Lieu commun n°9 : Il n'y a pas de noir et blanc, juste des nuances de gris.
Il était une fois un monde parfait.
Je t'assure. Un idéal de monde.
Mort depuis, maintes fois révolu, archi-refoulé jusqu'au tréfonds des vieilles chaussettes puantes d'un clodo qui passait par là, parce que, vois-tu, le nom de ce monde, c'était Avant.
Parce que c'était mieux avant.
Lieu commun sur lequel je n'insisterai pas davantage, de peur d'accoucher de son confortable contraire – « il n'y a jamais eu d'âge d'or » – aussi complaisant, convenu et de courte visée que le premier.
Cependant, cet Avant-là, je ne connais personne qui ne le regrette, par habitude, par conviction, par faiblesse, pour la simple et bonne raison que le bien se distinguait du mal, les méchants des gentils, les bons Français des Juifs, les Noirs des Blancs, les torchons des serviettes et les cumulonimbus des abribus, cunnilingus et autres prépuces, anus, rictus, tout ce que tu veux pourvu que ça suce.
Manichéisme rassurant, désinvolte, rayonnant de clarté, paradigme de la Raison, de la Science, et de la parole de Dieu ! Qu'avons-nous fait, pauvres pécheurs, égarés dans ce scepticisme irrationnel et friable, père de toutes les infortunes et déviances de l'un des siècles les plus sombres de notre histoire ?
Nous vivons une époque terrible, à la fois trouble et opaque, dont les tenants et aboutissants demeurent l'apanage des relativistes : au noir et blanc d'antan, peu soucieux de la référence obligée au yin et au yang de nos voisins débridés, l'on nous oppose des couches et des couches d'une grisaille ambiante, morose, sans plus de nuances que la fameuse dichotomie qu'ils entendent remplacer. Le monde d'aujourd'hui est monochrome, illustré et colorié par une sombre assemblée de daltoniens aux idées délavées, à jamais encrassées de cette poussière cendrée qu'ils confondent avec la gouache.
J'emmerde Avant mais le gris, clair ou foncé, sable ou bistré, jaunâtre, à tendance beige ou brune, le gris m'affadit les sens et me ternit l'esprit. Le monde est de couleurs, de lumières et d'ombres. Il change à chaque instant et, pour qui sait regarder, renvoie mille palettes différentes selon la prise de vue, le champ de vision, le climat, la température, l'état de ton âme, la sueur de ton cerveau.
Ouvre les yeux.
Je t'en prie, ouvre les yeux.
Ta vie est un arc-en-ciel et tu chausses des lunettes noires.
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