Chapitre 33 - Marionettes
La chaleur de cet endroit ne semblait nullement gêner le dragon noir. Il s'étira de tout son long et se releva. Sa colère s'était ravivée lorsqu'il repensa à cette maudite femme. Varen Draze grogna avant de reprendre forme humaine. Il détestait cette apparence, mais c'était beaucoup plus simple pour lui et ses frères afin de se fondre parmi ces misérables créatures. Les ruines de la cité naine étaient quasiment vides, et le dragon noir n'avait eu besoin de combattre qu'une centaine de ces petits êtres avant de prendre possession des lieux avec son clan. Varen s'installa sur un trône de pierre richement décoré, qui avait dû appartenir au chef des nains à une époque lointaine, et soupira longuement. Il voulait détruire Goldrynn mais ne ferait pas la même erreur que sa mère. Il n'irait pas seul, avec quelques un des membres du clan, non... Ils fondraient tous sur la cité et la broierait en quelques instants.
— Frère, j'ai quelques nouvelles à t'annoncer...
La voix l'interpella par télépathie. C'était l'une des choses intéressante qu'il avait découverte en s'alliant avec la sorcière de l'ombre. Il ne connaissait pas son nom, ni même son visage, mais elle s'était proposé de l'aider, lui et ses frère, lorsque Lieran avait perdu la vie. Il se doutait bien que lier ses pouvoirs aux ténèbres n'était pas ce que sa mère et le reste du clan aurait souhaité, mais la vengeance qui lui dévorait le cœur le poussa à accepter. Les ténèbres lui avaient conféré des pouvoirs dont il n'avait jamais soupçonné l'existence jusqu'ici.
— Je t'écoute frère...
— Je pense avoir la solution pour te ramener cette femme comme trophée. D'une part, tu pourras t'amuser à la torturer comme il te plaira, et d'autre part... Sa disparition affaiblira nettement notre ennemi.
— Tu en es sûr ?
— Certain, Varen. Cette femme a volé le cœur du roi. Imagine sa tête lorsque nous lui ramèneront le cadavre démembré de celle qu'il aime.
Le dragon noir poussa un rire sauvage qui résonna dans la grande salle de pierre. Après avoir repris son calme, il donna le feu vert à son frère.
— Fait comme tu veux pour la ramener. Mais je la veux vivante, est ce clair ? Me suis-je bien fais comprendre ?
— Oui, mon frère...
La conversation s'arrêta ici. Varen ne put alors se retenir plus longtemps de rire. Ils souffriraient tous, ces humains. Et celui qu'il détestait souffrirait encore plus.
***
A bout de souffle sur le rebord du lit, Jaelith venait de connaitre un réveil pour le moins violent. Le front couvert de sueur, elle tremblait. Elle venait de faire un horrible cauchemar. Ce qui c'était passé la veille, elle l'avait revécut toute la nuit. Combien de fois avait-elle vu les yeux de sa mère se refermer face à elle ? La jeune femme regarda ses mains tremblante, se demandant si un jour elles ne seraient plus tachées de sang. Son cœur avait du mal à retrouver un rythme normal.
Jaelith se força à respirer normalement. Elle était forte. Ses doigts jouèrent avec le pendentif autour de son cou. L'œil de Fereyan ne brillait plus. Son regard se posa sur l'homme qui dormait encore. Elle repensa à ce qui s'était passé la veille, à leurs retrouvailles... A peine avait-elle finit ses excuses qu'il l'avait amenée dans sa chambre pour lui faire gouter à nouveau les plaisirs d'une union. Elle espérait être forte, mais en doutait de plus en plus. Plongée dans ses pensées douloureuses, elle s'était vêtue précipitamment des mêmes habits de la veille.
— Où est ce que tu vas ?
La voix endormie du roi loup lui parvint jusqu'aux oreilles, et elle se retourna. Elle n'avait pas l'habitude d'être tutoyée par lui. Ca viendrait, au fur et à mesure, comme le reste... Jaelith eut un léger sourire qui se voulut rassurant.
— J'ai besoin de prendre l'air...
— Tu as fait un cauchemar ?
