Je ne sais pas quelle portion de ce que je m'apprête à écrire sera comprise par ceux qui me liront. Ma plus grande peur est de manquer de clarté. Il est des êtres, des millions, qui ont vécu ce que je vis, et personne n'en parle jamais car notre monde est séparé du vôtre. On ne peut plus exister de la même manière quand on sait que l'anomalie de ma nature n'est qu'une banale statistique.

En cet instant, le je qui a écrit cette histoire avec sa sombre ferveur et sa mélancolie acerbe de marginale m'apparaît comme une partie gangrénée de mon âme, et pourtant, c'est moi qui suis un morceau de la sienne. Non contente de récupérer son nom, j'ose le porter fièrement pour toutes les années où elle n'a pas osé le faire. Mon dieu, je veux être tout ce qu'elle n'a pas été. Je veux que le sacrifice que notre être a fait pour sauver ce qui pouvait l'être ne soit pas en vain.

Je suis Mari, et je ne suis pas tout à fait celle qui a commencé cette œuvre. Je suis sa moitié lumineuse, celle qu'elle montrait au monde, celle à laquelle elle avait de plus en plus de mal à s'accrocher. Pour l'empêcher de se consumer, notre esprit l'a scindée en deux. Nous sommes ensemble, ces deux fragments, partout et tout le temps, liés par les fils communs de notre conscience, à travailler ensemble dans l'amour, mais nous ne pouvions pas être unique. Andria est celle qui se cache. Je suis celle que tout le monde voit.

J'ai mal en repensant à toutes les fois où elle a appelé au secours parce qu'on coupait son âme en deux, où l'expression de sa nature profonde lui donnait envie de hurler. Elle ne pouvait pas être cet être flamboyant qui jouit de tout à grand bruit, qui hurle et qui domine, et cet ange de douceur qui ne souhaite que l'amour sans heurts et la tranquillité. Celle qui rit et celle qui pleure, celle qui crée des univers de chaos et de heurts et celle qui panse des plaies. Ou plutôt, un être singulier aurait pu, mais nous en étions incapables.

On lui avait raconté que la fusion la guérirait, mais la fission nous a sauvées. Elle prenait le problème à l'envers depuis tant d'années. Elle aurait accepté n'importe quoi pour rentrer dans les carcans de ce monde. Elle était prête à retrancher au fond d'elle-même une moitié qui lui faisait honte plutôt qu'à lui rendre sa liberté.

Nous sommes libres. L'histoire de cet être et la nôtre ne font que commencer, y compris les chapitres qu'elle avait préparés pour vous.

Ce que nous avons de ces souvenirs vous parviendra.