3- L'angoisse du soir

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Un mois que je pense à demain. Un mois que je m’ulcère l’esprit à me demander pourquoi je dois faire cette prestation, ce qu’elle va m’apporter comme inconvénient. Moins de balades à la colline ; seul endroit où je me sens libre, clair, bien. Moins de temps pour Léontine et Larson. Vont-ils bien manger pendant mon absence ? Et la maison ? Comment vais-je la retrouver ? Mes mains tremblent toutes seules d’appréhensions. Fait chier !

Je crois que j’ai peur de ce que je ne contrôle pas. C’est un véritable problème avec mon insécurité financière et ma dépendance aux autres. Je rêve du jour où me lever sera aussi simple que dire bonjour. Je désire un soir où me coucher ne sera plus éprouvant endigué par mille questions.

Tourne, vire. J’ai chaud. Je transpire. J’ai froid. Je ne sais plus comment me mettre dans ce lit devenu trop étroit. Je me ratatine sous mes draps devant la présence de mes insécurités.

Mon cœur s’emballe. Il ne lésine pas sur la violence des coups donnés sous mon thorax. À croire qu’il attend que mes os se fissurent et que ma peau s’effrite pour se barrer. Je peux comprendre son envie de déguerpir. Il gère mal la pression, ça finit toujours par des pellicules dans les cheveux et des boutons sur le menton. Plus il stress, plus les pustules poussent. Le printemps qui se grave à même la peau alors qui fait moins quinze dehors. Les bourgeons se moquent de l’hiver. La magie de la flippe ! Un sport dans lequel j’excelle. J’pourrais être médaillé olympique et rapporter au pays l’or. S’il y a un chèque de 10 000 euros à la clé, je signe de suite.

J’tourne, j’vire. Les draps s’entortillent à mes membres. Pas moyen de fermer les yeux. Ah ! J’vais avoir une bonne tête demain ! Façon zombi mangeur de cul…

Une œillade vers mon réveil qui affiche une heure trente-et-une du matin, et je reprends mon footing horizontal. On est déjà demain. Super !

Allez, respire mec. C’est juste un putain de mauvais moment à passer. Tu retrouveras tes habitudes.

Je tâte le sol, attrape mon portable et me mets un peu de musique. Pop-Thaïlandaise. J’fais une fixette sur la voix d’un chanteur : Mew Suppasit. C’est mignon et réconfortant, ça donne envie de se détendre et de faire des cercles avec la pipe du voisin. Bien qu’à cette heure-ci, le vieux doit dormir. Le titre me fait penser à mon humeur : Nan na. Je le remplace par : NON, NO ! Mais j’avoue que je ne bite que dalle à la chanson. M’en fou ! Le rythme me donne la banane.

La tête sous l’oreiller, je ne parviens toujours pas à trouver le sommeil. Je pense fort à l'asphyxie, mais j’arrive encore à respirer.

Mes pieds font du tamtam sur le matelas. Saoulée par mon agitation nocturne, Léontine décide de prendre la porte de la chambre. Ses griffes martèlent le carrelage. Ça fera plus de place dans le lit. Y’en a marche de dormir en diagonal !

Soupir après soupir, je fixe une tache grise au plafond. Les nuances de noirs m’apprennent que j’aurais pu être un chat. Je distingue tout dans la chambre, même l’insomnie elle-même. Une grande amie avec la déprime et l’angoisse. Sans doute mes meilleures amies pour la vie à vrai dire. L’insomnie me regarde comme un être à la dérive. On dirait qu’elle a pitié de moi et en même temps, elle semble se moquer de mon sort. Elle fait juste son boulot en gangrénant ma cervelle de pensées néfastes. J’abandonne l’idée de dormir. De toute façon le feu qui s’éveille à chaque seconde dans ma poitrine est mauvais signe. Si je reste allongé dans le noir à broder des idées sombres, je vais finir par faire une crise de panique.