— Ce n'était pas un cauchemar.
C'était pire encore. Refermant doucement la porte, elle prit le chemin de la sortie du donjon. Un vent frais l'accueillit, et elle respira un grand coup. La jeune femme n'avait rien pu faire pour sauver sa mère. Elle s'en voulait.
— Vous semblez bien matinale dame paladin.
Jaelith se retourna et se trouva face à face avec le général Arhan Drake. Elle lui avait très rarement adressé la parole par le passé. Sa voix claire lui répondit.
— Il faut toujours être matinal si l'on veut avoir le temps de tout faire, non ?
— C'est vrai.
S'il voulait agir, il fallait qu'il le fasse maintenant. Il n'y avait personne aux alentours à cette heure matinale et sa proie se trouvait face à lui. Il pourrait se jeter sur elle et l'assommer, mais ce serait trop simple. Et elle crierait et se défendrait, de plus, il le savait, elle était un adversaire redoutable. Non, ce n'était pas le meilleur moyen de la ramener... Il ferait en sorte de l'affaiblir avant de tenter quoi que ce soit de dangereux. Et il connaissait le moyen de briser cette forte femme. D'une part, elle serait anéantie, et d'autre part, jouer à ce petit jeu l'amuserait énormément.
— Dame paladin... J'ai quelque chose d'important, à vous dire.
— Oui, je vous écoute.
Jaelith avait eu le malheur de le regarder droit dans les yeux. Deux grands yeux sombres, dont la couleur était indéfinie. A cet instant, ils étaient dorés comme ceux de n'importe quel dragon. La jeune femme s'était raidie, muette. Elle n'arrivait pas à quitter ce regard hypnotique des yeux. Hypnotique était le mot juste.
Arhan Drake aimait bien ce pouvoir. Les ténèbres l'avaient comblé, lui et ses frères. Il aimait s'en servir pour profiter de l'imbécilité de ces misérables humains. Oh, ce pouvoir aurait pu fonctionner sur n'importe qui, même sur le roi loup. Mais le dragon n'était pas un imbécile, il savait que s'il faisait cela, il y aurait de grandes chances pour qu'il soit démasqué. Et il avait compris par le passé qu'une bonne centaine d'humains bien entrainés pouvaient mettre très facilement à mort un dragon comme lui. Jaelith n'était plus qu'un pantin entre les mains de cet être abject, mais elle ne pouvait rien faire, mit à part subir... Et voir autour d'elle ce qui se passait. Elle se sentait bizarre lorsque le regard du dragon se détourna d'elle. Le général lui demanda si tout allait bien. Hésitante, elle répondit.
— Je crois que ça va... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Arhan Drake, en plus d'être un redoutable dragon manipulateur, était aussi un très bon menteur.
— Vous avez fait un léger malaise. Vous êtes sûre que tout va bien ?
Jaelith se rappelait avoir parlé avec lui quelques instants, puis le trou noir. Quelque chose n'allait pas du tout. Elle le sentait au fond d'elle-même mais n'arrivait pas à le définir.
— Oui... Je vais retourner me reposer un peu. Je me serais sans doute lever trop vite.
Elle avait pris congé brièvement avant de reprendre le chemin d'où elle venait. Arhan ne cachait pas son large sourire. Son plan marchait à merveille. Il allait briser la jeune femme, et avec elle, son amour.
***
Freyki venait de finir de s'habiller lorsque Jaelith entra à nouveau dans la chambre. Surprit par ce retour rapide, il demanda :
— Tu as déjà fini de prendre l'air ?
La jeune femme ne répondit pas, le regard vide, ailleurs. Pourtant, elle aurait voulu lui répondre, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Jaelith s'approcha du roi loup. Elle ne comprenait pas pourquoi son corps ne lui obéissait plus.
— Jaelith ?
