Chapitre 5 : Cathy
10h7.
141 avenue de Clichy.
- J’avais raison, c’était bien avenue de Clichy! s’exclame-t-il, soulagé en montrant à Mona, l’enseigne de l’école Vatel, enserrée entre les drapeaux français et européen dans sa vitrine.
On aurait été à l’heure si l’autre connard de Petit Rôti m’avait écouté. A peine a-t-il prononcé à voix haute ces mots de « Petit Rôti » et de « connard » qu’il les regrette. Face aux jeunes du centre, lui, comme membre de l’équipe doit se montrer solidaire des décisions du directeur et aussi aberrantes soient-elles.
Une fois la double porte vitrée franchie, il se présente à l’accueil suivi de Mona. A sa grande surprise, l’hôtesse d’accueil n’est autre que Cathy, l’ancienne gardienne de son immeuble. Il a hésité avant de la reconnaître tant elle est méconnaissable avec sa coupe de cheveux au carré, son maquillage appuyé et son tailleur vert pomme. Il se souvent qu’été comme hiver, elle ne quittait jamais ses tongues brésiliennes et affichait ses formes opulentes dans d’éternels caleçons aux couleurs baroques et de larges tee-shirts noirs à paillettes dorés.
- Hello Cathy! Ça fait un sacré bout de temps… se présente-t-il d’un ton familier, tout heureux de reconnaître ce visage familier. Il aimait la gouaille, la franchise et le caractère affirmé et de l’ancienne gardienne.
- Bonjour. Vous venez pourquoi? répond froidement l’ancienne gardienne.
Il est surpris mais se dit que cette réserve tient au fait qu’elle doit être encore en période d’essai dans son nouvel emploi.
- Vous me reconnaissez?
- Oui, l’ancien locataire répond-elle avec un fort accent parisien qui cogne sur le CA, et rebondit sur le TAIRE.
- Vous avez quitté l’immeuble?
- Je travaille ici depuis trois mois. Qui venez-vous voir?
- Nous avons rendez-vous avec M.Durban pour inscrire Mona à une formation de pâtisserie.
- Comment dites-vous?
- Mona, du centre psycho de la rue de Bucarest
- Installez vous là-bas, je préviens Monsieur Durban de votre arrivée.
Henri et Mona s’assied sur un canapé vert miteux.Sans leur prêter la moindre attention, Cathy s’affaire avec une concentration appuyée, dans le classement de formulaires administratifs. Pendant près de dix ans, presque chaque matin, il venait bavasser dans sa loge. Un rituel cent fois répété, où ils se plaignaient, elle, de la météo du jour, toujours détestable, lui, de l’incompétence avérée du patronat français et tous les deux de la pusillanimité récurrente des présidents de la République.
Cinq minutes s’écoulent sans le moindre signe annonciateur de l’arrivée du directeur. Sa tâche accomplie, Cathy demeure les yeux fixés sur le spectacle de l’avenue que l’on devine derrière la porte vitrée. Il se lève et se dirige vers elle.
- Cathy… euh, et Mirko que devient-il…
- Il bosse toujours là-bas.
- Ah vous avez pu garder votre appartement alors…
- M. Durban est prévenu de votre arrivée. Il est en ligne répond l’ancienne gardienne les yeux de nouveau fixés sur la porte d’entrée.
- Moi, j’ai complètement changé de boulot et de vie. Il n’y a que ma femme et mes enfants que je n’ai pas quitté avance-t-il dans l’espoir d’engager un échange.
Cathy baisse les yeux pour consulter l’écran de son standard téléphonique.
- Monsieur Durban ne devrait plus en avoir pour longtemps.
- Ah c’est bien. Je peux vous poser une question?
Elle le regarde sans rien dire ce qu’il prend pour une approbation.
- On m’a dit que le directeur n’était pas quelqu’un de facile. Est-ce que le châle que Mona…
- Le quoi?
- Le châle sur les cheveux…de Mona… la gosse qui est avec moi… vous pensez qu’il l’acceptera, que ce n’est pas contraire au règlement… Ce n’est pas du tout un signe religieux, du tout…
- Je ne comprends pas
- La jeune fille avec son châle, je me demande si cela va poser problème avec le directeur? Si c’est le cas, je lui demanderai de l’enlever. Répondez-moi franchement…
Cathy se lève à moitié, regarde Mona et se rassoit.
- Je ne comprends rien à ce que vous me dites.
