Lieu commun n°21 : Trop la louze, mec.
Celui qui méprise l'échec se soucie peu de la victoire. Celui qui vomit le succès ne connaît pas l'échec.
Depuis bambin, depuis minot, tu quêtes la récompense, la cajolerie, le bon point, la note suprême, la poignée de main au sourire lumineux. Tu convoites la médaille, n'importe laquelle fera l'affaire, mais tu la préfères moulée dans l'or, un pauvre trophée de plus pour signifier le piédestal, le podium, le promontoire sur lequel tu te tiens pour exister en ce monde. Tu veux la coupe, le premier prix, le billet gagnant, la palme d'or, la statuette, avec la courbette du juge, la bise de la starlette en bikini, les félicitations du jury et le chèque-voyage en prime pour atteindre la stratosphère.
Ils t'avaient prévenu, tes parents, tes instits et tes profs, tes camarades de classe, tous tes rivaux, compétiteurs et autres coqs de basse-cour. Ils t'avaient prévenu, et plutôt deux fois qu'une, explications et preuves à l'appui : attention, ça glisse. La pente est raide et le sol douloureux. Gare aux marches savonneuses, aux quasi précipices, aux branches mortes, aux cordes raides. Méfie-toi de l'ordre et de la structure, le chaos scrute et attend son heure. Accroche-toi à la rambarde, prends appui sur le voisin, pèse de tout ton poids, ça le ralentira. S'il se laisse faire, c'est son problème, son fardeau, sa propre boule au ventre. Toi, tu avances, tu grimpes, tu cavales. Tu as chaussé des échasses montées sur ressorts, greffé des ailes à tes chevilles à coup de fric ou de piston, ou en trimant comme un âne avant de le hurler aux quatre-vents. Regardez-moi, je travaille, je souffre, je suis la sueur en apnée et l'abnégation qui roule.
Alors savoure ton ascension. Sois mésange, sois cigogne, Boeing, ou Ariane. Sois le vent sans les feuilles qui bruissent, sois le vent sans les hululements, sois le vent sans les rafales. Et ne te retourne pas, pas une seule fois, jamais. Ne regarde pas en arrière, tu y découvrirais peut-être, si tes yeux fonctionnent encore, le reflet distordu de tes vaillants succès.
Les malchanceux, les moins que rien, les pieds-bots et les dos cassés, les mange-néant et les pousse-caillasses, les oubliés, les ringards, les mous du genou et les vieux cancres, les mal sapés, les retapés, les têtes vides, les lamentables et plaintifs, les triturés, les malmenés, les pas comme toi, les écorchés, les bipolaires et les schizo, les chantres de la paresse et les rois miséreux, les Icare aux ailes de boue, les Minotaure décapités, les bobines voilées et soumises à la censure, ceux que la houle a recrachés, éreintés, gaspillés, essorés, ceux que la route épuise, sans remord ni compassion, ceux que tu contribues à moudre dans la grande broyeuse avant de les jeter nulle part sans même savoir leur nom.
Parce que leur identité, au fond, tu la connais. Une vaste étiquette sur laquelle tu rédiges, en lettres ternes et néanmoins bruyantes : perdant, minable, louzeur, fumiste et va-nu-pied. Crocheteur, assisté, mollasse et parasite, pique-assiette, ramasseur et cloche. Ils sont de la race des rats et des lombrics, et leur présence suffit à t'arracher ce rire terrible où la terreur affleure. La peur de perdre à ton tour – parce que dans ton système de pensée, ton tour viendra un jour, au fond de toi, tu sais – la peur de rejoindre la masse, de dégringoler enfin dans la fosse commune des tout derniers partis qui n'arriveront jamais.
L'échec n'est pas la chute. La chute n'est pas la fin. La fin n'est que le début. Le début n'implique rien. Rien est un tout qui se cache. La cachette, tu l'as revendue et je ne pouvais pas me la payer.
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