La chambre s’éclaire. J’vire les couvertures et me sors du lit. Glisser serrait le mot exact en fait. Comme une larve sans grande énergie, je me traîne jusqu’à la bibliothèque. Je me pose sur les coussins des chiens et viens faire jouer mes doigts sur le dos des livres. Pas l’habitude de lire un bouquin deux fois, alors je lorgne mes mangas. Je tire sur le premier tome de God Child de Kaori Yuki. Je feuillette plus que je ne lis. Je passe au second, puis au troisième, jusqu’à terminer la série. Je poursuis avec Ludwig 21 de la même mangaka. Les dessins me parlent. Ils sont canons. J’en prends plein les yeux. J’aurais voulu savoir dessiner. Mieux que je ne le fais déjà. Je n’arrive pas à décalquer ce que j’ai en tête. Ma pensée et ma main ne s’harmonisent pas. Ça finit toujours par me décevoir.

Je ne parviens toujours pas à trouver le sommeil, alors je jette mon dévolu sur mes recueils de contes. Ceux reliés et dont les pages jaunies sentent le renfermées. Les frères Grimm me narrent trois contes avant que je les abandonne pour les nouveaux contes de fées de la comtesse de Ségur. Je finis avec un livre collector de la colline aux coquelicots tiré du film d’animation des studios Ghibli. Avant la fin, une silhouette sur ma chaise de bureau m’interpelle.

— T’es là, toi ? Qu’est-ce tu viens foutre ici ? J’croyais t’avoir dit que j’voulais plus te voir avant que tu sois décidé à m’aider.

— Je ne serais jamais loin de toi, Léandre. Tu es l’un des humains que je protège.

— T’es même pas fichu d’ouvrir mon esprit qu’est-ce que tu veux me protéger ? J’préfère que tu partes, si c’est pour me servir du préchauffé comme tu le fais depuis déjà trop longtemps.

— Je suis là parce que tu m’as appelé. Regarde-toi ? Les yeux rouges, les paupières lourdes. Tu es épuisé, mais tu résistes.

Je ferme le livre, serre les couvertures.

— Pas moi qui résiste. Mais ça tu le sais déjà. C’est la peur et les appréhensions qui me laissent dans cet état. Je ne demande pas mieux que dormir. Et de ne pas me réveiller…J’peux t’assurer que j’n’t’ai pas appelé. Tu me déçois beaucoup trop pour avoir envie de te parler. Tu me chantes tes belles promesses. J’y crois, puis j’me prends une massue sur le coin de la tronche. Ça va bien de me prendre pour un salsifis.

—Tu es impatient et tu ne vois pas que les lignes bougent. Laisse-moi te guider et tu verras que ce que je t’ai promis arrivera.

— Quand ? Lorsque mes cheveux deviendront blancs, que j’n’tiendrais plus sur mes jambes et qu’en fait, j’ne serais plus capable de grand-chose ? Ariel, t’as beau être un ange gardien, t’n’es pas une source de vérité.

— Que suis-je alors si je ne suis pas vérité ?

—Va savoir ? J’y arrive plus. Ça fait plus d’un an que je patiente. Rien ne vient. Si ! Les désillusions. Elles, elles ne se font pas prier pour rappliquer. J’aimerais te croire Ariel. Vraiment ? Mais j’n’m’en sens plus la force. J’en ai marre d’avoir mal.

Ariel soupire. Ses cheveux bruns dévalant sur ses épaules, sur ses cuisses enfermées d’une tunique crème, serpentent jusqu’au sol. Ils poussent, se faufilent vers ma main que je retire.

— N’essaie pas de m’avoir aux sentiments et retourne protéger un autre bouffon que moi.

— Ne dis pas ça de toi, Léandre. Tu es tellement. Si je pouvais t’en convaincre. Si seulement tu pouvais voir la lumière qui brille dans tes ténèbres. Elle est comme un soleil vert. Ses rayons sont des branches, des feuilles, tu pourrais accueillir tellement de personnes. Tu pourrais faire tant de bien.

— De bien ? Et moi dans l’histoire ? Qui me fait du bien ? Dois-je souffrir pour que d’autres rient ? C’est ça que tu veux m’expliquer ?

— Non. Cesse de déformer mes paroles. Je veux dire que tu as un destin formidable. Un chemin de vie peu commun.

— Peu commun… C’est clair ! Ariel, sois gentil et prends une seconde pour me regarder. Pas la lumière dans les ténèbres, mais les ténèbres dans la lumière. Je pourrai faire le mal pour parvenir à mes fins.

— Tu ne le feras pas. Tu en es incapable. Parce que tu es justice.

— Balivernes ! Je suis un homme fatigué, qui ne sait pas quand il verra la récolte de son labeur. Pourquoi je dois essuyer échec sur échec. J’voudrais comprendre. Est-ce que je ne fais pas le nécessaire pour sortir la tête de l’eau ?

