4- Premier contact
Se lever à 6 heures du mat pour pouvoir promener ses dogs, une histoire assez drôle quand je regarde ma tête de cageot dans la vitre du bus. En plus, j’ai seulement fait le tour du quartier. Marrant de promener le matin, il fait encore noir et le froid de l’hiver gel les doigts. Ça reste un moment agréable, quand Léontine ne tire pas sur la laisse pour me déboîter l’épaule. Hum… à vrai dire, c’est chouette de se retrouver seul dans les rues, pas une voiture, pas un ombre humain. Le silence. Tout est silence, même les branche frémissant sous la brise. Il y a quelque chose de réconfortant dans ce tableau nocturne. Je pourrai crier que je suis le roi du monde, personne ne viendrait me contredire. Et c’est cet aspect de la solitude que j’aime en sortant mes chiens dans le quartier. Il n’y a pas une once de terreur, pas de problème, pas d’obligation. À croire que rien n’existe à par moi et eux. Cette sensation que rien ne me fera défaut, que tout sera impeccable pour l’éternité. J’aimerais que le temps s’arrête et qu’à jamais le noir qui baigne le monde à six heures du matin perdure. Pas de rayon de soleil qui contraint de refermer les murailles de mon cœur.
Dans le ciel l’aube est déjà un lointain souvenir. Le bus est bondé. Il est huit heures du mat et des gamins partout. Ça sent le shampoing et la transpiration, la cigarette et le biscuit aux chocolat. On se croirait chez un parfumeur. Et franchement, ça me déplait. Les odeurs enferment mon crâne dans des migraines monstres.
Je monte mon écharpe sur mon nez, me tourne un poil plus vers la vitre et sors de mon sac un carnet et un crayon. Oui, parce que la prestation ne dure pas moins de huit heures par jour. Je sais qu’en rentrant chez moi, je n’aurais pas la force d’écrire, alors, je me suis rendu à l’évidence : j’écrirai dans le bus.
Sagement et emmitouflé dans ma doudoune, je commence à griffonner un dialogue entrecoupé de phrases qui viennent modeler le lieu et les émotions des personnages. L’univers me happe comme il le fait depuis le premier jour om nous nous sommes rencontrés. J’ai encore du mal à croire que je l’ai commencé le 14 janvier et qu’il file comme un rien sur le papier virtuel. En une semaine, je me retrouve avec cinq chapitres qui font en tout plus de vingt mille mots. Je n’ai jamais été aussi productif depuis que jamais et surtout pas avec une revisite de conte. Ça m’étonne presque de moi. Entre ce texte et moi, il y a une frénésie, un mouvement de l’âme qui a besoin de parler, d’ouvrir le champ vers le réel. Ce récit est un exutoire à toutes mes déceptions. En fait, si je suis tellement motivé c’est parce que je sais de quoi je parle. Je sais ce que je mets dans cette œuvre et je sais comment l’agrémenter.
La presta va à coup sûre détruire mon rythme. J’ai peur de lâcher l’histoire par manque de temps, peur de m’abandonner à un sort d’inachevé.
Le crayon vient poser les mots qui se suivent sans véritable effort, puis avant mon arrêt, le bruit ambiant bouscule la danse que j’opère avec mes méninges. Je bloque, râle intérieurement. Faut absolument que je me réhabitue au bruit.
Devant le bâtiment de la presta, je soupire et dans la foulée, sourie à un chien, un malinois. Il me fait une léchouille sur la main. Sa patronne s’excuse, je lui fais comprendre que ça ne me gêne pas, et j’ébouriffe les poils du chien.
Allez, maintenant, on y va. Plus le choix.
Le technicien de surface ouvre la porte, j’entre après lui, découvre un couloir composé de miroir. Genre, si tu ne peux pas te voir en peinture, bah t’es mal barré. Y’en a même au plafond. Manquerait plus que les carreaux des escaliers poncés pour voir son reflet.
Je lorgne l’ascenseur, n’y monte pas. Trop les pétoches pour m’y risquer.
Un peu de sport ne me fera pas de mal.
L’ascension se fait dans un silence de mort. D’ailleurs, en zieutant autour de moi, je me demande si je ne vais pas finir dans une veillée funèbre. Les grands halls des étages sont méga sombres, complétement vide, froid… Vachement rassurant, en fait.
