4.13
Et les chefs, trois locdus frippés à la va comme j'te pousse, arrivent. Ils ont l'air contents d'eux-mêmes, comme tous ceux qui s'estiment supérieurs à la moyenne. Bedonnants et faussement débonnaires, ils dégustent chacun de leurs pas entre les flaques de sang et les restes humains éparpillés un peu partout. Ceux-là, ils sont trois, doivent être riches, au moins par comparaison avec les clodos armés qui cherchent maintenant les réserves de vin. Riches, parce qu'ils ont des chaussures. Ce ne sont pas des godasses de luxe, mais ils peuvent piétiner les bras coupés, les roubignolles maintenant vraiment orphelines sans se salir les orteils, ce qui semblent les combler d'aise.
Ils parlent entre eux à voix basse, dans leur barbe. Ce ne sont pas à proprement parler des singes, pourtant ils pourraient facilement se planquer derrière la forêt velue qui leur mange le visage. Ce qui n'est pas un mal, puisqu'ils ont véritablement des gueules à flanquer des cauchemars aux plus sensibles, des diarrhées aux délicats du transit intestinal et des peurs bleues aux autres. Sourcils noirs, tignasses coincées dans des turbans qui ont du vidanger tous les chiottes de la région, joues creuses et nez busqués, ils ont des airs à faire trembler leur ombre. Alertés par le type qui reste planté devant la prison, ils ont le regard qui brille étrangement, ce qui n'échappe pas à Raymond.
- Dis-donc, on serait pas en plein réglement de compte ? fait-il d'un air curieux.
- Perso, je dirais plutôt que ces mecs ressemblent à des mercenaires, ou un truc de ce genre, répond René après quelques secondes deréflexion.
- Des chercheurs d'esclaves ?
- Ou des recrues pour alimenter les lions dans une arène !
Les deux vieux font la moue, puis décident que le Destin va, de toute façon, se préciser assez vite.
Et, en effet, le sort est vite jeté. Par la fenêtre ou avec l'eau du bain, peu importe, mais voilà que les trois lascars se placent devant la porte de la prison. Ils écoutent le premier mec qui leur fait un rapide compte-rendu de ses découvertes, pointant ses doigts noirs de crasse en direction des deux vieillards. Les chefs froncent les yeux pour percer l'obscurité de la geôle puis, apercevant Raymond et René, ils discutent quelques instants entre eux. Quand l'un fait ce qui ressemble à une proposition, les deux autres font la grimace, dénèguent du menton ou approuvent, c'est selon.
Finalement, celui qui paraît avoir le plus d'importance, s'agite une seconde puis décrète qu'il est temps d'ouvrir le dialogue.
- Bîjor, mis amis, commence-t-il avec un accentun peu marqué (comme vous pouvez le remarquer) Alôrs, lis romains lis vous ont fî dis misères, pas vrai ?
Raymond ouvre des gobilles rondes comme des boules de pétanque et tarde à répondre, ce qui n'est pas du goût des mecs de l'autre côté de la porte.
- Alôrs quoâ ? Vôs vôlez pas mi ripondre ? Vôs avi li langue qui la iti coupie, ma parôle ?
René regarde son pote de toujours avec insistance. Il finit par capter son attention, puis déclare d'un ton neutre :
- Alors, celle-la, on me l'avait pas faite depuis des lustres !
A suivre...
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