Chapitre huit : Lagune. Écrit par Marsh Walk.
Chapitre huit : Lagune. Écrit par Marsh Walk.
La lagune s’étendait à ses yeux perdus. Accoudée contre une balustrade de fer forgé, Léonore s’imprégnait de l’ombre du campanile qui perçait au loin. Dans le vif du matin, la Piazza Di San Marco se devinait plus qu’elle ne se voyait du débarcadère du Lido. S’en souviendrait-elle d’ici peu ? La nuit dernière, après avoir dansé à s’en couper le souffle, elle n’avait pas voulu aller se coucher « le temps prend mes pensées » avait-elle dit à Laurent, « allons de l’autre côté de la lagune, s’il te plaît ». Une autre bise sur la joue l’avait décidé en un clin d’œil. Ils avaient juste fait un passage éclair à l’hôtel pour récupérer des batteries, et avaient filé comme deux amoureux pris en flagrant délit.
Laurent, d’un mouvement circulaire, continuait d’imprégner sur une carte mémoire ce paysage merveilleux. Il stoppa sur Léonore et zooma sur ses yeux dans lesquels se reflétait l’émeraude de l’eau. Comment ne pas succomber ? Chaque instant qui passait, le rapprochait un peu plus d’elle, bientôt, il serait son esprit, ses mains, son fantôme.
– On va jusqu’à la plage ? Lance-t-il.
– Oui… mais j’ai faim, trouvons d’abord un endroit où prendre un cappuccino, tu veux bien ?
– Suis-moi, je connais un petit bar sur Grianviale, ils y font le meilleur café du monde.
La mousse onctueuse qui orne le café dessine un cœur parfait, Léonore le fixe un bref moment, puis sa cuillère le brise. Après une gorgée, elle demande à Laurent :
– J’ai une idée… plutôt que d’aller à la plage, si on… Approche ton oreille…
Laurent pose sa tasse, décale sa chaise et positionne sa tête à presque toucher les lèvres de Léonore. Les joues empourprées, il imagine déjà ce qu’elle va enfin lui susurrer, et ses poings se crispent. Il écoute les sons qui s’échappent de sa bouche, et ses yeux fermés s’ouvrent sur deux billes de surprises.
– Hein, mais t’es folle ! On… on ne peut pas faire ça.
– Parle moins fort Laurent, des gens nous regardent. Tu n’aimes pas mon idée ?
– Mais voyons Léonore, c’est… c’est…
Elle lui attrape une main.
– C’est fou… et tellement inattendu de ta part. Je ne te croyais pas comme ça.
– Je suis une femme imprévisible.
– Tout à fait.
– On commence quand ?
– Ne sois pas pressée Léonore, il faut un minimum de préparation, si on improvise, ça ne va pas le faire.
– Tu ne changeras pas d’avis ?… Donne-moi ta parole.
– … Tu as ma parole Léonore.
Une bise sur la joue vient clore la discussion, tous deux se lèvent, et se dirigent vers le vaporetto qui les ramènent, en passant par le grand canal, à leur hôtel.
Les deux jours suivant, on les voit déambuler dans les rues qui entourent la place Saint-Marc, Laurent, toujours caméra au poing qui filme Léonore. Ils s’attardent devant des devantures, se séparent brusquement en partant chacun de leur côté, pour finalement se retrouver au-delà d’une ruelle. Leurs rires cognent les façades, glissent sur les canaux, leurs doigts qui parfois s’entremêlent, laissent penser à deux amoureux, à qui la vie laisse tout.
À l’aube du troisième, ils sont les premiers dans la Calle Vallaresso à se mouvoir à pas de loup. Personne, ni devant ni derrière, du moins pour l’instant. Laurent a fixé une petite caméra sur une sangle de son sac à dos, il a de cette façon les deux mains libres pour œuvrer. Il l’enclenche, se tourne vers Léonore, et lui dit :
– Dans deux minutes, c’est à nous de jouer… pas de remords ?
– Aucun.
– Bon… met ton masque alors. Et souviens-toi, ne m’appelle plus Laurent, mais Clyde, OK.
– Oui Clyde, et pour toi je suis Bonnie… J’entends le chariot, le livreur arrive, cache-toi.
L’homme qui pousse son diable de livraison, n’en revient pas. Que fait cette femme nue, et affublée d’un masque de carnaval qui danse au milieu de l’étroite ruelle ? Il laisse son chariot, s’approche de Léonore avec un grand sourire, et ne voit pas dans son dos l’homme qui dérobe un paquet. Le colis sous le bras, Laurent prend ses jambes à son cou et crie :
– Bonnie, j’ai le paquet, on se retrouve là où tu sais.
– Oui Clyde…
Comme deux ronds de flan, le livreur fait volte face et ne vois qu’une silhouette qui s’éloigne rapidement, il retourne à son chariot et remarque qu’il ne manque qu’un paquet. Soulagé, il reprend son diable, et se dirige vers la Piazza San-Marco en ne pensant qu’à cette fille qui s’agitait devant lui pour faire diversion.
Le couple qui se serre l’un contre l’autre dans le vaporetto vide, n’arrête pas de rire, seul le pilote du bateau les regarde dans un rétroviseur, et ses lèvres étirées, trahissent un sourire.
À la pointe de la plage du Lido, Laurent déballe le contenu du carton qu’il vient d’éventrer. Dans le sable, il plante de-ci de-là fusées et pétards qui doivent servir au feu d’artifice qui clôture le carnaval. Il tire une mèche et va s’asseoir aux côtés de Léonore.
– Tu es prête ma Bonnie ?
– Oui mon Clyde, met le feu.
Des crépitements se font entendre, puis des chuintements aiguës suivis d’explosions. Dans le ciel encore sombre, des myriades de couleurs se développent en étoiles éphémères.
– Merci Laurent… Tu as tout filmé ?
– Oui, absolument tout. Où veux-tu aller maintenant ?
– J’ai toujours rêvé de découvrir la Croatie…
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