1- La confiance au fond des souliers
Dix-neuf heures pile.
Je bloque sur le dernier refus de la maison d’édition « Moustache et bruit de glace ». Le vingtième depuis le début de l’année. Je suis torchon-serviette sur ma chaise de bureau, même plus la force de verser une larmiche, juste envie de dormir profondément si je parviens à trouver le sommeil. Léontine colle son museau tout coulant sur ma main ballante. Elle a se petit regard mi-filou mi-affecter par mon humeur de mollusque. Petit-bouchon ! Elle me console, mais rien ne fonctionne quand j’suis dans cet état. J’suis juste mal et j’ai envie de rien.
Devant l’ordinateur, je chasse le message et retourne sur l’onglet de la plateforme d’auteur pour accuser mon texte d’être un grand minable. Je prends le temps de le relire, comprendre ce qui ne va pas avec lui, qu’est-ce qui fait de lui le malaimé. C’est quand même frustrant. Six versions en deux ans et des « non » qui se poursuivent. Ai-je écopé d’une malédiction ? Pour rien arranger mon premier roman « la flèche de l’oubli » est un vrai floppe. La maison d’édition pense préférable d’arrêter la production. Le rêve s’effondre. Encore. De quoi se pendre par les pieds dans un ravin de trente-cinq mètres et de voir si je serais capable de rebondir.
Résigné, j’éteins le pc et m’affale sur mon lit, le bras sur le visage et les forces me quittant peu à peu. Léontine me mordille les orteils. Sans réaction de ma part, elle file dans le salon et ramène Larson. Comme un gros patapouf, il saute sur le lit, m’écrase les jambes au passage et s’écrase comme une larve sur mon ventre. Léontine calle sa minuscule tête sur mon thorax. Chouette d’avoir des chiens qui te prenne pour le matelas. C’est tout de suite plus séduisant que réussir un projet sans qu’il se fasse la malle au bout de deux jours.
Incapable de bouger, j’éteins la lumière, attrape mon portable sous mon oreiller et me mets un petit Song doux et agréable afin de décompresser. Se ramène alors ma mère, qui me parle de son cours de piscine. Monologue hyper constructif, remplacé par l’arrivé de mon père et son envie d’accéder à la porte des chiottes. Comment accentuer la déprime quant à vingt-huit ans tu vis encore chez tes parents et que tes tentatives de succès se soldent par de lamentables échecs.
S’enchaine le neuve de onze ans qui pose son cul sur le lit des chiens, celui installé au bas de mon cher bureau et qui te regarde comme si tu faisais la manche dans la rue, avec un regard de dégoût et de pitié.
—Tonton, pourquoi Léontine et Larson sont toujours dans ton lit ? Ils sont sales ! C’est crade.
—Hum… Le week-end va être fascinant. Tonton va encore en prendre pour son grade.
—Ils ne sont pas plus crade que toi.
—Moi je me lave.
—Ouais, le matin. Rappelle-moi se que t’as fait toute la journée ?
—Mais, moi, j’me suis pas salie.
—Pardi ! Tu m’en diras tant. Retire tes chaussettes et renifles-les, après on en reparle.
Clément hausse les épaules et les sourcils avec son air de monsieur je sais tout. Pas gâter le citadin.
—Tonton ?
La machine est en route. Ça y est. Qu’est-ce qu’il va me sortir encore ? Vivien a toujours le pot t’enterrer vivant quand t’es au fond du gouffre. Genre tient, j’en rajoute une couche. T’n’avais pas l’air si mal. C’est vrai, être en diagonal sur le lit, servant de tapis à tes dogs, ça prouve ta joie de vivre. J’ai toujours dit qu’il était sadique ce gosse. Mignon, mais t’a envie de le noyer dès qu’il ouvre sa bouche avec son arrogance de pré-ado mal torché.
—Quoi, encore ?
—T’as quel âge ?
—Vingt-huit ans.
—C’est vieux.
Eh, Bam ! Dans les dents. Vieux ? je vais t’en faire du vieux. Sale gosse.
—Pourquoi tu vies toujours chez papy et mamie ?
—Parce que c’est moins cher.
—T’es SDF sinon ?
Ne faudrait surtout pas les cultiver comme des bottes de carottes ces gamins-là. Ça finirait par faire mal au cul.
—Ouais, c’est le mot. Autre chose ?
—Pourquoi tu ne travailles pas ? T’es un assisté ?
Les joies d’être oncle. La confirmation que je ne suis pas fait pour vivre avec des gamins. Puis des gamins, j’en ai déjà deux. Mais eux, ils sont adorables même quand ils aboient à m’arracher les tympans.
