1 - Une mort douce...
- Putain ! Ce n’est pas vrai ! hurle Julia après avoir lu la lettre d’adieu de son frère.
C’est une unique phrase, couchée sur un morceau de papier, qu’il a laissée avant de quitter le château : « Mourir entre les mains des voleuses d’âmes sera moins douloureux que de vivre ici ».
La princesse inquiète et furieuse quitte la chambre de son petit frère et court le plus vite possible, à la recherche de son père. Elle finit par le trouver dans son bureau. Elle sait qu’il est coupable de tous les malheurs de sa propre famille et c’est d’un ton affirmé qu’elle s’adresse à lui après être rentrée violemment dans la pièce.
- Il est plus que temps que tout cela prenne fin ! s’écrie-t-elle alors qu’elle attrape un des chandeliers présents sur le bureau du roi.
Le vieil homme n’a même pas le temps de prononcer un mot que sa fille lui frappe sauvagement la tête avec l’objet. Il tombe à terre et c’est sans aucune pitié qu’elle frappe à nouveau pour s’assurer qu’il est bel et bien mort. Personne ne tente de s’interposer et de l’empêcher. Le roi Gustave était détesté depuis le premier jour de son règne. C’était un jeune homme anxieux à l’idée d’être couronné et de diriger un royaume. Des sentiments noirs et déprimants l’avaient dévoré depuis son adolescence et quand il fut nommé roi, le chaos s’abattit sur le royaume entier. C’est comme si toute forme de bonheur avait été prohibée. Jusqu’à aujourd’hui encore, on ne célébrait plus les mariages, les naissances ou tout autre évènement source de joie. Les marques de tendresse, les rires et parler à voix haute sont des exemples de comportements qui étaient interdits en public. Le roi ne s’occupait pas non plus de sa famille. Il s’était forcé à toucher sa femme dans l’unique but d’assurer sa progéniture et depuis il n’avait plus jamais partagé le lit de son épouse. Il n’éduqua pas non plus ses trois enfants et ne passa pas beaucoup de temps à leurs côtés. En résumé, le roi était allergique aux plaisirs de la vie et celles de la famille royale et de tous les sujets du royaume étaient bien tristes.
Le roi est mort désormais et c’est uniquement par respect pour le monarque défunt que les personnes présentes sur la scène de crime ne montrent pas leur joie. Une nouvelle ère commence, une ère remplie de bonheur.
Julia n’a pas le temps d’apprécier la mort de son père. Il faut à tout prix qu’elle retrouve son frère Victor avant qu’il ne soit trop tard. Après tout, il est l’unique famille qui lui reste. C’est à cheval qu’elle traverse à grande vitesse la citadelle, renversant quelques éléments au passage. Elle s’arrête brusquement au niveau d’une des portes d’entrée de l’enceinte fortifiée et demande aux gardes :
- Avez-vous vu le prince, messieurs ?
- Il est sorti hors des remparts il y a environ deux heures, répond l’un d’eux.
- Comment était-il ? rajoute la jeune femme.
- Il marchait d’un pas décidé sans se préoccuper de ce qui l’entourait.
- Marchait ? s’exclame Julia. A cheval, je peux le rattraper, pense-t-elle.
Elle remercie les gardes et disparaît hâtivement sur sa monture. Sachant que son frère est à pied, elle prend le temps de s’arrêter quelques minutes au cimetière, à la sortie de la citadelle, là où repose sa sœur ainée, Jade. Il y a environ trois ans, elle avait décidé de mettre fin à ses jours en se jetant du haut de la plus haute tour du château, en compagnie de son bien-aimé, Ivan. Ils n’avaient pas laissé de mot mais à la place ils avaient emporté dans leur chute mortelle, un bouquet de tulipes bleues. Ces fleurs étant l’un des symboles du royaume, les amoureux délivraient un message en se suicidant avec. Morts, ils pourraient enfin être heureux, débarrassés de la tyrannie du roi. Encore et toujours ce vieil homme intolérant au bonheur. Il n’avait pas accepté qu’Ivan demande la main de sa fille. Pire, il leur avait désormais interdit de se voir. Jade, toujours vierge à bientôt 28 ans, ne supportait plus de vivre sous l’autorité démesurée de son père. D’un commun accord, les deux amoureux avaient alors décidé de s’aimer mais dans une autre vie.
Ce drame avait causé un grand choc dans tout le pays. On pensait que le roi serait marqué par ce tragique évènement et qu’il aurait un déclic, celui de croquer la vie à pleines dents et que son royaume respirerait la joie de vivre. Sans grande surprise, il ne montra pas une seule émotion, ni de la tristesse ni une volonté de changer. L’unique action qu’il accomplit, fut de renommer le royaume en hommage à sa fille. Ainsi, le royaume de Kon est depuis ce jour le royaume de Valse-la-Tulipe. Un nouveau nom qui divise l’opinion, certains appréciant ce geste, d’autres pointant du doigt cette décision de très mauvais goût.
Après s’être recueillie devant la tombe des amoureux, Julia quitte le cimetière et remonte sur son cheval. Alors que l’animal avance lentement, elle se retourne une dernière fois et les larmes aux yeux, chuchote :
- Je vous promets que je ramènerai Victor !
Elle se dirige maintenant vers la forêt, où un autre drame a eu lieu. Il semblerait que chaque endroit lui rappelle l’oppression dans laquelle le royaume était plongé jusqu’à ce jour. La nuit tombe doucement en ce soir de juin. Julia décide tout de même de pénétrer dans les bois afin de ne pas prendre de retard sur son frère. C’est à cet instant qu’elle réalise qu’elle porte une longue robe et n’a pris ni arme en cas de danger ni nourriture. La peur de perdre Victor l’a saisie instantanément deux heures plus tôt et c’est sans réfléchir au reste qu’elle s’est mise à sa recherche. Elle le sait seul dans la forêt. Peut-être sera-t-il mort avant même d’arriver à la plage des voleuses d’âmes.
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