Le directeur apparait. C’est un homme chauve, dont le ventre proéminent, le pantalon trop large et les sneakers vertes attestent d’une soixantaine vécue dans l’allégresse.
- Bonjour Mona dit-il ignorant Henri ostensiblement
- Je suis désolé pour ce retard. Il y a eu une erreur du centre se justifie Henri
- Adrien m’a prévenu. Tu viens Mona?
Les portes de l’ascenseur se referment dans un claquement sec sur Mona et le directeur. Ce dernier ne s’est pas plus étonné de l’absence de réponse de la gosse, que du châle qu’elle conserve sur ses cheveux. Dans leur sillage, Cathy se lève de son siège et disparait dans une pièce au fond du hall, refermant la porte derrière elle. Il se retrouve planté là, seul devant le comptoir.
Elle l’évite. Il en est maintenant certain.
Il repense à son départ précipité de l’appartement trois ans plus tôt. Elle doit lui en vouloir de n’avoir, depuis, jamais donné ni explication, ni nouvelles. Elle se confiait si librement à lui qu’il avait finit par voir en elle, une complice, sinon une amie. Devant lui, elle ne cessait de se plaindre des abus et autres incivilités de « ses locataires », multipliant à leur égard les mises en garde et réprimandes sous forme d’affichettes, de nouveaux codes, de verrous et de chaines. Son idéal répétait-elle aurait été d’être la gardienne d’un immeuble sans « locataires ». En fait nous, l’aimions, et elle ne nous m’aimait pas moi pas plus que les autres se dit-il en se souvenant combien ses voisins vantaient la jovialité et les sourires de l’ancienne gardienne.
Pourquoi? Que lui avions nous fait? Que lui ai-je fait?
Le jour de son départ, après avoir vécu dix ans dans ce petit immeuble blanc que les années avaient rendu gris, la porte de la loge était demeurée fermée toute la journée. Cathy n’était pas venue lui dire au revoir, pas plus que ses voisins avec lesquels il prenait l’apéritif.
Il sort de chez Vatel sans attendre son retour. A quoi bon?
Devant l’entrée de l’école, sur l’avenue, il se retrouve face à l’imposant collecteur de déchets. Il a une pensée pour le SDF, qu’il vu dix années durant vivre, dormir et manger au pied du dépôt d’ordures. Gueulant pour un oui pour un non, menaçant physiquement ceux qui lui refusaient l’aumône, il avait été embarqué à de multiples reprises par la police vers une destination inconnue. Tout le quartier espérait que sa disparition serait définitive. Quelques jours plus tard, il était immuablement de retour, criant à qui voulait l’entendre que personne ne le chasserait du quartier, qu’il était ici chez lui et qu’il ne partirait jamais. Henri ne lui avait jamais donné un centime, l’ignorait ou faisait un détour pour l’éviter tant sa présence lui répugnait.
Pourtant, le soir de son départ, alors qu’il était en train de fourrer ses vieux cartons dans une benne, il n’y avait que le désespéré qui était venu lui serrer la main pour lui dire au revoir. Henri se sentait si seul, si malheureux ce soir-là, qu’il avait été tout proche de se jeter dans les bras de l’homme, encore jeune, hirsute, malodorant, mal lavé, mal habillé qu’il haïssait depuis si longtemps et qu’il voyait pour la première fois comme un frère de destin.
Ce matin, il n’y avait plus aucune trace de la présence du SDF : ni matelas usagés, ni sacs de plastiques crevés, ni restes de nourriture avariés, ni coulées d’urine mal séchées. L’entrée du bureau de Poste, dont le SDF avait fait sa chambre à coucher, avaient été en partie murée et rétrécie à tel point que les clients avent du mal à entrer dans le bureau et formait une longue file d’attente sur le trottoir.
Je vais prendre le métro à la station de métro Brochant pour regagner le Centre se dit-il tant il a hâte de quitter ce quartier, de chasser les mots, les images et les voix qui remontent à sa conscience comme des bulles de gaz nauséabond.
Trois années plus tard, tout est plié. Il n’y a plus rien à regretter.
C’est en repassant devant l’école Vatel qu’il aperçoit derrière la porte vitrée, Cathy debout qui le suit du regard. Tout d’un coup, il en est certain. Elle n’a cessé de l’observer depuis son départ. Il s’approche de la porte. Elle lui tourne le dos et disparait dans le hall.
C’est à ce moment qu’une évidence vient lui vriller l’esprit. Elle a su. Tous les voisins ont su. Le SDF a su. Ils ont tous su.
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