—Tonton, il travaille. Il est romancier. C’est juste que c’est un boulot qui rapporte que dalle quand t’es personne et que tu brodes de la daube. Et non, j’suis pas un assisté, juste un type en manque de chance. Tonton sait faire fonctionner ses dix doigts.
—Pourquoi, tu ne fais pas autre chose si tu ne gagnes pas d’argent ? En plus, tu ressembles à une larve !
—Merci, Vivi. On va arrêter les compliments pour aujourd’hui, tonton est un peu fatiguer. La porte est là. Pense à la fermer.
—Mais pourquoi ? Moi, je veux rester avec toi. J’m’ennuie avec papy et mamie.
—Elle est où ta Nintendo ou j’ne sais pas quoi. Elle recharge. Papy m’a dit demain. J’ai plus le droit de jouer avec.
—Tu m’étonnes. Passe sa vie déçu tout le saint après-midi.
—Je veux lire un manga.
—Bah regarde derrière toi. Si tu restes, j’veux pas t’entendre, clair ?
—J’serais une tombe, dit-il la tête déjà tourner sur mes mangas.
Combien de temps ça fait que je n’en ai pas acheter un ? Depuis le lycée…
Le lycée. J’ai l’impression de l’avoir quitté hier et en même temps je sais qu’il s’est écoulé des années. Presque dix ans.
Une chose est sure, depuis que j’écris j’ai arrêté de voir autre chose que les mots. Peut-être est-ce là mon plus grand problème ? N’ai-je pas arrêté de vivre pour écrire ?
Si c’est le cas, j’suis pas dans le caca. Je suis mort depuis une paie. Parce qu’en vrai, si j’arrête d’écrire, se sera pour entrer dans le cercueil. L’écriture me draine. Je respire sa vapeur toxique et imagine milles mondes.
Pourtant, aujourd’hui, je n’ai pas écrit un mot. Aujourd’hui, j’ne sais pas où j’en suis. Il fait noir dans ma vie. Marcher devient une véritable épreuve de survie. J’ai cette violente et inébranlable sensation que tout le monde a prit le train et que moi, gros blaireau de première, je suis toujours sur le quai avec mon sac ringard, où je collectionne les ratés et les désillusions.
Pour ne rien arranger la situation lundi, j’ai rendez-vous avec popol. J’ne parle pas de trucs salas avec moi-même, mais bien de Pôle emploi. L’angoisse. Pas la franche histoire d’amour avec ceux-là. Ils me foutent le moral à zéro à chaque fois. Trois semaines qu’ils m’ont envoyé leur courrier, qui d’ailleurs ressemble au PQ dans les stations-service, celui qui rappe le cul. Trois semaines que je gamberge en me demandant ce qu’ils vont me sortir. J’en ai marre de faire le débile à chaque fois que j’y vais ou, tout bonnement de passer pour ce que je ne suis pas : un glandeur. Trop de gens pense qu’au chômage on se tourne les pouces toute la sainte journée. Mon trognon de pomme que c’est une légende en ce qui me concerne. Je jure de donner mon maximum pour plaire aux maisons d’éditions. Je fais en sorte que mes textes entre dans leur critère quitte à dénaturer mes écrits. Puis y’a pas que ça. Je suis homme à tout faire chez mes parents, psychologue, éducateur canin, pet-sitter, technicien de surface, aide au repas, jardinier, gardien... En fait, si je dis la vérité, je suis juste devenu père de quatre gosses : papa, maman, Léontine et Larson. Ce week-end, j’ai un gosse en plus : Vivien. Enfin, pour ce qu’il vient à la maison. Ça passe. J’peux gérer.
Tout ça pour dire qu’homme à tout faire ça avale beaucoup d’énergie. Sans dire qu’il y a ma copine derrière. Bon, Bélynda n’est pas la plus chiante du monde. Juste des problèmes d’ordre sexuelle. Elle a toujours envie. Pas moi… Après ça se passe bien… Enfin, comme dans un couple qui se fréquente depuis dix ans. Les habitudes, quoi !
Vivien décampe de la chambre. Je me lève du lit, pousse les dogs, me traîne jusqu’à la cuisine que je ferme derrière moi. J’n’aime pas être dérangé quand je fais les repas. Ça me saoule. Y’a pas de place. Évidemment, on finit toujours à quinze à l’intérieur. Et je finis par crier. Parce que crier, ça fait un bien terrible. Bon, je ne hurle pas comme un sauvage et je n’égorge personne, mais ça pourrait se faire un jour, quand la goutte fera déborder la jarre.
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