Lieu commun n°30 : Et pourquoi pas ? 

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Je confesse, une fois n'est pas coutume, une attirance déraisonnable pour ce qui, de prime abord, ressemble à la promesse d'un ailleurs, la date et l'heure en option, toute réponse paraît acceptable ou tolérée, chaque piste à suivre encouragée, chaque alternative automatiquement rehaussée de nombreux choix que l'on n'avait qu'à peine entrevus dans une série de rêves dont les droits d'auteur seront soumis à des calculs bienveillants. Il y avait là, en effet, l'assurance d'un pied-de-nez possible à la petite case coincée dans le tableau étroit de nos classifications mentales ; l'idée d'un sursaut potentiel entre deux lignes tracées à la règle sur fond neutre, des lignes odieusement parallèles qu'aucune césure ou jonction ne vient rompre ou interrompre, des lignes qui n'échangeront pas trois mots puisqu'elles ne se rencontreront jamais.

J'y voyais peut-être – mais je me dis parfois que je ne me connais pas assez pour glisser du « peut-être » au « sans doute » – une paraphrase populaire, simpliste, hautement synthétique de cette propension typiquement guevaresque à « exiger l'impossible ». De toute évidence, l'un précède l'autre dans le flot de pensées du révolutionnaire et il ne s'agit là, somme toute, que d'un simple processus que l'on n'hésitera pas à situer à la racine de toute forme d'imagination. L'hypothèse, née des méandres, jaillit en lame de fond, en rayon de soleil, en soudain clair de lune entre deux pensées triviales, le flop du quotidien bousculé par l'irruption du « et si » cher aux enfants, aux artistes, aux scientifiques. Mais j'attendais autre chose que cette inflexion doucereuse, cet appel au calme poussé à bout de lui-même par cette négation tardive.

« Et pourquoi pas ? » reste une phrase, entière, chargée, une phrase complète qui se pare d'une apparente légèreté en ne s'embarrassant pas d'un verbe, d'un sujet, d'un compliment. J'attendais une porte s'ouvrant sur l'inconnu, je me récolte un verrou plaqué sur le cortex. Je rêvais d'un « warum nicht » aux accents hegeliens, quelque chose de grandiose incitant au sublime, parce que la langue germanique invite à la philosophie, je n'ai eu droit qu'à un « cause toujours, je 'écoute d'une oreille et l'autre t'ignore ostensiblement. »

Je souhaitais une réponse claire, un positionnement politique, le choix d'un camp plutôt qu'un autre. Ma proposition m'engageait de pied en cap. De fond en comble, dirais-je, parce que chaque centimètre cube de mon corps soutient les mots que ma bouche peine à émettre – car je les pèse, chacun, avec la minutie du chat qui se nettoie et la patience de l'araignée qui tisse sa toile pour la troisième fois aujourd'hui.

J'aurais voulu un « oui », un « non », voire un « je ne sais pas encore laisse-moi le temps d'y réfléchir » plutôt qu'un « pourquoi pas » déliquescent. Je sais bien que tu l'ériges en pirouette pour différer ta réponse, ton engagement, ta propre posture par rapport à ce que j'avais entrevu comme une passerelle vers ta personne. Je vois bien que tu refuses tout contact. Tu ne délibéreras nullement dans l'intimité passive de ton esprit réticent, tu n'envisageras probablement pas de me répondre puisque, selon les règles tortueuses du logiciel corrompu auquel tu té réfères constamment, ma réponse, je l'ai déjà obtenue. Tu me l'as jetée, du bout des lèvres, en souriant, bien sûr, parce que ma question relève de la plaisanterie, mes interrogations ne valent guère que l'on s'y attarde, mes regards sont vides et mes hypothèses n'existent que pour justifier une humiliation perpétuelle.

« Et pourquoi pas ? » relève de la perfidie la plus obtuse. Il s'annonce en pourfendeur de cadres et en destructeur de labyrinthes, mais il se conclut sur le refus patent de considérer les mots de l'autre comme un jeu des probables.

D'aucuns prétendront qu'il revient à lâcher du lest sans se donner le temps d'y réfléchir. Ce temps nous manque, certes, mais je te suggère de l'aller chercher là où tu peux.

Nous devons reconstruire une échelle de valeurs dégagée de la contrainte du temps. « Et pourquoi pas ? » doit précéder une appréciation positive, sans quoi il se contente de clore sans poser de jalon. Tu voulais botter en touche en feignant l'empathie et tu m'as réduit, une fois de plus, à l'état d'opercule.

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