1.3 L'HISTOIRE
Partout dans le monde, 2006
Trop de viols. Trop d'agressions. Les femmes en ont marre. Suite à un mouvement social planétaire, elles se rebellent. De partout, les dames parlent et révèlent leur quotidien, les agressions qu'elles ont subies. Elles dénoncent leurs bourreaux et tous ces actes misogynes, condescendants, vulgaires ou violents. Les témoignages affluent. Le monde prend part à leurs souffrances. Cela ne dure que quelques jours.
Très vite, les témoignages sont contestés. On remet en doute la crédibilité des victimes, les faisant parfois passer pour des bourreaux. On condamne quelques hommes pour calmer le jeu. Des figures importantes et célèbres du sport, cinéma ou de la finance. Quelques procès médiatisés soit disant exemplaires. Quelques sacrifiés punis pour l'exemple et pour apaiser les esprits.
Une goutte d'eau dans un océan de problèmes. Les demoiselles sont confrontées à la misogynie dès la naissance et les actes de domination à leur égard sont légions. Les citoyennes qui osent les montrer à la face du monde sont traitées d'hystériques, de folles et de castratrices. On stigmatise la population sur quelques folles extrêmes pour discréditer le mouvement planétaire.
On en appelle à la liberté d'expression, on réclame le droit d'importuner sous couvert de vouloir séduire. Des égéries célèbres elles-mêmes se retournent contre la gent féminine. Le droit de dire non et d'avoir la paix, la notion de consentement devient floue. Des gestes agressifs sont cités comme étant la norme. Caresser la main d'une fille dans le métro sans son consentement devient de la drague et non une agression.
Des femmes s'extrémisent et deviennent les folles furieuses récriées qui ne font pas avancer la cause, bien au contraire, en voulant protéger, elles font reculer les mentalités. Les " borderlines" font peur et entraînent une radicalisation massive d'hommes et une baisse de soutien des autres représentantes de la gent féminine.
Les victimes se heurtent à un mur de déni, ou à des questions sur leurs tenues vestimentaires, comme si elles avaient cherché à se faire agresser, comme s'il était facile de se défendre contre les coups. On les rend coupables au lieu de les protéger et de les secourir. La détresse émotionnelle est mise à la poubelle, les délits sont minimisés. On protège les coupables, on les rend célèbres. On parle d'eux et non des victimes.
Voyant qu'on ne les écoute pas vraiment et que les choses ne bougent pas, plusieurs intellectuelles émettent une idée et s'associent. Elles s'organisent dans le plus grand secret. Elles rêvent d'un monde juste et équitable. Un monde où chaque humain vaut autant que l'autre. Blanc, noir, indien, chinois, tahitien, homme, femme, enfant... Tous égaux. Tous respectés. Tous protégés. Elles savent que cette société ne peut exister dans l'état actuel des choses, quand on voit que l'une des plus grandes puissances mondiales a élu un prédateur sexuel comme président, la planète n'est pas prête à une égalité entre humains.
Se surnommant elles-mêmes les amazones, du nom de cette tribu de femmes guerrières de la mythologie grecque qui auraient existées d'après les dernières découvertes, ces érudites ont compris que le monde ne pourra pas changer et devenir plus juste avec autant de déballage public. Elles savent que pour parvenir à leurs fins, il faut tout changer de fond en comble, progressivement. En avançant à pas de loup, elles se préparent à une guerre invisible de longue durée. Une révolte silencieuse se met en place doucement.
Mille ans plus tard , les amazones dominent ce monde. Les volontés d’égalité du départ ont été mis à mal avec le temps et la hiérarchie sociale s'est inversée et extrémisée. Les êtres humains sont classés en fonction de leur patrimoine génétique : probabilité de résistance aux maladies ; quotient intellectuel ; potentiel physique ; absence de mutations. Une note de zéro à cent est attribuée à chaque humain. À la naissance, les enfants sont testés par prélèvement d'une goutte de sang. Ils sont répartis en fonction de leurs potentiels et éduqués selon leur avenir. À seize ans, un test plus complet pour vérifier les aptitudes permet le classement définitif et l'attribution du nom d'adulte.
Les femmes dominantes sont les Alphas, celles qui ont une note au-dessus de quatre-vingts. Elles sont extrêmement rares, si exceptionnelles qu'elles dirigent un état, si précieuses qu'elles ont droit à un nombre illimité de mâles en même temps, pour transmettre leur génome.
En bas de l'échelle sociale, les Zêtas, les femmes ayant une note inférieure à cinquante ou n'étant plus fécondes. Elles sont privées de reproducteurs et sont les employées des autres. Entre, les Deltas: soixante-dix à quatre-vingts, les Epsilons : soixante à soixante-dix et les Gammas : cinquante à soixante.
A seize ans, les jeunes femmes reçoivent leur métier et parfois leur premier mâle. Les reproducteurs partent chez leur première propriétaire. Tous reçoivent un code. Sexe mâle (M) ou femelle (F), Première lettre de la catégorie sociale (Alpha, Delta, Epsilon, Gamma, Zêta), Valeur génétique (de zéro à cent), état, année et mois de naissance, classement au test complet.
Les affectations sont dirigées par ordinateur afin de minimiser la consanguinité, favoriser la diversité du génome. Cependant, pour les humains, malgré une gestion informatique, le système s'enraille depuis une centaine d'années. La répartition des naissances est déséquilibrée, comme si le corps des futures mères refusait de porter un mâle.
Les reproducteurs viennent à manquer. Les hommes, maltraités souvent, meurent plus vite et donnent de moins en moins de descendants. Avec de moins en moins de mâles en capacité de se reproduire, le taux de natalité chute de nouveau drastiquement et le peuplement du monde diminue peu à peu.
Au fur et à mesure que le nombre d'Alphas faiblit, les États sont regroupés. La planète est aujourd'hui divisée en trente-six États. L'Alpha ayant la meilleure note supervise tous les autres. C'est l'Alpha Suprême. Ce monde n'est pas si parfait. Les reproducteurs commencent à se rebeller. Des femmes aussi. Sept milliards d'humains hier, trente millions aujourd'hui dont un seul million d'hommes seulement. Entre la chute de la natalité et les maladies de consanguinité qui croissent de plus en plus, la survie de l'espèce humaine est en danger.
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