Elle se jeta dans ses bras, un sourire mutin sur le visage. Intérieurement, la jeune femme paniquait complètement. Ses deux bras se glissèrent sous la tunique de l'homme à la cicatrice, lui caressant le torse. Son regard croisa celui de son souverain. Il n'avait pas fait attention à la lueur dorée qui brillait au fond de ses yeux bleus. Il ne voyait que la jeune femme qu'il désirait. Cette dernière leva la tête et posa ses lèvres sur les siennes, n'hésitant pas un seul instant. Freyki répondit en la poussant sur le lit défait et en s'allongeant au-dessus d'elle pour reprendre le baiser où il s'était arrêté. Jaelith voulait que tout cela cesse. Elle n'était pas elle-même, elle s'en doutait. Mais elle ne pouvait rien faire du tout. Si elle avait pu, elle aurait hurlé. Mais quelqu'un d'autre utilisait son corps et parlait à travers sa bouche. Le roi loup se releva quelques instants pour l'observer, et haletant, il demanda.
— Est-ce que tout va bien, Jaelith ?
— Oui, pourquoi ?
— Et bien... C'est la première fois que tu fais le premier pas et je trouve cela bien étrange.
— Il faut bien une première fois à tout non ?
Elle le ramena à elle avant de reprendre leur baiser. Il se laissait faire. La main de Jaelith glissa sur le côté du lit, attrapant rapidement la garde d'une épée courte qui se trouvait au sol. Freyki interrompit de nouveau leur baiser.
— Il y a quelque chose de bizarre dans ton attitude.
— Vous le pensez vraiment ?
L'homme à la cicatrice se releva, et sans attendre un instant de plus, la jeune femme saisit fermement l'épée qu'elle tenait et fendit l'air entre eux. Heureusement pour lui, Freyki avait reculé. Rapidement, il s'était saisit de son épée qu'il sortit de son fourreau. Le regard noir, il détailla rapidement l'intruse.
— Ce n'est pas le genre de Jaelith de se jeter dans mes bras et de me pousser à lui faire l'amour comme ça. Qui es-tu démon ?
Intérieurement, Jaelith se sentit soulagée. Il avait enfin comprit. La voix de la jeune femme résonna dans la chambre.
— Un démon ? Tu te trompes mon pauvre... Celle qui se tient devant toi est bien celle que tu aimes.
— Mensonges !!!
— Ce n'est pas très gentil pour elle. Même si elle n'a plus le contrôle de son corps, elle voit et entend tout. Sa conscience est parfaitement éveillée.
Freyki déglutit. Il ne savait pas vraiment quoi faire. S'il se battait avec Jaelith, elle finirait sûrement par le blesser, ou l'inverse. Il fallait qu'il gagne du temps afin de trouver une solution.
— Comment est-ce possible ?
— Comment ai-je pu prendre le contrôle de ce joli corps ? C'est très simple, mais je doute qu'un idiot d'humain comme toi n'y comprenne quelque chose.
Idiot d'humain ? L'homme à la cicatrice eut un mauvais pressentiment. Presque sans le vouloir, il murmura :
— Un dragon...
Jaelith avait applaudit doucement, un large sourire aux lèvres.
— Tu es peut-être moins idiot que je ne le pensais.
A peine avait-elle terminé sa phrase qu'elle se jeta sur le roi loup et les lames s'entrechoquèrent.
***
Le père Nilsas marchait dans les couloirs du donjon, accompagné de Feiyl. Ce dernier aimait bien la compagnie du vieux prêtre. Il n'avait pas une peur bleue de lui, comme la plupart des autres humains de la cité. Ce que Feiyl préférait le plus, c'était lorsque qu'il assistait en cachette aux chants et aux sermons à l'intérieur de la chapelle de lumière. La voix de Nilsas était vraiment apaisante, et Feiyl s'était souvent demandé si un dragon comme lui pouvait prier la lumière. Il avait enfin osé poser la question au prêtre, qui lui avait répondu avec un grand sourire :
— La lumière est au fond de tous les cœurs, même de celui qui est le plus sombre. Toi aussi tu peux prier la lumière. Elle te répondra.
Ils discutaient donc tous les deux lorsque le petit dragon s'arrêta au milieu d'un couloir.
— Je sens la présence d'un dragon ici.
Le père Nilsas paraissait très surpris de cette affirmation.
— Un dragon, tu en est sûr ?