Je me glisse derrière une porte. Un mini escalier devant moi, un autre sur ma gauche, et un ascenseur entre les deux. Toujours personne. La montre en visuelle, je remarque que j’suis un peu en avance. Ok. Je me pose sur une marche, ressors mon carnet et continue d’écrire. Mon personnage, Tarlatone, se prend d’une subite envie de crier et de frapper le vide. La pluie dégringole sur lui, ses vêtements. Il se bat avec lui-même, insulte l’univers et tous les tracas de sa vie, quand la porte du petit hall s’ouvre, sur deux hommes, d’un âge approchant la cinquantaine. Je me décale, les laisse passer. L’un deux, le plus grisonnant, se penche sur moi.
—Alors, jeune-homme, on n’a pas fait ses devoirs ?
J’t’en pose des questions ? ai-je envie de lui lancer.
Je souris poliment en virant mon sac du milieu et en le calant entre mes jambes.
—Un peu vieux pour finir mes devoirs, mais ç’aurait pu.
—Tu fais la prestation chez Diriane ou chez Parpantin.
Il veut devenir mon pote ou quoi ? Qu’est-ce qu’il me tutoie. On se connait ?
—Diriane.
—Ok, je vois. On se verra souvent alors. Moi, c’est Jean-Luc Letrouvé. On me trouve toujours.
Ah ! J’ai affaire à un rigolo. Ça promet. Je sens la lourdeur ou peut-être l’ennui à être qui il est. On va dire qu’il est sociable et moi, pas d’humeur. Espérons qu’il ne soit pas dans le groupe.
Après lui, cinq autres personnes, toutes de la même tranche d’âge. J’en viens à me demander si je serais le seul jeune dans l’histoire. Ils paraissent déjà ce connaître. J’comprends pas pourquoi. Puis j’me vois arriver un jeune homme tout en joie, le sourire aux lèvres, la voix portée haut, les yeux écarquillés d’un bonheur que je n’arrive pas à déterminer. Il me salut dans une gesticulation très mouvementé, me fait un peu peur au passage. C’est quoi cette énergumène ? Pourquoi tant d’éclat de si bon matin, il a bouffé quoi au petit-déj ?
Je lui souris, remets mon masque.
Il s’approche de moi, se présente sans que je n’aie chercher à le connaître.
—Salut, moi, c’est Gontran. C’est bien ici, la presta Diriane ? Non parce que je me suis un peu paumé en arrivant. J’ai monté un étage en trop. En plus j’ai cru que j’étais en retard, mais en fait pas du tout. Je me suis mi la pression. Fait un peu chaud là, non ?
Hum… Gontran donc. Particulier, très sonores, mais il m’a l’air d’un chic type, bien que je discerne un malaise. Pourquoi accapare-t-il autant d’espace ? Et pourquoi me raconte-t-il sa vie ? Est-ce que c’est moi le problème ? Est-ce si facile que ça à m’aborder ?
Je n’ai pas le temps de lui répondre que la porte s’ouvre sur une dame la soixantaine cheveux auburn tressés, avec sa cigarette électronique à la main. Elle est en compagnie d’un blond, un peu enrobé, une veste vert forêt. Il sourit poliment. Lui aussi est en mode scrutation, il ne s’attend pas au rayonnement de Gontran qui d’un sursaut de voix salut les nouveaux arrivant. Pas une. Pas deux. Gontran attire tous les yeux et la sympathie. Je reste un peu à l’écart, observe la scène.
La porte s’ouvre à nouveau. Un homme très sérieux hoche la tête, une femme derrière lui qui semble s’être levé en catastrophe. Ils se dirigent vers l’escalier du bas, ouvre une seconde porte. Ils nous invitent à entrer, s’excusent de leur retard. Chose rare semble-t-il.
Gontran les excuse avec un rire décadent. Il me pette un tympan au passage. Vais-je devenir sourd avant la fin de la prestation ? Durée 5 jours, plus trois modules. Donc huit jours…
Le blond me jette un petit regard interrogateur, genre : C’est qui ce type ? Pour toute réponse je hausse les sourcils.
D’un même pas, on découvre le lieu de la presta. Ça n’a pas changé depuis la semaine dernière. Quand j’ai eu mon rendez-vous avec l’animatrice. D’ailleurs, celle-ci nous attend dans une salle au fond. Elle fait de grands signes. J’ai l’impression d’être en colo. Peut-être que j’ai mal jugé la chose. Pourquoi ai-je la sensation que je vais passer mon temps à rire ?
La pièce est relativement petite, mais chaleureux. Les murs orange vif sont noyé sous les posters et les fresques colorés. J’entre le premier, contemple la salle entourée de fauteuils où une table basse est au centre. Des assiettes de biscuits sur celle-ci. Un goûter ? ça tombe bien, je n’ai pas réussi à manger ce matin. M’amadouer avec de la bouffe n’est pas une chose dénuée de sens.
