Lieu commun n°1 : Fume avant que la vie te fume.
Je l'avais cherché, je veux bien l'admettre. Défoncé comme rarement, plus déchiré qu'un sous-vêtement de danseuse exotique après une orgie de gingembre et de bois bandé, plus fracassé qu'un live des Pistols enregistré sur un magnétophone de pigiste, plus stoned qu'un chanteur mort, lapidé comme à Kaboul, assommé par les joints, les bangs, les pipes à eau, écervelé pour plusieurs siècles parce que c'est le but recherché. Le reste, on s'en fout. Le reste, c'est du papier peint sur les murs de ta vie, ta geôle, dernier boudoir avant le couperet, l'ultime décharge et l'asticot.
C'est là qu'il s'est pointé, le vieux copain – c'est toujours un vieux copain qui s'autorise, t'as dû t'en apercevoir. Il ramène sa fraise encore vive, son regard allumé, me cueille au milieu d'une toux de tubard et me lâche sa petite phrase de sa voix de singe hilare :
« Fume, fume, avant que la vie te fume. »
J’avais beau avoir entendu ça plus de quatre cents fois auparavant, j’ai senti mes pupilles brûler d’un feu incandescent. Mes poils se sont hérissés sur ma nuque, puis tout le long de ma moelle épinière, et j’ai tiré sur le pét’ comme si la vie de mon gosse en dépendait.
C’est qu’il avait la manière, le Bob. Voix grave, intonations de circonstance, une certaine légèreté dans l’expression. Tout en lui contribuait à me convaincre qu’il n’existait en ce monde rien d’aussi important que ce foutu joint roulé à l’arrache sur un trottoir mal éclairé. On nous rebat les oreilles sur le fond qu’il faut chercher par delà la forme, le sens profond des choses qui éclaire les ténèbres, démolit les frontières, brouille les repères et nous met dedans, mais prenez n’importe quel lieu commun et revisitez-le avec talent : vous collectionnerez les adeptes. D’aucuns appellent ça le style – prononcé « staïle », c'est encore mieux – l’attitude, la touche personnelle, « mon truc à moi ». En fin de compte, il ne s’agit que d’esthétique.
N’empêche. Le joint, je l’ai fumé jusqu’à la lie, à en consumer le carton. Aujourd’hui encore, j’en recrache les cendres.
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