La Havane
Le Soleil se couche sur les Badlands californiens, laissant place à une lueur orangée qui se fond dans les ombres des décombres et des machines rouillées. Frank Horrigan, un solide gaillard de vingt-cinq ans, nettoie son fusil d'assaut tout en scrutant l'horizon depuis le campement de son clan, le clan Campbell. La brise du désert soulève délicatement son manteau de cuir usé, révélant un gilet pare-balles et des plaques d'identification volées autour de son cou.
Isabela, sa femme de quatre ans sa cadette, se tient un peu à l'écart, examinant son communicateur avec une attention fébrile. Ses cheveux noirs tombent en cascade sur ses épaules. Son regard fixe, presque féroce, trahit une inquiétude qu'elle peine à dissimuler.
Frank s'approche d'elle tout en remettant en place son chapeau à large bord, un vestige des temps passés, et serre Isabela contre lui.
— Qu'est-ce qu'il y a, Isa ?
Elle lève les yeux vers lui, ses prunelles brunes brillant amoureusement.
— Un message de La Havane. Ils veulent me rencontrer, seule. Je pense que c'est important.
La Havane. Ce nom lui évoque un autre clan des Badlands spécialisé dans le recel d'eau potable, un bien précieux en ces temps de sécheresse. La dernière communication remonte à plusieurs mois. Aux dernières nouvelles, ils étaient en Arizona.
— Et tu comptes y aller ? Ils ne devraient pas revenir avant Pâques, si je me souviens bien.
Isabela pose une main rassurante sur le bras de son mari.
— Pas le choix. On ne tiendra pas une autre semaine sans commencer à rationner l'eau.
Le nomade ajuste son fusil d'assaut dans son dos.
— On peut envoyer quelqu'un d'autre. Il y a toujours une chance que ça tourne mal. Et tu sais que je préfère ne pas te voir partir seule.
Isabela caresse la joue de son bien-aimé.
— Tu as raison, cariño. Mais tu te souviens ce qu'il s'est passé la dernière fois que Tobias et toi m'avez accompagnée ? Je préfère revenir sans bras déboîté cette fois-ci. Et si je n'y vais pas, on va tous crever de soif.
Frank est conscient qu'elle a raison. Il hésite un instant puis laisse son regard se perdre dans le lointain.
— Très bien. Mais on reste en contact, tu m'envoies un bip tous les quarts d'heure.
— Je te le promets, dit-elle avant de déposer un baiser sur le coin de sa bouche barbue. Je serai prudente.
Son cariño la regarde s'éloigner, impuissant, alors qu'elle se dirige vers l'établi. Et bientôt, les ombres allongées avalent la silhouette de sa femme tandis qu'elle enfourche sa moto. Le rugissement du moteur déchire le silence, mais l'écho se dissipe, emporté par le vent du désert.
Alors qu'Isabela disparaît au loin, le chef du clan se détourne, le visage fermé. Sans un mot, il s'assied à l'atelier du clan et dépose son fusil sur une table, l'un de ses compagnons les plus fidèles. Le sable s'est infiltré partout - dans le mécanisme, entre les rainures et jusque dans le chargeur. Il démonte l'arme sous la lumière vacillante d'un lampadaire. Il est capable de démonter et remonter son arme les yeux fermés s'il le faut.
— Tu as encore foutu du sable partout ! grogne une voix aiguë derrière lui
C'est Ashleen, sa petite sœur, mécanicienne en chef du clan, une experte en technologie de récupération. Elle arbore un bras gauche mécanique peint en jaune vif et parsemé de graffitis qui brillent sous la lumière artificielle des lampes.
— Putain, Frank, j'suis pas ta boniche !
L'intéressé se redresse et essuie ses mains sur un chiffon sale. Pendant un instant, le visage durci par la peur du nomade s'adoucit quand il voit sa soeur pour laisser place à une complicité fraternelle.
— La fille du diable, répond-il en farfouillant les cheveux pleins de poussière de sa sœur. Comment fais-tu pour aussi bien dissimuler tes cornes, espèce de démon ?
Ashleen lève les yeux au ciel, mais un sourire en coin trahit son amusement. Le lien entre ces-deux est indestructible. Pas seulement parce qu’ils partagent le même sang, mais parce qu’ils ont traversé des enfers ensemble. Ils tiennent leur clan d’une vingtaine de personnes. Une bande de de mécanos, de mercenaires et surtout, tous des survivants.
