Raymond se taille une place dans la prison surpeuplée à grands coups de pied dans les abattis de ceux qu'il trouve encombrants. Pas très charitable, c'est vrai, mais il s'en tamponne gaillardement. De toute façon, la plupart des lascars présents sont à bout de force, affamés et blessés. L'antichambre de la gangrène, cette geôle...

Quand il s'est aménagé un petit coin tranquille, c'est-à-dire après une courte chasse aux rats qui pullulent, il se pose le popotin sur la terre battue et cogite. A voix haute, pour que vous puissiez en profiter, bien sûr.

• V'là t'y pas qu'on aurait embarqué pour un épisode de la Bible ! Allez, mon petit Raymond, fais un effort et souviens-toi de tes cours de caté, merde ! Y'se passait quoi, à c'moment là, hein ? Mais si, rappelle-toi ! Le César qu'avait envoyé un de ses fidèles pour que ces éternels turbulents de Jérusalem se calment un peu... Tibère, qu'il a dit, l'autre ? Tibère... C'était le César numéro combien, c'ui-là ? Troisième, quatrième ? A la limite, on s'en fout un peu, mon Raymond ! L'essentiel c'est pas ça. Non, l'important c'est plutôt de se situer dans le temps, parce que c'est de plus en plus évident : on vient de se taper un sacré retour vers le passé !
• Qu'est-ce tu bougonnes dans ton coin ? fait René qui se sent un peu seul, entouré d'une bande de malfrats qui sentent bon la fin proche.
• Rien, mon gars ! Je me repose.
• Taratata ! J'te connais, mon drôle. Si tu t'es mis seulâbre dans ta nouvelle suite présidentielle, c'est because que tu penses des trucs et des bidules !
• Mais non, qu'est-ce que tu vas t'imaginer?
• Allez, raconte-moi. A deux, on y arrivera, tu sais bien.

Raymond hésite quelques secondes. Les pensées qui lui retournent la tête sont tellement folles qu'il commence à douter de sa raison. Mais, comme René insiste, il se résoud à lui concéder une petite place à côté de lui.

• Bon, tu perds pas ton temps à hurler de surprise, ok ? Ce que je vais te dire risque de te surprendre un chouïa...
• Bof ! Attends d'entendre ma théorie personnelle, et on comparera... fait René, un peu fataliste.
• D'accord. Mais c'est moi qui commence.
• Go ! opine René.
• Voilà : Conardus, fou de rage nous a envoyés dans le passé, peut-être un peu au hasard, et on se retrouve en plein Empire Romain, proches de l'An 0. On est pas loin de Jérusalem, dans un campement romain.
• Ouais, jusque là, rien de nouveau, hein ?
• C'est vrai... Mais j'ai rien d'autre pour le moment !
• Alors, à moi de te chanter mon cauchemar ! Je répète tout ce que tu viens de dire, ok ? J'ajoute, toutefois, que je pense que ce fumier d'alien de mes fesses n'a pas apprécié qu'on vide les boutanches sous son nez, surtout la petite dernière. DONC...
• Parce qu'il y a toujours un "donc", je sais...
• On n'est pas en l'An 0, mon gars ! Je dirais plutôt dans les années 30, et celles-là, c'étaient pas les années folles de notre jeunesse ! Plutôt des années barbares, en ce moment !
• Heureux de voir que tu me donnes raison, coupe Raymond.
• Laisse-moi finir : non seulement, on n'est pas en 0, plutôt en 30, mais on est à une époque où l'avenir du monde se joue pour les deux mille ans qui viennent, peut-être plus, mais pour savoir, faudrait que Conardus nous envoie dans le futur.
• Alors, contentons-nous de ce que nous avons sous le nez, en ce moment !
• On risque de croiser du beau linge, mon pote ! Genre ceux qui ont laissé leurs traces un peu partour dans l'Histoire !
• Le mec de Nazareth ?
• Exact ! Tu te rends compte ? On croise dans les parages du mec qui se fera crucifier un de ces quatre matins !
• Je crois plutôt qu'on risque de manquer de temps pour ça... fait Rayond, d'un ton sombre.
• Et pourquoi ça ?
• Si l'autre ahuri, le Glaglatus, a raison, on va à la ville, demain. Et pour ce que je me souviens des moeurs des sauvages de ces temps-là, on n'amenait les prisonniers dans ces endroits que pour leur faire des misères...
• Possib'... fait René, maintenant tout songeur.

Ils se taisent, soudain inquiets d'un avenir qui, pour s'inscrire dans un improbable passé, risque de ne pas dépasser de beaucoup le présent qu'ils traversent. Debors, la vie du camp semble s'animer : des cavaliers arrivent au galop dans l'allée principale du campement, et un grand homme saute de son canasson pour courir vers la tente des généraux.

A suivre...