenais au creux de mes mains me brûlait. La lourde atmosphère emplie de tension mélangée aux bouffées de chaleur que provoquait le feu de cheminée semblait s'abattre sur le petit salon dans lequel nous nous trouvions, rongés par notre confrontation de la veille. Je manipulais ma tasse avec hésitation pendant que mon grand-père attendait une réponse derrière son grand journal qu'il avait pour habitude de lire le soir. Je leur avais à peine parlé de la journée, prenant des précautions pour ne pas paraître insolent chaque fois qu'ils tentaient de discuter. Sous l'œil sévère de mon aïeul, j'attendis que le nouveau valet de pied embauché dans l'après-midi s'en allât, puis je finis par répondre d'une voix rauque qui trahissait ma lassitude :

- J'ai encore le droit de sortir pour réfléchir seul.

Ma grand-mère soupira.

- Nous comprenons ton agacement. Cela ne nous fera pas changer d'avis pour autant.

- Les jeunes filles sont toujours invitées à venir dans un mois, me rappela mon grand-père sans la moindre empathie.

- Elles seront vites déçues, dans ce cas, grommelai-je.

Je posai ma tasse sur la table basse, me levai et m'approchai de la cheminée en amenant mes bras dans mon dos. Une flamme dansante devant les yeux, je revoyais encore Amicie essayer de rallumer vainement les braises lors de son premier jour de service.

- Tu perds tant de temps avec cette roturière, murmura ma grand-mère comme si elle lisait dans mes pensées. Rencontrer des jeunes filles de ton rang te fera le plus grand bien, tu le sais.

Je tournai vivement la tête vers elle, comme pour nier les faits. Comment pouvait-elle savoir de quoi étaient constituées mes journées et plus particulièrement avec qui ? Elle qui passait son temps à lire de vieux ouvrages avec nostalgie et désespoir, une telle déclaration de sa part me prenait au dépourvu.

- Bien. Passons à autre chose, voulez-vous ? lança mon grand-père pour éviter un autre éventuel débat.

Il vint s'asseoir sur l'un des fauteuils sans quitter du regard l'article du journal qu'il venait de lire, puis, avec un air désolé, il nous apprit :

- La disparition de Mademoiselle Suzanne d'Artéville, héritière de Monsieur et Madame d’Artéville, a été confirmée dans la matinée. Toute sa famille semblait déjà avoir péri auparavant à cause des Lombards ... quelle triste nouvelle, cette jeune fille entre à peine dans sa dix-neuvième année.

- Mon dieu ! Pauvre enfant, s'exclama ma grand-mère, bouleversée.

- Elle serait partie quelques temps après le décès de sa mère, et aurait confié sa demeure à son gestionnaire. Personne ne sait où elle se trouve, ni si elle a survécu.

Il fronça à nouveau les sourcils.

- C'est étrange. Cette affaire date de plusieurs mois mais elle vient d'être clôturée.

- Vous la connaissiez ? demandai-je soudainement.

Des disparitions d’aristocrates étaient publiées chaque jour dans les articles des journaux, ce n’était pas un sujet qui manquait dans les nouvelles du jour.

- Peu, répondit ma grand-mère. Nous avons rencontré sa famille lors de nombreuses réceptions données par tes parents, c'étaient des gens charmants. La duchesse d'Artéville était une bonne amie de ta mère. Attends, il me semble que nous avons une photo d'elle dans l’un de nos registres de photographies.

Elle se leva à l'aide de sa canne et partit en direction de la bibliothèque.

- Et tu as sûrement dû voir la petite Suzanne une ou deux fois, Alderic, m'informa mon grand-père. Vous n’étiez que des nourrissons, à l'époque.

- Elle a sûrement dû revenir plusieurs fois pendant que j'étais occupé à m’enrôler, conclus-je avec une grimace. Bon-papa, je n'ai aucun souvenir d'elle, pourquoi m’en parler maintenant?

- Parce-qu'elle était l'une des rares aristocrates à être encore en vie, peut-être même la seule, soupira-t-il. Elle était notre dernier espoir. Ne penses-tu pas qu'il vaille mieux que ta future reine soit une Française de souche ? Enfin bon, désormais, c'est impossible, nous n'y pouvons rien.

- D'autant plus qu'elle était éblouissante, ajouta ma grand-mère d'une voix étouffée, une pile de livres dans les bras.

Spontanément, je me dirigeai vers elle pour l'aider à porter tous les registres qu'elle venait de prendre avec elle. J'emportais la moitié de ces-derniers avec moi afin de les mettre sur le canapé. Ma grand-mère déposa les siens sur la table basse, essoufflée d'avoir fait autant d'efforts. Elle se munit de la canne qu'elle avait gardé autour de son bras, s'assit gracieusement en face de moi et pencha légèrement la tête d'un air intrigué.

- Ouvre celui qui est en cuir noir, indiqua-t-elle, oui, voilà, celui-là.

J'appliquai ses instructions minutieusement, de peur de voir le paquet de pages s'effriter dans mes mains ; c'était tellement fragile que j'osais à peine le feuilleter. D'un geste précautionneux, je tournai la première page tâchée de jaune à l'encre à moitié effacée. Les dates me paraissaient plutôt anciennes, je me demandais si les photos des d'Artéville figuraient bien à l'intérieur étant donné la récence de leur existence.

- Tous les amis de la famille sont dedans. Si tu vas vers la fin, tu les verras...

J'étais arrivé sur la photo d'une petite fille en noir et blanc au moment précis où ma grand-mère eut fini sa phrase. Je pouvais à peine percvoir son visage, mais il me semblait au premier abord découvrir celui d'un petit ange.

- Magnifique, commenta ma grand-mère en souriant. C'est elle. Mademoiselle d'Artéville. Oh, bien-sûr, elle devait avoir dans les alentours des cinq ans, mais regarde-la, elle paraît si...

- Paisible, complétai-je, perdu dans mes pensées.

Cette fillette m'était familière ; je n’arrivais pas à mettre le doigt sur cette impression.

- C'est la seule photo qu'on a d'elle, tourbillonnant dans sa petite robe blanche au milieu de la grande salle. C'était lors du mariage de ton grand-oncle, les d'Artéville avaient tous été invités. Elle était l'une des petites demoiselles d'honneur, avec ses deux sœurs, murmura mon aïeule.

Je voulais tant contempler sa face qui m'était inaccessible, car seuls ses cheveux rassemblés en un chignon et le bout de son nez ressortaient sur la photographie.

- Ravissante, marmonnai-je en refermant le registre d'un coup sec.

Sans un seul mot, j'embrassai ma grand-mère sur le front puis sortis du salon avec frustration. Je n'oubliais par le mariage qu'ils souhaitaient organiser pour moi malgré mes protestations, devinant leur plan à travers les photographies de petites filles aristocrates disparues qu’ils me présentaient afin de me tenter. Mais je m'entêterais, je m’étais promis de ne pas abandonner ; leurs moyens les plus détournés ne me feraient en aucun cas changer d'avis. Je rejetais l'amour plus que tout afin de me concentrer sur mes grands desseins, l’un d’eux étant de protéger la France qui avait grand besoin d'être secourue.

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