2- Comme si je pouvais dire non
—Notre dernier rendez-vous date de septembre. Ça fait un moment.
—On a eu un rendez-vous téléphonique le 15 octobre, en fait.
Ma conseillère zieute l’écran de son ordinateur.
—Non. Si c’était le cas, je l’aurais marqué, dit-elle sur un ton sec, presque nocif.
Mal lunée aujourd’hui ? Sans déconner. Je n’l’ai pas fumer cet appel téléphonique. J’ai même deux témoins. Ça commence bien. Si elle n’est pas fichue de noter se qu’elle fait, on va avancer du feu de dieu dans cette affaire. Et en plus, elle remet ma parole en doute. J’ai beau savoir qu’elle en a trois cents par mois des rendez-vous comme moi, ça me fait bouillir à l’intérieur. Pourquoi je mentirai, en fait ? Ce serait quoi le but ?
Prends sur toi, Léandre. Respire.
—Vous cherchiez dans la vente de livre et dans l’aide à la personne. Eh bien, je vous écoute ? Y-t-il du changement ?
Une envie irrésistible de la bouffer me fait serrer les doigts entre eux. Je sens, et dans sa voix, et dans son comportement, un mouvement de l’âme que je n’aime pas. Si elle cherche à me culpabiliser c’est raté. Elle éveille juste le monstre qui sommeille en moi. Celui qui enchaînait à mon cœur pourrait faire bien des dégâts si j’osais défaire la laisse.
Juste un mauvais moment à passer. Respire.
Par défis, je plante mes yeux dans ceux de ma conseillère. J’ai peut-être des problèmes à marcher droit sur mon chemin de vie, mais je sais encore tenir tête à quelqu’un quand on me prend pour plus con que j’suis.
—Eh bien, comme je vous ai dit au téléphone, j’ai envoyé mes cv aux libraires du centre villes. J’avoue que je ne me suis pas tourné vers l’aide à domicile. Je me sens encore hésitant, me demande si j’ai la capacité de m’occuper de personnes malades. J’ai relancé les six librairies, qui ne m’ont pas donné de réponse il y a une semaine de ça.
Je marque une pause. Et si j’en rajoutai un peu. C’est vrai, qu’au final, la seule chose que j’ai fait depuis septembre, c’était de m’occuper de mes textes essentiellement. Le reste me passait à côté.
—J’ai eu la méchante impression que ça ne se ferait pas chez l’une des librairies. Une employée m’a fait comprendre que je n’étais pas étudiant, donc pas prioritaire pour travailler pour les fêtes. Aujourd’hui, on est le huit décembre, j’vous avoue que je n’ai pas trop confiance pour la suite. Pas de réponse.
De toute façon même en leur envoyant, je n’en n’aurais pas eu. Je le sais. J’avais fait l’expérience deux ans consécutives.
—Sinon, j’ai envoyé d’autres manuscrits et j’attends la réponse.
Encore trois maisons d’éditions pour « le chausseur de Dame » qui doivent me rendre leur verdict.
—Je vois, donc rien de probant.
—J’ai aussi essayé d’appeler la maison des artistes pour m’informer sur l’autoédition, mais pas moyen de les contacter. Je leur ai envoyer un mail. Rien.
Ça, c’est vrai. Sept appels en tout. Je tombe toujours sur le disque. Alors j’ai envoyé un courriel en me disant que j’aurais plus de chance. N’ayant toujours pas de réponse, je présume que le destin m’annonce une vie sombre sans grand intérêt.
Je ne sais pas pourquoi, je ne parviens pas à voir autre chose que mon écran. Je n’y arrive pas. J’aimerai. Tout serait plus facile si je n’avais jamais toucher à cet art qui vous happe et vous digère. À quoi ressemblerait ma vie si je n’avais jamais commencé à écrire ? Où travaillerai-je aujourd’hui ? Serais-je marié avec Bélynda ? Des enfants ? Est-ce qu’au moins, je serais heureux ?
—Je vois. Je vois. Je vais vous dire avec honnêteté, si vous ne sortez pas de votre zone de confort, vous ne trouverez rien.