Je jette mon dévolu sur un siège prêt de la fenêtre, là où j’aurais accès aux rayons du soleil, à ma part de liberté. Un tableau sur la gauche au canapé rococo sur la droite, en face, le blond, Gontran et la soixantenaire. Les autres ne sont pas encore arrivés. L’animatrice fait son One woman show. On ne peut pas nier qu’elle pète la forme. Elle me fait marrer intérieurement avec ses macarons sur la tête et ses yeux vert pétillant de joie à partager. Elle a reçu une bonne nouvelle ? Ou c’est son état de base ? Ne risque pas de s’ennuyer avec elle.
Trois femmes se suivent, un homme qui me paraît vachement réservé, habillé tout de gris. Son visage porte la marque de la tristesse ou bien du détachement. J’ai un peu de mal à décoder avec ses cheveux qui mange son visage. Il aurait pu mettre une barrette qu’on voit à quoi il ressemble. On dirait un rideau qui lui tombe sur le museau. Même moi, j’ai fait l’effort d’attacher ma tignasse. Un demi-chignon, façon samouraï en exil. Je suis la progression d’une femme très mince, cheveux très courts. Elle, je la sens méga stressé, sujette aux angoisses. Anxiété… Y’a un truc qui doit grave déconner dans sa vie. Ça se ressent à dix kilomètres. Je pose mon attention sur celle qui s’assoie dans le canapé à côté de moi. On dirait une jeune femme qui s’est laissé débordé par un ou deux accouchements. Elle est forte, ses cheveux lui courent jusqu’aux fesses. Ils sont d’un brun clair, presque cendre avec des reflet caramel clair. Sa sympathie se lit sur son visage joufflu et dans ses yeux brun maquillé d’un très rose pailleté.
Je fini par analyser la dernière femme qui s’est assise à côté du gars-rideau. Elle porte un tenu sportif qui lui sille à la perfection. Une coach sportive que ça ne m’étonnerait pas. Elle doit avoir la cinquantaine à tout cassé, très maquillé, peut-être pour cacher une blessure que je ne distingue qu’à peine.
Bon, j’ai fait le tour de la pièce. Je suis le seul avec le masque, jusqu’au moment où l’animatrice met le sien.
—Je vous le dis tout de suite, je n’aime pas ne pas voir vos visages, mais nous sommes dans un endroit assez étroit, nous somme neuf, donc il faudra le porter. J’ouvrirai la fenêtre le plus de fois possible aussi. Sinon, moi, c’est Candyce. Je serais votre animatrice pour la semaine et j’espère que nous progresserons ensemble.
Sa voix est étrangement entrainante. Je persiste à me dire que je suis en colonie de vacances. Finalement, ne se sera peut-être pas si mal.
—Alors avant qu’on se présente, et tout, et tout. On va commencer par un petit jeu qui va poser les bases d’une chose essentielle : l’identité et le paraître. Donc, je vais vous couplet, en plus c’est parfait vous êtes un chiffre pair. Je ne sais pas pourquoi mais je sens de bonnes ondes qui sorte de votre groupe. Alors, toi avec toi.
Elle me pointe du doigt, ainsi que la femme à la tresse. La soixantenaire. Puis elle met en couple Gontran et le blond, qui en le regardant me dit quelque chose sans pour autant en être sûr. J’ai la sensation de l’avoir déjà rencontré mais n’en est pas la certitude. Il y a quelque chose qui m’interpelle chez lui. Ses boucles blondes ? Ses tâches de rousseurs ? Ses yeux marron glacé ? Ou ses immenses cils ? Peut-être n’est-ce que son style… Les piercings à ses oreilles, les tatouages dans son cou ? Une chouette, sur le côté, le symbole de Métatron au centre et une créature marine de l’autre côté. Je n’en distingue pas plus derrière son châle qui tombe sur un polo noir.
J’essaie de décrocher mon regard de lui, y parviens et rejoins la femme à la tresse sous la demande de Candyce de se répartir dans le local afin qu’on fasse connaissance dans le silence. La consigne deviner qui est notre partenaire sans lui parler, juste en le regardant. Un exercice qui me convient parfaitement. J’aime scruter jusqu’à rendre l’autre mal à l’aise. Un petit vice, comme j’en ai des tonnes. Sur la table centrale, près de l’entrée du local, je m’assois à côté de miss tresse et commence à la regarder. Elle fait pareil, jusqu’à me parler et finalement se rattraper. En silence. Voilà de quoi je suis capable en regardant à peine quelqu’un. Il vient spontanément me parler, comme si mes yeux lui avaient crier dit moi tout de toi. Ce qui n’est clairement pas le cas. Moins j’ai d’échange mieux je me porte.
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