Frank, c’est le visage que l'on voit. Le chef. Celui qui tape du poing sur la table et que tout le monde suit, celui qui trace les routes, choisit les cibles et décide quand il faut fuir ou se battre. Il incarne le cap à suivre et l’assurance que le clan ne pliera pas.
Ashleen, c’est son bras droit. Elle ne parle peut-être pas fort ni ne commande pas mais organise. Entre les pièces de rechange, le carburant, les rations et les communications, c’est elle qui fait tourner la machine. Logistique ou intendance, tout passe par elle.
Si l’un montre la voie, l’autre la rend possible.
— Fous-moi la paix ! réplique la jeune femme en lui assénant un coup de son bras mécanique sur l'épaule à mi-chemin entre la taquinerie et l'agacement
Le métal jaune rencontre la chair musclée habituée à la force brute de sa sœur. Cette-dernière lève les yeux au ciel avec un soupir théâtral avant de s'approcher du fusil que son frère nettoie. Elle le saisit d'une main experte, jauge le poids dans sa paume et examine le canon avec une moue critique.
— Le sable, c'est bien mais les incidents de tir, ça l'est beaucoup moins. Tes flingues, il va falloir leur donner un sérieux coup de polish.
Frank tire un outil de sa ceinture.
— Arrête, on dirait 'pa. Et le camion-citerne, il en est où ?
Ashleen grimace, feignant de s'éloigner avec nonchalance. Mais la question la touche au vif et son ton devient plus sérieux, marqué par la fatigue et l'irritation d'une question à laquelle le nomade connaît déjà la réponse.
— Ne te fous pas de ma gueule, frangin. Les filtres sont presque obsolètes et le radiateur menace de me lâcher. J'ai dû en bricoler un nouveau avec ce que j'avais sous la main.
Le chef de la meute l'écoute attentivement même s'il garde cette façade désinvolte. Il est fier d'elle, de ses capacités de mécanicienne.
— Je dois ça au vieux Tucker. C'est lui qui m'a tout appris. D'ailleurs, tu ne veux pas que je jette un œil à ta Caliburn ? demande-t-elle
Amusé par l'échange, Frank laisse échapper un rire à peine contenu au fond de sa gorge.
— La Cali', c'est pour les grands garçons, objecte-t-il en remontant son fusil. Pour l'instant, reste sur ton camion-citerne, fifille.
Ashleen tapote l'établi du bout de son bras mécanique.
— Je te rappelle que j’ai démonté et remonté trois moteurs d’Hydra avant mes seize ans, Frank. Ta bagnole, c’est une antiquité rafistolée avec du scotch et de l’espoir. Tu sais que j’pourrais la faire ronronner comme à son premier kilomètre en deux heures chrono.
— Justement, répond-il sans la regarder. Elle ronronne très bien sans que tu y mettes tes doigts.
— J’peux changer le bloc d’alim de cette caisse les yeux fermés et à cloche-pied. Et je t'assure qu'elle a besoin d’un bon check-up ou la pompe à carburant va encore te lâcher.
— Je sais, grogne-t-il. Et j’vais m’en occuper.
Elle est certes meilleure que lui en mécanique mais la Cali’, c’est son domaine. Sa caisse. Le seul truc qu’il répare encore lui-même, même si c’est bancal et même si c’est long. Alors elle n’insiste pas. Elle connaît cette part de lui de gars borné.
— Tu crameras le moteur un jour. Et j’serai là pour te le rappeler.
La mécanique est leur terrain d'entente, un espace où ils peuvent laisser libre cours à leur passion même si cela implique de se lancer des piques à longueur de journée.
Alors que la nuit avance, le frère et la sœurs continuent leurs chamailleries qui se transforment peu à peu en éclats de rire. Frank vient tout juste de finir de vérifier l'intégralité de ses armes lorsque deux autres membres du clan, Tobias Hernandez et Elias McKay, apparaissent dans l'éclairage du feu de camp. Les braises rougeoyantes projettent des ombres longues et déformées sur le sol aride, créant une ambiance à la fois chaleureuse et oppressante.