Tu m’en diras tant. Et si la raison était plus simple que ma zone de confort. S’il y avait juste plus de demande et moins d’embauche ? Combien de gamins qui terminent le lycée depuis les sept dernières années ?
—Ecoutez-moi, je vais vous proposer une prestation de service. C’est une association qui aide à retravailler les CV et comment parler en entretient. Ça pourra vous être utile dans vos démarches.
Utile pour qui ? Pour moi ou pour tes quotas ? Ça me fait déjà chier. Qu’est-ce qu’elle va me sortir ? Où je vais devoir courir pour la satisfaire ?
—C’est sur un période de cinq jours. Le repas est compris.
—Ça me fait les pieds qu’il soit compris.
Elle sort une feuille de son imprimante et me la tends. Je la prends avec une certaine réticence car la femme se sent obligé de me dire combien les personnes qui ont participé à cette presta étaient enchantées. Matière à rire.
—Et ça se trouve où ?
—Au centre-ville. Derrière la faculté de droit. C’est à côté.
À côté ? Sachant que j’habite dans les hauteurs des quatre chemins des routes. Est-ce que le 3 m’y conduira ou devrais-je prendre deux bus ?
—Le prochain module commence le lundi 24 janvier. Ça vous ira ? Je ne vous inscris pas. D’abord vous aurez un rendez-vous avec la formatrice. On dit le mercredi 19 janvier à 14 heures ?
T’es déjà en train de taper le rendez-vous et déjà en train de me sortir une feuille avec l’adresse, tu veux vraiment mon avis ? Aide-moi à devenir romancier et à gagner ma vie. C’est tout ce que j’attends de toi, moi. Mais tu ne m’aideras pas, parce que vouloir devenir romancier, c’est n’importe quoi. C’n’est qu’une passion stupide. Qui vie de ses droits d’auteurs ou de ses redevances ? Pas beaucoup… Seulement les élus. Pas les baltringues dans mon genre.
—Oui. Ce sera une expérience, me forcé-je à dire en canalisant mon désappointement.
Comme si je pouvais m’octroyer le droit de dire non.
Je déteste cette période. Décembre est toujours annonciatrice de malheur. Noël et ses cadeaux empoisonnés. Quand arrivera le jour où cette fête ne me filera pas d’urticaire ? Je rêve d’un Noël au bord d’un page avec des amis - que je n’ai pas de toute façon. Un Noël où j’offrirais des cadeaux potables et où je n’aurais pas besoin de regarder le moindre euro à dépenser comme si je me trouai les poches tout seul. Un Noël détente où je n’aurais cas sourire à la vie sans me préoccuper de demain. Parce qu’à la vérité, je passe mon temps à regarder demain. Et demain, n'existe pas encore. Je finis par perdre aujourd’hui et demain par terreur.
—Alors, c’est parfait. Si je puis vous conseiller d’accepter cette formation. Elle est très revalorisant pour son image pro. Depuis que je la propose, j’en ai entendu beaucoup de bien.
—Hum… Je verrais avec la formatrice. Je vous remercie.
La conseillère me donne la paperasse habituelle et me souhaite une bonne journée.
Je suis arrivé ici avec une boule au ventre, je repars avec du plomb sur toute la surface du corps. J’ai l’impression que je vais m’écraser. Encore un rendez-vous ! En serais-je un jour débarrassée ?
N’est-ce pas moi qui est un problème avec le monde ? Peut-être que je fais vraiment de la phobie-sociale ? Pas de là à dire que je suis devenu un hikikomori mais presque. C’est vrai, s’il n’y avait pas Bélynda pour me sortir le week-end ou le soir pour se faire un restau ou un cinéma, je serais de longue chez moi ou en patrouille dans les hauteurs, entre roche et bois. C’est à se demander ce qu’il s’est passé pour que je devienne comme ça ? L’école ne m’a pas suffisamment appris la vie. Quand j’en suis parti, j’étais juste plus perdu qu’avant. C’est con à dire, mais aujourd’hui je remarque que l’école ne m’a pas appris les véritable savoir. Ne serait-ce que tous ce qui touche à l’administration. Ecrire, lire, compter, se sociabiliser… c’est cool. Et puis quoi après ? Démerde-toi avec ça, c’est déjà bien.
