Chapitre 32 - La femme paladin
Jaelith était entourée par les ténèbres. Elle ne savait pas où elle se trouvait, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle n'y voyait rien et avait la sensation d'être totalement perdue.
— Jaelith...
Quelqu'un l'appelait, mais elle n'arrivait pas à reconnaitre la voix. La jeune femme aux yeux azur aperçut alors une petite lumière au loin. Flottant dans les ténèbres, elle décida de s'en approcher. Au fur et à mesure qu'elle avançait, la voix se faisait de plus en plus proche. La lumière était de plus en plus vive. Et lorsque la femme paladin l'atteignit enfin, sa chaleur l'entoura et elle ferma les yeux.
Lorsqu'elle les rouvrit, elle savait où elle se trouvait. Elle reconnaissait ce sol carrelé d'un bleu profond, elle reconnaissait la fenêtre arquée, laissant passer quelques rayons de lumière. Les bannières dont les murs étaient tapissés lui étaient familières. Elle connaissait ce couloir...
Jaelith manqua de trébucher sur un corps sans vie qui se trouvait là et se pencha pour lui fermer les yeux. Elle ne comprenait pas... Combien de temps était-elle restée endormie, car il lui semblait qu'elle s'était endormie ? Le donjon était attaqué ? La jeune femme secoua la tête. Au loin, elle pouvait entendre des cris. Il lui semblait que quelque chose s'effondrait, et le sol, les murs, tout ce qui était autour d'elle trembla pendant quelques instants. C'était en direction de la salle du trône. Sans attendre plus longtemps, Jaelith courut vers l'endroit d'où provenait les hurlements. Elle manqua de tomber plusieurs fois, car plus elle avançait, plus le sol était jonché de corps sans vie. Et lorsqu'elle entra dans la salle, ce fut le chaos qui l'accueillit.
Un immense dragon noir tenait quelqu'un dans sa gueule et s'acharnait sur le corps désarticulé. Les paladins et les chevaliers qui se trouvaient là attaquaient la terrible créature d'ébène, en vain. Les cris de l'homme cessèrent finalement. Jaelith, tremblante, ne savait que faire. Elle ne comprenait rien de ce qui se passait ici. Elle sortit son épée de son fourreau, jaugeant la situation actuelle. L'énorme dragon noir serait un adversaire de taille, elle n'en doutait pas un seul instant. Ce dernier lança le corps sans vie sur le sol, et un adolescent s'était jeté sur lui en pleurant. Tout ce que la femme paladin entendait à cet instant, c'était des cris de rage, de peur et des pleurs. Voyant les autres paladins et guerrier attaquer le monstre, elle décida elle aussi de se jeter dans la mêlée. Le dragon les repoussa tous sans aucun mal d'un revers de patte, et la jeune femme se retrouva à terre. Lorsqu'elle se releva, elle eut la surprise de voir à ses côtés quelqu'un qu'elle connaissait depuis longtemps et qu'elle ne pensait jamais revoir.
— Tout va bien ?
Elle n'avait pas entendu la voix de sa mère depuis des années, et maintenant elle était là, face à elle, vivante. Jaelith acquiesça silencieusement, muette de surprise. Comment se pouvait-il qu'elle soit ici ? Et vivante qui plus est ? Palia l'aida à se relever rapidement, sans quitter des yeux le dragon noir qui s'approchait dangereusement du jeune garçon qui, trop préoccupé par la mort tragique de son père, n'avait pas fait remarqué le danger venir. Une voix puissante, que Jaelith reconnu entre mille, résonna dans la salle.
— Il faut l'arrêter avant qu'elle ne s'en prenne au prince !
C'était celle du seigneur Gareth, paniqué. Ce dernier tentait de se relever, et il était légèrement blessé. Jaelith fonça entre les pattes du dragon qu'elle évita habilement et se plaça en lui et le petit prince. Ce dernier, paralysé par la peur, ne bougea pas d'un pouce. Jaelith pria la lumière de l'aider, et la réponse de cette dernière ne se fit pas attendre. Le dragon cracha une gerbe de flamme qui ne l'atteignit pas, et pour cause : une orbe lumineuse entourait la jeune femme et l'adolescent. Elle commençait à comprendre en regardant brièvement le pendentif qu'elle portait briller de mille feux. La magie de l'œil de Fereyan avait fait son œuvre, sans qu'elle ne sache pourquoi.
Gareth s'était relevé, comme tous les autres combattants à cet instant, et chacun observait l'étrange scène qui se déroulait sous leurs yeux. Le dragon tentait de briser la protection magique, mais chacun des coups qu'il portait n'avait de chance de toucher Jaelith et son petit protégé. La jeune femme avait l'impression que son corps brûlait, tant la lumière qu'elle utilisait était puissante. Jamais encore auparavant il ne lui était arrivé de l'utiliser de la sorte. Elle tenta de rassurer l'adolescent qui se trouvait derrière elle.
— Tout ira bien, je ne laisserais pas ce dragon nous attaquer si facilement !