Tobias, un ancien militaire aux muscles saillants reconverti en contrebandier, brandit une bouteille remplie d'un liquide ambré, un sourire malicieux aux lèvres. A ses côtés, Elias, beau-frère et ami d'enfance de Frank a les yeux vifs et cet air de quelqu'un capable de trouver le bon côté des choses même dans les pires moments.
— Hé, Frank ! appelle Tobias d'une voix forte. Viens boire un verre avec nous. On a réussi à récupérer un peu de whiskey. C'est la première bonne nouvelle de la semaine !
— Allez, patron, surenchérit Elias, viens te détendre un peu. On a bien bossé aujourd'hui.
— Merci, les gars, mais... commence-t-il d'une voix hésitante. Ça va faire bientôt faire trois-quart d'heure que je n'ai pas de nouvelles d’Isabela. La savoir seule avec les gars du clan de La Havane...
Le chef du clan pose son regard vers Ashleen qui, penchée sur son camion-citerne, hoche la tête. Mais quand elle relève brièvement le regard vers lui, il y lit autre chose. Une inquiétude contenue, mais bien réelle. Ce n'est pas juste de la fatigue ou de la concentration sur ses réparations. L'absence d'Isabela qui commence à la ronger, elle aussi.
— Ah ouais, La Havane ! glisse Tobias qui se croit malin. C'est pas des tendres, je peux te l'assurer !
Et aussitôt, il regrette de l’avoir dit en voyant la réaction de Frank et surtout celle d'Elias qui lui fait signe de la fermer. Mais ça n’en reste pas moins vrai.
— Le problème, ajoute Elias pour changer rapidement de sujet, c’est qu’ils tiennent l’eau du Nouveau-Mexique à Night City. Si on pouvait les ignorer, ce serait déjà fait. Mais si on coupe le contact, faut dealer direct avec les corpos. Et avec tout ce qu’on leur siphonne, autant se peindre une cible dans le dos.
Il veut être rassurant, mais ça sonne creux. Lui non plus n’y croit pas vraiment.
— Frank… reprend-il. On ne peut rien faire d'autre que d'attendre. Mais si tu veux, on peut envoyer quelqu'un vérifier la route. Ce serait une petite assurance.
Le chef du clan lutte contre la fatigue et l'agitation qui s'entrelacent en lui comme des serpents venimeux. Les mots d'Elias expose à la lueur du feu cette inquiétude qu'il s'efforce de contenir. Il se lève brusquement, incapable de rester assis plus longtemps. L'immobilité devient insupportable, chaque seconde d'attente un poids de plus sur sa poitrine. Tobias, Elias et les autres membres du clan échangent des regards inquiets, sentant l'agitation dans les gestes de leur chef.
— Elias, toujours rien d’Isabela. Son dernier contact remonte a plus d’une heure. Si quelque chose lui est arrivé...
Sa voix se brise sous le poids de l'inquiétude. Elias se lève à son tour, et pose une main apaisante sur l'épaule de son ami, cherchant pour lui transmettre un peu de gentillesse.
Le regard de Frank se perd dans l'obscurité qui entoure le campement. Chaque bruissement du vent, chaque craquement du feu semble être un présage de mauvais augure pour le nomade.
Moins d'une minute plus tard, le nomade ne supporte plus l'attente. Il se dirige vers la camionnette d'un membre de son clan, une femme dans le milieu de la trentaine d'origine coréenne qui répond au doux nom de Kyong-Ja Lee-Palmer, et qu'il surnomme affectueusement « Kimchi ». A ses yeux, elle est la seule personne capable de l'aider maintenant. La femme coréenne n'est pas du genre à se mêler aux autres. Solitaire et farouche, elle reste souvent à l'écart, préférant la compagnie de ses armes blanches plutôt que celle d'autres humains.
Le nomade frappe à la porte latérale de la camionnette, cette vieille carcasse modifiée pour répondre à tous ses besoins. Après un moment, la porte s'ouvre en crissant. Kyong-Ja apparaît, la partie inférieure de son visage dissimulée derrière un masque respiratoire mécanique. Ses yeux en amande percent Frank jusqu'à l'âme, comme si chaque intrusion dans sa solitude était une agression personnelle.
— Qu'est-ce que tu me veux, connard ? lâche-t-elle en appuyant chaque mot.
— Kimchi, j'ai besoin de ton aide. C'est urgent.
