Lieu commun n°19 : La vie est un jeu.

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Pour sûr qu'ils s'amusent, les porteurs de breloques, de bronzage, de paillettes. Pas étonnant qu'ils se la fendent, la poire, qu'ils projettent leur sourire tout en dents blanches à la face du petit peuple. On a tatoué leurs fringues de sigles et d'icônes, donné des noms d'oiseaux à de sobres étiquettes dont ils s'affublent, cérémonieux, soucieux d'exhiber au monde leurs extensions de nombril.


On leur a dit : mangez ! C'est bon, c'est gras, ça suinte la praline, le sucre, la menthe et la grenade. C'est à vous, mangez, ne laissez rien, gavez-vous jusqu'au trognon. S'il en reste, enterrez-le, filmez-le, montrez-le aux autres, à la masse, à la piétaille. Donnez-leur faim, donnez-leur envie, et appelez ça du rêve.


On leur a dit : buvez ! Du champagne, de la bière et du chocolat. Du rhum, du sky et du jet 27. Du jus de groseille, du sirop d'ange, de la cyprine. Buvez, enivrez-vous, à petites gorgées, à grandes lampées, puis laissez-vous aller, vivez l'instant, cueillez la rose, rejouez la scène une avant-dernière fois, mendiez du texte à réciter pour avoir l'air moins con, travaillez votre gestuelle, redorez votre coiffure, planquez les ridules et les plis de graisse, les sourires fourbes, les cernes et les traces de vomi – n'oubliez pas qu'on vous regarde, attentif au moindre geste, à l'attitude et au charme.


Leur verbe inspire et leur beauté flagelle. Ils s'autorisent et se permettent, s'affranchissent et s'exemptent, s'émancipent, s'excusent et s'amnistient. Parce qu'ils le peuvent et qu'ils le veulent, et que nous autres, spectateurs sous hypnose, nous laissons faire, inconscients et fascinés. Puis ils se vautrent, se frottent, se touchent et se contorsionnent, encourent mille malédictions et rompent autant de serments, s'affrontent sans gloire et sans discrétion, s'assassinent les uns les autres dans une avalanche de boue dont nous commentons les titres, les buzz et les off. Ils sont l'écume qui brille au soleil et que porte la vague avant de se dissoudre sur le sable trop mou.


Et ça pétille dans la soie, dans les brocarts d'argent, dans la laine fraîchement filée et les colliers de métal noble. Et ça danse la danse du vent, de la girouette et du bon mot. Et ça te rit dans la figure sans une once de compassion, parce que distance nécessaire, parce que grande fosse et barbelés, parce que mirador et fiche de paye, parce qu'ils nous marchent sur la tête et les épaules, et nous ne sentons plus rien.


La vie est un jeu, alors.


Pour eux, sans doute, elle l'est. Frénésie de la perte de soi, la pensée qui meurt et le corps qui jouit, et l'autre que l'on soumet, l'autre que l'on souille, que l'on vend, que l'on jette. Et le décompte ultime qui plaît tant aux bravaches – lesquels s'effondreront, comme chacun, comme tout autre, à l'heure du dernier mot ; et les erreurs passées annonçant celles à venir, que l'on décide de taire et de réduire en poudre d'escampette, parce que le jeu en vaudrait la chandelle que ça n'étonnerait personne.


La vie est un jeu ? C'est faux. Rien de plus sérieux qu'un jeu. Le jeu donne un sens à l'absurde. Le jeu impose ses règles – les mêmes dont ils se harnachent en crânant pour mieux nous passer les chaînes.


La vie n'est pas un jeu. Ici, on ne relance pas les dés et la pioche se fout du hasard. Rien de plus vain et d'insensé, de plus stupide, inepte et aberrant, rien de plus incroyablement loufoque et irrationnel que cette portion d'existence à laquelle, pour une raison qui n'en est pas une, chacun de nous peut prétendre.


Un jeu, c'est rien. Petit et mesquin. Un amusement, un extrait de légèreté arraché au temps qui ronge, pour une courte parenthèse chargée de cases et de diagrammes. Parce qu'il faut bien souffler un peu et s'imaginer comprendre, accepter et fléchir. Parce qu'il fait bon l'embrasser, une fois de temps à autre, ce foutu mode d'emploi.


La vie n'est pas un jeu. Je ne vois pas pourquoi il faudrait te rassurer sur ce point.

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