— Certain. Aucun humain ne possède cette force-là. Il ne peut s'agir que d'un dragon.
Sans attendre plus longtemps, Feiyl voleta jusqu'à l'endroit d'où provenait cette force, suivit par le vieux prêtre. Au bout de quelques minutes, le dragonnet s'arrêta devant une porte. Se tournant vers le père Nilsas, il murmura :
— C'est ici...
Le prêtre entendait des bruits d'armes et des cris. Il savait que c'était la chambre de son souverain, mais il poussa quand même la porte.
***
Freyki parait les coups de la jeune femme qui prenait un malin plaisir à lui rappeler que si il la blessait, c'était Jaelith qui blessait. Le roi loup ne savait pas quoi faire pour l'arrêter. Il espérait un miracle.
Feiyl et le prêtre observait le spectacle étrange qui se déroulait devant eux. Si Nilsas ne comprenait pas, ce n'était pas le cas de Feiyl qui avait immédiatement réagit. Essayant de ramener le prêtre sur terre, il hurla.
— Elle est possédée par un dragon ! On ne peut pas la laisser comme ça ! Il faut faire quelque chose !
— Je ne ressens plus la lumière chez la dame paladin. Je crois que quelque chose l'a bridée.
— C'est le dragon. Il la possède en l'empêchant de faire appel à la lumière ! Prêtre, tu dois faire quelque chose !
Le père Nilsas s'était mis à réfléchir à toute vitesse. Il fallait qu'il brise l'emprise que ce dragon avait sur la lumière de Jaelith. Il pria donc la lumière, espérant qu'elle puisse atteindre le cœur de la jeune fille.
Jaelith, au fond d'elle-même, ressentait enfin la douce chaleur habituelle de la lumière. Tout d'abord très peu, puis au fur et à mesure que les secondes passaient, elle se sentie envahie par la lumière. La jeune femme hurla alors qu'elle frappa à nouveau l'épée de Freyki, puis la lueur dorée disparue. Elle se laissa tomber au sol, inconsciente. Essoufflé, le roi loup jeta son épée à terre. Il demanda au prêtre :
— Elle va mieux ? Elle est à nouveau elle-même ?
Le père Nilsas acquiesça silencieusement. L'homme à la cicatrice porta la jeune femme sur le lit, inquiet. Quelqu'un frappa à la porte avant d'entrer : c'était Arhan Drake. D'un air étonné, il demanda ce qui avait bien pu se passer. Laissant Jaelith aux bons soins du prêtre et sous la garde de son compagnon dragon, Freyki sortit de la chambre, accompagné du général.
— Voilà ce qui s'est passé. Les dragons sont véritablement de puissantes créatures...
Arhan manqua de s'étouffer de rire. Il avait pris un malin plaisir à tourmenter la jeune femme et son souverain en empruntant le corps de cette dernière. La première partie de son plan s'était déroulé à la perfection. Il fallait maintenant qu'il entame la suite... Ce qu'il fit immédiatement. D'une voix doucereuse, il demanda :
— Vous n'avez pas peur pour cette jeune femme ?
— Peur ? Pourquoi ?
— Et bien... N'avez-vous pas peur qu'elle soit blessée ou même pire par votre faute ?
— Par ma faute ?
Le général acquiesça d'un signe de tête avant de continuer.
— Ne serait-il pas plus sage de vous en éloigner le temps de terminer cette guerre contre ce dragon noir ? Car il me semble bien que ce soit lui qui ait prit possession du corps de la dame paladin. Quel autre dragon aurait pu faire ce genre de chose ?
— Jaelith est assez forte pour se défendre.
— Mais si ce qui s'est passé aujourd'hui se reproduit, auriez-vous le courage de lui donner ne serait-ce qu'un simple coup d'épée ?
Freyki serra le poing. Il ne le supportait pas, mais le général Drake avait raison. S'il gardait celle qu'il aimait auprès de lui, il y avait de grandes chances pour que le maudit dragon noir la prenne pour cible et se serve d'elle pour accomplir ces horribles desseins. Le roi loup soupira. A contre cœur, il capitula.
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