Ce dernier ne répondit pas et se contenta de hocher la tête, inquiet. Jaelith avait déjà vu ses yeux sombres quelques part, mais elle n'arrivait pas à savoir où. Face à eux, le dragon s'acharnait, vivement agacé de ne pouvoir les atteindre. La demie elfe vie alors Palia courir vers l'immense reptile, sauter et planter son épée à l'intérieur de son œil gauche. La bête hurla et se désintéressa immédiatement de ces deux proies pour tenter de punir celle qui avait eu l'outrecuidance de la blesser. Un cri inhumain s'échappa de la gueule du dragon qui secouait sa tête de droit à gauche. Palia avait du mal à maintenir sa position, et pourtant elle hurla à la jeune femme :
— Prenez le prince et fuyez ! Vite !
Jaelith lui fit un signe de la tête et cessa de maintenir le bouclier protecteur autour d'eux. Rapidement, elle prit le bras de l'adolescent et le força à se relever.
— Il ne faut pas rester ici.
— Mais mon père...
Quelques larmes roulèrent sur les joues du prince et il tremblait comme une feuille. Il venait de perdre son père, et la douleur qui l'habitait à cet instant était immense. Jaelith aurait voulu le prendre dans ses bras pour le consoler, mais le moment était mal choisit. Il fallait qu'ils partent le plus rapidement possible de cet endroit.
— Vous ne devez pas rester ici. C'est...
La jeune femme n'eut pas le temps de finir sa phrase. Un horrible cri de douleur résonnait dans la salle. Elle se tourna et secoua la tête, se disant que ce n'était pas possible. Le dragon écrasait Palia de tout son poids sous l'une de ses énormes pattes. Cette dernière hurla à nouveau. Jaelith sentit des larmes couler le long de ses joues. Elle pensait qu'en étant ici, elle aurait pu changer le déroulement des choses, mais la même tragédie s'était répétée, et elle venait de le voir sous ses yeux. La demie elfe hurla de rage et attrapa son épée. Elle ne pouvait pas laisser ce dragon tuer sa mère. Elle ne le laisserait pas faire !
Les autres paladins et guerriers qui se trouvaient dans la salle attaquaient sans relâche le terrible animal aux écailles d'ébènes. Les cris de Palia résonnaient toujours autant, et à chaque fois, sa fille avait l'impression qu'on lui enfonçait un poignard dans le cœur. Elle se tourna vers le prince et lui ordonna de reculer, ce qu'il fit devant les yeux bleu rempli de rage de la jeune femme. Cette dernière fonça tête baissée, évitant de bousculer ses alliés ainsi que les coups de son terrible adversaire. Elle se glissa sous la gorge du dragon qui lui était toute offerte et y enfonça son épée jusqu'à la garde. Le dragon hurla. Jaelith remonta non sans mal l'épée jusque sous la gueule de son ennemi, laissant là une ouverture béante et sanglante. La créature se débattit pendant plusieurs minutes, se vidant de son sang. La demie elfe retira son épée avant de reculer, car le dragon cherchait encore à tuer ses attaquants. Lorsqu'il s'affala sur le sol et cessa de bouger, alors tous surent qu'ils avaient gagné. La dragonne Lieran, qui avait mis la citée de Goldrynn à feu et sang n'était plus de ce monde. Jaelith fonça vers le corps de sa mère. Cette dernière avait les jambes ainsi qu'une partie du tronc complètement broyés. Les yeux remplis de larmes, la jeune femme supplia la lumière de lui venir en aide.
— Par la lumière, je vous en supplie...
Palia leva les yeux sur la jeune femme qui tentait de la soigner par la lumière et secoua doucement la tête.
— Ce n'est pas la peine...
Elle cracha une gerbe de sang. Jaelith ne cessa pas ses prières et une douce chaleur l'enveloppa. Alors qu'elle allait poser ses mains sur les blessures de Palia, cette dernière l'arrêta.
— Ça ne sert... Plus à rien...
Un léger sourire apparut sur le visage de la mourante. Elle passa sa main dans les cheveux fins et dorés de celle qui était penchée sur elle.
— Tu me rappelle... Quelqu'un...
Jaelith sentit que ses joues s'étaient remplies de larmes, et d'une voix remplie de sanglots, elle murmura :
— Maman, je t'en supplie, ne meurs pas...
Palia écarquilla les yeux pendant un instant, mais son sourire était inflexible. Elle ferma lentement les yeux pour ne plus les rouvrir et poussa son dernier souffle dans les bras de sa fille qui pleurait à présent toutes les larmes de son corps. Autour d'elles, tout le monde se regroupait pour sortir de la cité léchée par les flammes. Jaelith sentit une main se poser sur ses épaules et se retourna. C'était le prince. Comment n'avait-elle pas reconnut Freyki plus tôt ? Elle essuya son visage et se releva. D'une voix qui se voulut rassurante, elle lui avait dit :
— Il est temps de partir d'ici...
Elle lui avait tendu la main, et il l'avait prise. Ensemble, ils suivirent les survivants jusqu'à la sortie de la ville. Ils s'étaient tous rassemblés au bord du lac. Les blessés étaient soignés par ceux qui étaient capable d'utiliser la lumière ainsi que par les secouristes. Beaucoup pleuraient la perte de leur proche.