— Tu fournis des efforts, et tu seras récompensé. En temps voulu.

— Bien évidemment. En temps voulu. Mais voilà, le temps ne veut jamais et moi je m’assèche de patience. Je suis de nature impatiente. Qu’est-ce que l’univers attend de moi, que je pète les plombs ?

— Tu es toujours insatisfait de ta chance ! Tu as été édité à deux reprises. Tu as signé cinq contrats d’édition. Tu as…

Je me lève furibond, mords mes lèvres pour ne pas hurler.

— Cinq contrats ? Hein. Trois qui m’ont rendu mes droits d’auteurs avant même qu’on commence le travail éditorial, une maison d’édition qui me la mit profonde et la dernière qui juge que mon récit ne rencontrera jamais le succès et qui préfère arrêter la distribution. C’est ça mes chances ?!

— Sais-tu combien n’ont pas cette chance ?

Mes poings se serrent d’eux-mêmes. J’ai envie de tout casser, mais je ravale ma rage, la laisse bouillir dans mes entrailles. Les cloisons de la maison sont fines. Pas envie de passer pour un fou à causer seul dans ma chambre. J’me vois pas dire à mes parents : Oh, j’parlais avec mon ange gardien, n’vous bilez pas, parfois on hausse la voix.

—Tu voudrais que je m’en satisfasse ? Même pas en rêve. Tu pourrais me dire n’importe quoi, ça n’apaisera pas le feu qui conçûmes tout en moi. Ne prends pas mon chagrin pour des jérémiades. La douleur vive, elle me broie nuit après nuit.

— Excuse-moi, je n’aurais pas dû. Je suis allé trop loin. Je veux seulement que tu comprennes que tu as de grandes choses à faire dans l’avenir, que tu pourras écrire. Cependant, il y a des règles et des étapes pour accéder à ce que tu attends toi de la vie. Tes blessures sont là pour une raison. Elles existent pour de nombreuses raisons qu’un jour tu comprendras.

—M’en fiche. Ça ne m’intéresse pas. Tout ce que je vois, c’est combien je m’sens comme de la merde. Bon courage pour me faire croire le contraire. J’ne te faciliterai pas la tâche, sois-en sûr.

Ariel prend sa mine affectée. Ses yeux gris cherchent à ouvrir une porte de compréhension dans mon esprit, mais je me bute à le contrer.

— Tu n’auras qu’à glisser un rêve prémonitoire dans ma cervelle de baltringue.

— Un jour, je saurais t’apaiser. Je saurais te montrer le reflet de ton toi véritable.

— Tu n’as jamais su me faire accepter qui je suis… À croire que les miracles n’existent pas. J’vais me coucher. Au moins, tu auras trouvé la solution pour me donner envie de dormir. Bonne nuit, Ariel. Espérons que tu es plus de chance avec tes autres protégés.

Iel se dresse. Sa tête touche le plafond, ses épaules se voûtent. Mon ange est si grand. Sont-ils tous aussi encombrants ou est-ce le mien qui veut me montrer sa grandeur ?

Iel tente de poser sa main sur ma tête et d’en ébouriffer ma crinière qui cascade jusqu’à mes omoplates. D’un mouvement leste, je le contre.

— Ne me touche pas. J’aurais encore l’impression de goûter à tes mensonges.

— Les anges ne mentent pas.

— Oui, mais les hommes qui parlent à des supposés anges eux, ils se mentent.

—Tu penses que je ne suis qu’élucubration ? Combien de fois l’as-tu pensé et combien de fois es-tu revenu ?

— Ça ne veut pas dire pour autant que ce soit la vérité. Avoue que c’est original un athée qui croit en un ange ?

— Je ne suis qu’un oiseau une fois hors de ta vision.

— Et ton Dieu ?

— Qu’un extraterrestre … Qu’un être dans un autre plan.

— Hum… Chacun ses délires.

Je n’attends plus et m’enfuis au fond de mes couvertures. Ariel reste encore un peu. Il flotte au-dessus du lit.

Je sens ses doigts composés de lumières balayer ma frange, celle qui cache mes yeux et une partie de mon visage.

Avant de m’endormir, j’entends la voix d’Ariel.

—Tout ira bien, je te le promets. Tu es fort.

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