4.11
Rapidement, c'est la cohue dans le camp fortifié. Des officiers cavalent vers leurs cohortes et balancent des ordres à tout va. Les légionnaires s'activent dans la poussière. Mais, surtout, dans un ordre qui laisse les vieux sans voix. En moins de quelques minutes, les portes du camp s'ouvrent en grand et tout le monde sort dans l'ordre.
- Qu'est-ce qui se passe ? demande Glaglatus à un soldat qui passe à proximité de leurs barreaux.
- Rien qui te concerne, traître ! grince l'interpelé.
- Fais pas le chien galeux, raconte ! insiste l'autre.
- On vient de signaler une forte concentration de dissidents vers le Nord. Pilate a donné ses ordres, si tu veux savoir...
- Et ça raconte quoi ?
- Pas de quartiers pour tes potes... fait le soldat en souriant de toutes les deux dents qui lui reste. Dommage pour tes copains, hein...?
- La Foi les protègera ! crie Glaglatus à l'attention de celui qui est déjà loin.
Le prisonnier s'acharne comme un diable sur les grilles de la prison mais l'armée passe sous son nez, indifférente. René lui rape sur l'épaule pour le calmer un peu.
- T'en fais pas, mon gars. Je crois pouvoir te dire que les romains finiront par l'avoir dans le prosibus.
Rayond entend ça, et ça lui fait comme un coup de foudre !
- René ! Je crois que tu esun génie ! s'écrie-t-il, tout joyeux.
- Ben, t'as l'air de le découvrir, répond l'autre, amusé.
- Tu connais Madame Irma ?
- De réputation, oui, mais pourquoi ?
- Ben,je me présente : Monsieur Irma !
- Pov' M'dame Irma, glousse René.
- Pov' pomme, toi même ! Tu comprends pas où je veux en venir ? On a deux mille ans d'avance sur tous ces péquenots !
- Et alors ?
- On va pouvoir leur prédire l'avenir et leur trouer le cul à chaque prédiction réalisée !
René ouvregrand la bouche, stupéfait.
- Putain d'Adèle, mais t'as raison ! On va se faire payer nos séances en dollars massifs !
- Ici, on se contentera de sesterces, si je me souviens bien. En attendant, viens au fond de la taule : on va se taper une rafraîchissement de nos connaissances...
Les deux vieux tout voûtés s'organisent un brain-storming vite fait, pendant que les autres prisonniers continuent de pourrir sur place et que Glaglatus, qui n'a rien manqué de leur conversation, s'approche discrètement pour laisser traîner une oreille attentive. Les deux ne le voient pas, trop occupés à réunir leurs maigres connaissances historiques.
Mais ils n'ont pas le droit d'échouer, faute de quoi, ils pourraient le payer le prix fort.Au moins, c'est ce qu'ils se disent, les vieux tromblons. Le tout, pour le moment, serait quand même de savoir exactement la date, pensent-ils. Comme ça, ils pourront jouer les Nostradamus avec un peu plus d'efficacité. Alors, quand Raymond aperçoit Glaglatus qui, l'air très innocent, fait mine de resencer le nombre de mouches au mètre-cube, une nouvelle idée lui vient.
- Dis-donc, Détritus, viens un peu nous voir, là...
- Glaglatus ! Mon nom, c'est Glaglatus !
- Ouais, c'est pareil. Dans mon pays, ça veut dire la même chose.
- Ah bon ? Et c'est quoi, ton pays ?
- Celui du claquos et du pinard, mon gars !
- Pas possible ! Lutèce ?
- Nan. Paris !
- Ah ? Connais pas.
- Pas grave. Et toi, tu viens d'où, déjà ?
- Thrace.
- Désolé... fait René en souriant.
- Pourquoi ?
- La Thrace...un peu comme la Grèce, quoi ? Le pays de rois de la jaquette, hein ?
L'autre se rembrunit un peu. Faut dire que ça fait des années qu'on lui sort, celle-là.
- Bon, en attendant, on a d'autres pistes à suivre, fait Raymond qui s'impatiente un peu de leur conversation à la con.
Les trois rigolos se réunissent : l'oignon fait la forge, pardon, l'oignon fait la force, non ! L'union ! c'est ça ! L'unionfait la force !
Plus tard, c'est-à-dire au moins après deux bonnes heures de cogitations, Raymond et René sont satisfaits : ils en savent assez pour clouer le bec à tous les devins de l'Empire.
Auront-ils le temps de le faire savoir ? Pas sûr : alors que le camp ne compte plus que les vieux soldats, trop âgés pour retourner en première ligne, un grondement monte soudain des portes à peine refermées.
A suivre...
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