Elle laisse échapper un soupir de frustration, rangeant un sabre court dans son fourreau avant de finalement sortir. Elle se tient devant son chef l'air blasé, et ajuste un couteau dans sa bottine.
— Qui je dois tuer ? demande-t-elle sans émotion
— Pas ce genre d'aide.
— Avec qui je dois baiser ? enchaîne-t-elle indifférente comme si tout contact humain était un supplice pour elle.
— Non plus, réplique-t-il.
Elle l'observe avec un mélange de méfiance et d'agacement, clairement surprise que quelqu'un ose venir troubler son isolement pour autre chose que de la violence ou du sexe.
— Qu'est-ce que tu me veux alors ? interroge-t-elle, méfiante.
Frank prend une profonde inspiration, sachant qu'il doit peser ses mots. Son interlocutrice n'est pas quelqu'un qu'on approche facilement et encore moins pour lui demander une faveur.
— Isabela est partie rencontrer des gars du clan de La Havane. Elle aurait dû être de retour depuis un moment mais elle n'est toujours pas là. Je suis inquiet pour elle. S'il lui est arrivé quelque chose... Tu es la meilleure pour retrouver les gens. J'ai besoin de toi sur ce coup.
Kyong-Ja penche sa tête sur le côté et analyse ses paroles, ses yeux trahissant une étincelle d'intérêt malgré son visage impassible.
— Où est-elle allée ?
Le nomade sort un terminal de son sac ventral et lui affiche les coordonnées qu'Isabela a envoyées avant de partir.
— Elle devait rencontrer son contact du clan de La Havane à l'ancien motel près de la sortie 7.
Kyong-Ja sort sa tablette et examine rapidement les détails.
— La Havane ? Ils sont du côté de Phoenix en ce-moment, se murmure-t-elle avant de relever les yeux vers son interlocuteur. Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas des tendres. Mais tu as de la chance. J'ai bossé pour certains des leurs.
Frank incline son chapeau en signe de respect. Mais Kyong-Ja ne lâche pas si facilement.
— Par contre je te préviens, si tu m'as fait sortir pour rien, je te fais bouffer tes couilles, promet-elle
— Je n'aurais pas demandé si ce n'était pas important.
Elle le fixe encore un moment puis résignée, elle tourne les talons.
— Laisse-moi le temps de passer un soutif et ma tenue, et je suis à toi.
Frank attend, ses pensées tournées vers Isabela, l'anxiété le gagnant. Il retourne à sa voiture, une Caliburn '55 cinq places transformée en une forteresse mobile. Elle est équipée de vitres pare-balles, d'un moteur surpuissant et d'un intérieur où tout est pensé pour la survie.
Kyong-Ja sort finalement de sa camionnette toujours masquée mais cette fois entièrement habillée. Son long imper noir enveloppe son corps, cachant ses armes comme ses intentions. Elle grimpe dans la voiture sans un mot, et Frank fait rugir le moteur dans la nuit.
— J'ai entré les coordonnées du motel dans le système de navigation, explique-t-il en tapotant sur le terminal du tableau de bord. Je compte sur toi là-bas. Je ne sais pas ce qui nous attend, alors prépare-toi au pire.
La voiture s'élance, déchirant la nuit avec ses phares perçants. Les Badlands défilent à toute vitesse, un paysage désolé de ruines et de débris. Le conducteur pousse la voiture à fond, les roues soulevant des nuages de poussière derrière eux alors qu'ils disparaissent dans l'obscurité.
Dans l'habitacle, une vieille chanson country grésille à travers les haut-parleurs. Un écho de la lointaine Caroline du Sud, l'Etat de naissance de Frank et Ashleen, qui aide le nomade à calmer ses nerfs. Un crucifix en métal usé par le temps pend au rétroviseur et se balance à chaque virage serré.
Le chef du clan agrippe le volant, son esprit rivé sur Isabela et son cœur partagé entre espoir et terreur. Kyong-Ja ne parle pas mais Frank sait que c'est ainsi qu'elle fonctionne. Elle n'a jamais été du genre à s'ouvrir aux autres. Néanmoins, elle est la meilleure pour ce genre de mission et il aura besoin de son aide si quoique ce soit arrive à sa femme.