***
Jaelith s'était éloignée du groupe et s'était laissé tomber sur l'herbe humide, regardant le ciel rougissant, zébré d'une épaisse fumée noire provenant de la cité. A cet instant, elle se sentait inutile. Elle n'avait pas réussi. C'était un échec cuisant.
— Vous étiez ici alors ?
Elle connaissait cette voix, mais différemment. Elle se retourna et se retrouva face à face avec le jeune prince qu'elle servirait et qu'elle aimerait dans un futur proche. Les deux grands yeux d'un noir profond, remplis de tristesse, la regardait se relever et s'approcher. Une fois face à face, Jaelith baissa la tête. Ces seules paroles envers Freyki étaient des excuses.
— Je suis désolée... Je n'ai rien pu faire pour...
— Les mots ne ramèneront pas les morts vous savez...
Elle ne le savait que trop bien. Entendre ses paroles dans la bouche de cet adolescent la blessa d'avantage. Si seulement elle était plus forte... Jaelith avait l'impression qu'il allait pleurer. Tête baissée, les yeux brillants, il respirait avec force. Alors elle lui tendit simplement les bras. Sans attendre un instant de plus, il s'y jeta et pleura toutes les larmes de son corps tendit qu'elle le berçait comme un petit enfant. Il pleura pendant de longues minutes avant de se calmer enfin. Il sécha ses larmes et porta son regard dans celui de la femme paladin qui se trouvait face à lui.
— J'aimerai devenir aussi fort que vous...
Un léger sourire apparut sur le visage de la jeune femme. Elle passa sa main dans les cheveux de l'adolescent.
— Un jour, vous serez fort... Et un jour, je vous retrouverais, ici, à Goldrynn. Ce jour-là, nous verrons bien qui de nous deux sera le plus doué à l'épée...
— Vous allez partir ?
— Oui...
L'œil de Fereyan brillait de plus en plus fort. Freyki lui lança un regard suppliant.
— Non ! Je ne veux pas ! Je veux que vous restiez ici avec moi !
— C'est impossible.
Le petit prince semblait déçut. Il demanda à la jeune femme.
— Vous me promettez que vous reviendrez ?
Jaelith écarquilla les yeux de stupeur. Celle qu'il cherchait désespérément, celle qui lui avait fait la promesse de revenir... Elle venait enfin de comprendre.
— Je vous promets que je reviendrais vous voir. Je vous le promets.
Une voix interpella l'adolescent au loin, et ce fut sans plaisir qu'il alla rejoindre le général Lutz Krisang. Jaelith détourna rapidement la tête et courut se réfugier dans la forêt alentour. Plus elle courrait, et plus elle avait l'impression qu'elle n'arriverait pas à s'éloigner de cet endroit. A son cou, l'œil de Fereyan brilla intensément, et sa lumière l'entoura. Elle ferma les yeux et eut à nouveau l'impression de sombrer dans les ténèbres.
***
Freyki tournait en rond dans la salle du trône, visiblement énervé. Le dragonnet était venu le voir et lui avait raconté que Jaelith avait disparu de manière très étrange. Le père Nilsas, qui était venu, ne comprenait pas non plus ce qui avait pu se passer. Cela faisait presque une heure qu'ils attendaient dans la salle du trône. Ils attendaient un quelconque signe, mais rien ne vint. Le roi loup donna un coup de poing dans le mur de pierre, puis hurla de rage :
— Où est-elle ?
Il savait que personne ne lui répondrait, mais continuait à poser la question. Feiyl s'était installer prêt du prêtre qui observait son souverain en secouant doucement la tête.
Soudain, quelque chose brilla au milieu de la salle, aveuglant ceux qui s'y trouvaient. Freyki ferma les yeux, et lorsqu'il les rouvrit, tout était flou autour de lui. Quelques instants plus tard, il la vit enfin. Jaelith était là, debout au milieu de la salle, serrant dans sa main l'œil de Fereyan qui avait cessé de briller. Sans attendre plus longtemps, l'homme à la cicatrice se précipita pour prendre la femme qu'il aimait dans ces bras. Cette dernière, tout d'abord surprise de le trouver là, le laissa faire.
— Est-ce que tout vas bien ma dame ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où étiez-vous ?
Elle fixa les deux grands yeux sombres du roi loup et n'osa pas le regarder plus longtemps. Tête baissée, elle s'excusa.
— Je suis désolée.
Freyki ne comprenait pas. Il demanda :
— Désolée ? Mais de quoi ?
Jaelith secoua la tête.
— Je suis partie en vous disant que je reviendrais ici, à Goldrynn, et c'est seulement maintenant que je comprends enfin... Je suis vraiment désolée d'avoir mis autant de temps à revenir...
Tout se bousculait dans la tête du souverain. Des souvenirs remontaient à la surface. Il la revoyait, près du lac. La promesse qu'elle lui avait faite... La guerrière aux cheveux d'or qu'il avait aimés dès l'instant où il l'avait vue se trouvait dans ses bras. Il la serra contre lui et murmura à son oreille :
— Je te retrouve enfin...
Annotations