Je souffle, fourre les mains dans mes poches. Le regard fixe devant moi. Le bonnet visé sur la tête.
En fait, c’est moi le problème. J’aurais beau incriminer le monde, l’éducation, la société, j’n’en resterais pas en meilleur forme. Mon moral sera toujours dans mes chaussettes et peut-être dans les galeries d’une taupe. C’est moi, le stupide qui ne capte pas comment fonctionne la vie. Mieux, je ne sais pas m’intégrer. J’suis un ramassis de merde qui rêve comme un gosse. Ce que je donnerais pour ne plus jamais rêver. Ce que je donnerai pour qu’on m’ampute de mes pensées. Devenir une machine. Elles ne pensent pas, alors elles n’ont pas de souci. Pas d’insomnie. Pas d’angoisse… Stress, anxiété ! ça n’existe pas pour elles.
J’marche dans la rue. Nombreux sont les automobilistes à jouer du klaxonne sur la route. Le bruit. L’agitation. Les odeurs. Je me sens mal. J’ai envie de retrouver ma tranquillité, mes lignes si j’arrive à écrire. C’est compliqué en ce moment. Les refus pour « Le chausseur de Dames » sont encore très présents dans ma conscience. Je n’sais plus trop où aller avec ce texte. Je n’sais plus à qui le proposer, comment le retravailler. C’est que la dernière version me plait énormément. J’y ai mis tellement de temps, tellement d’espoir, tellement de tout.
Pourquoi ça doit être lui ? Pourquoi ça doit être à ce texte de tombe dans l’oubli, de finir dans le tiroir ? Le chausseur de Dames n’est pas juste un récit, juste un hobbit, il a un lien direct avec une de mes vies antérieures. Une vie où je sais que j’étais autrice. Une femme avec des enfants, avec une amante. Une femme coincée derrière son bureau dans une chambre de bonne à pleurer sur ce roman. Jeanne. Seul son nom et cette vision d’elle m’est parvenu dans un rêve éveillé. Un rêve que j’ai fait, il y a peu. Quelques mois. Juste après avoir reçu une lettre de refus. C’est pour dire combien il me tient à cœur, combien de montagnes je soulèverai pour le voir naître. Je serais prêt à mettre la France à feu et à sang pour le voir trôner dans chaque main.
La route qui mène jusqu’à chez moi ma parait monstrueusement longue. Le chemin semble s’allonger à mesure que mes semelles frottent le bitume.
Assis sur la chaise de mon bureau, je m’entête à écrire une ligne. Je la recommence sept fois, sans parvenir à l’achever. Mon dos vient se poser sur le dossier. La tête chavire. Les yeux se collent au plafond. Le vide intersidéral ! Du blanc. Il y a des rubans infinis de blancs. Comme si une tierce personne avait entièrement reconfigurer mon esprit et que je ne suis désormais plus qu’un être vierge d’idées. Cette impression de vide, de rien, m’effraie. Je ferme les paupières, cache mon visage dans mes mains. Une envie de crier m’assommes l’âme. Mais ma voix reste coincée dans la gorge.
Personne pour me distraire, même pas une série. J’ai goût à rien et il est quatre heures.
Une grande fatigue s’invite. J’essaie de la digérer. Rien à faire, elle persiste.
J’mets une musique douce, d’ambiance et quitte ma chaise pour mon lit. Mon pantalon vole dans la chambre encore taché de l’adolescence, et m’emmitoufle de mes couvertures. Le temps est gris, pas besoin de fermer les volets. Tout mon corps se détend. On dirait que je flotte au-dessus des vents et des marées.
Je finis par me réveiller à vingt-heure. Quand ma mère me demande ce que je vais faire à manger.
Pas envie de décamper du lit, de la chaleur réconfortante. Seulement, je me conforme aux règles que j’ai instauré, aux croyances dont j’ai affublé mon existence.
Faire à manger, balayer, m’occuper de la maison et des habitant qui y logent, c’est mon taf. Le seul et l’unique. Celui qui me garantit d’avoir un toit sur la tête, de l’eau pour me laver et une assiette pour le dîner et deux adorables chiens pour une quantité non négligeable d’amour.
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