A ses côtés, sa passagère est indifférente aux secousses violentes du véhicule. Même lorsque la voiture dérape sur les terrains accidentés, saute sur des bosses ou évite de justesse des obstacles, elle garde ce calme qui contraste avec l'agitation du chef du clan Campbell. Kyong-Ja est détachée du monde, insensible au chaos autour d'elle.
— J'ai vérifié les coordonnées, annonce-t-elle. Nous devrions arriver au motel dans environ une heure si nous continuons à cette vitesse.
— On y sera en trente minutes, rétorque-t-il prenant les dires de sa passagère pour en défi
Il appuie sur l'accélérateur, poussant le moteur de la Caliburn à ses limites. Le véhicule gronde sous l'effort mais le conducteur ne ralentit pas. Chaque seconde compte, chaque décision est un choix entre la vie et la mort. La claustrophobie s'intensifie, l'étreignant comme un étau alors qu'il se rapproche du motel où Isabela doit se trouver.
A leur arrivée, le véhicule ralentit progressivement alors que le vieux motel apparaît à l'horizon sur le bord de l'autoroute. Le bâtiment est délabré, ses enseignes décolorées par le temps, les fenêtres encrassées par des années de négligence. C'est une relique d'un passé révolu, un vestige abandonné de l'ancien monde.
Frank gare sa Caliburn en amont du parking désert, phares éteints. Kyong-Ja descend, son masque respiratoire toujours en place et ses yeux scrutant l'obscurité. Elle se déplace silencieusement, trouvant une position en retrait d'où elle peut faire le tour du motel. Pour elle, être seule est une seconde nature.
Frank ferme la portière de sa voiture et épaule son fusil. A travers ses yeux augmentés et son viseur, il balayant les alentours avec une discipline digne d'un militaire. Le parking et l'hôtel sont dépourvus de vie, aucune âme ne semble hanter ce lieu abandonné. Les caméras de sécurité, rouillées et inutiles, sont probablement ce qui a le mieux résisté à l'épreuve du temps.
Le nomade avance avec prudence sur le béton rugueux. En approchant de la chambre indiquée par Isabela plus tôt, une sensation oppressante s'empare de lui. Après un bref instant de concentration, le nomade tire sur la serrure et ouvre la porte d'un coup de pied. La pièce unique s'ouvre devant lui, son regard s'adaptant instantanément à la pénombre. La chambre est simple, spartiate même : un lit en lambeaux, une petite table encombrée de bric-à-brac, une commode avec un téléviseur cathodique éteint, une chaise usée et une lampe de chevet qui fonctionne encore à sa grande surprise.
Frank scrute chaque recoin mais l'endroit est l'endroit est vide, désert, orphelin de celle qu'il espère trouver.
— Isa ? crie-t-il de sa voix brisée.
Mais seul l'écho de son appel lui répond, amplifiant un malaise qui ne cesse de croître. Le vide de la pièce semble se refermer sur lui, chaque recoin de la chambre le ramène à une absence insupportable.
Sans réponse, le nomade avance prudemment à l'intérieur et balaie du regard chaque recoin. Il jette un coup d'œil rapide dans la salle de bain attenante, ne découvrant que son reflet solitaire dans un miroir brisé. Frank se dirige alors vers la fenêtre, tirant les rideaux pour vérifier à l'extérieur, mais il n'y a aucun signe de vie, rien d'autre qu'un motel abandonné depuis trente ans.
Il espère contre toute attente que quelque chose - n'importe quoi - puisse lui indiquer que les informations sont incorrectes, que sa femme est encore là, quelque part dans le motel.
Alors qu'il inspecte la pièce avec l'énergie du désespoir, son attention est attirée par des signes de lutte évidents : meubles renversés, coussins éparpillés et marques de frottement sur le sol, tous témoins calmes d'un combat violent. Il suit ces indices jusqu'au centre de la pièce et aperçoit quelque chose de particulièrement troublant : un chignon qui gît sur le sol. Un détail à la fois personnel et immédiatement reconnaissable : celui d'Isabela. Il cherche désespérément à comprendre ce qui a pu se passer.
Mais avant qu'il puisse s'attarder davantage sur cette découverte, son téléphone satellite résonne sur son pare-balles, laissant place à la voix monotone de Kyong-Ja.
— Ramène ton cul dehors, connard. On n'est pas seuls.
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