6- Un pause, un exercice et première approche

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Les groupes dans le groupe se forment sans pour autant se figer. Clarice et moi sommes les premiers à être sortie. On se colle sur un muré. Elle vapotte, je ferme les yeux le visage levé vers le soleil et sa chaleur. J’n’ai pas eu ma dose de ses rayons, et ça me manque un peu. La colline, ma promenade… Les chiens. J’y songe en écoutant Clarice répondre au téléphone. Elle parle avec un homme, semble un poil agacé. Elle raccroche, soupire, vapotte.

Je sens dans son regard l’envie de me partager son problème alors je lui ouvre la voie.

—Un souci ?

—Oh ! Ne m’en parle pas. J’ai eu une fuite d’eau il y a deux jours. Le plombier est à la maison pour arranger la tuyauterie, mais il parait à coté de ses pompes selon mon amie. À cause de la presta, j’ai dû lui demander son aide. Heureusement qu’elle était là. Sinon, j’étais mal. Mais franchement, entre nous.

Elle s’approche de moi, baissant la voix comme peureuse qu’on l’entende.

—Ça va nous servir à quoi cette prestation ? J’ai soixante-quatre ans, dans un an je suis retraitée. C’est n’importe quoi.

—Je ne serais pas dire. Ça reste confus dans ma tête. J’suis pas méga emballer, mais on ne peut pas nier que l’ambiance est bonne, donc, on verra bien. J’n’attends pas de grand changement dans ma vie de toute façon. J’y crois plus depuis un moment, maintenant.

Clarice hoche la tête sans me servir les mots polis habituels, du genre : Il ne faut pas dire ça, t’es encore jeune, t’as le temps. Et c’n’est pas plus mal. Ça me saoule. Ça ne fait rien avancer, et ça donne un espoir feint.

Les dix minutes passent vite. Je vois Candyce me faire coucou par la fenêtre. L’expression sur son visage m’invite à ramener tout le monde en haut. Je préviens les autres. Clarice est à ma suite. Gontran s’est lancé dans une discussion avec Corentin qui ne semble pas bien comprendre ce que le brun cherche à lui dire. Ils suivent tous le pas.

Je passe devant Eronne. Il mate son portable. Ses boucles blondes ont des reflets doré intense. Ça m’éblouie un peu. Je me sors l’idée de passer ma main à l’intérieure et trace jusqu’au local, puis pose mon postérieur sur mon fauteuil. Installé en tailleur, je remets le masque que j’ai enlevé en enfournant un biscuit à l’abricot.

Candyce met en route son ordinateur sans parvenir à accéder à son power point, donc pas une, pas deux, elle attrape le tableau à côté de moi et dessine un triangle avec plusieurs cases.

—Dans la vie, on est tous motivé par quelque chose et c’est ce qui fait qu’on avance. On va donc se pencher là-dessus. Est-ce que quelqu’un connait la pyramide de Maslow ?

Je hausse les sourcils, me tourne vers l’assemblé. Tout le monde se regarde, jusqu’à ce que Gontran secoue la main.

—C’est une théorie qui hiérarchise les besoins. Plus on monte en niveau, plus la motivation est importante. En fait, on ne peut avancer que si nos besoins primaire, genre manger par exemple est assouvie. Delà, on peut monter d’un étage. J’ai appris ça quand j’étais professeur de Pilate. Un gars sympa qui avait besoin de parler me l’a dit. Il était très cultivé, il venait toujours en cours avec une nouveauté. Puis du jour au lendemain, on l’a plus vu.

Il s’égard encore dans son bla-bla.

—Ok. C’est ça. En fait, si vous n’avez pas les bases, vous ne pouvez pas monter. La pyramide se présente comme ça. En bas vous avez les besoins dit psychologiques : air, nourriture, chaleur… Au-dessus vous avez les besoins de sécurité : psychologique, économique, physique… Encore en haut, vous retrouverez les besoins sociaux, partage, appartenance à un groupe, intégration… Ensuite, vous aurez les besoins de reconnaissance qui seront l’estime de soi et la considération d’autrui. Et bien sûr, au sommet vous avez les besoins de réalisation de soi qui comportent le développement personnel, la créativité…

Elle note tous sur le tableau, nous ne montrons point à point les différences.

—Si on n’est pas rassuré sur les bases, on ne peut pas accéder à sa réalisation. Donc, je vais vous faire passer un nouvel exercice pour que vous prenez conscience de vos besoins et de vos motivations.

Elle nous file les feuilles, commence à expliquer en grande lignes ce que nous devons faire. Entre autres cocher seize motifs de satisfaction au travail sur les trente-sept proposé qui nous nous importeraient le plus à l’heure actuelle.

On jet tous notre regard sur la feuille. Le silence s’éveille. Candyce s’installe devant son pc la main collée au front dans une attitude de relax qui ne va pas avec son expression d’exaspération. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à mettre son power point ? semble-t-elle hurler dans son esprit. Je la regarde un petit moment galérer puis tombe la tête sur l’exercice, quand deux secondes plus tard, j’entends un mouvement de joie. Candyce s’agite sur sa chaise conquérante devant son power point qu’elle va pouvoir basculer sur la télévision pour nous faire cours.

Eronne s’amuse de la voir danser de joie. Ses yeux sourient et c’est canon. Incapable de m’en défaire, je le fixe sans qu’il ne s’en aperçoit. Ma poitrine brûle d’un étrange sentiment. Pourquoi tant de fascination pour un gars rencontré y a même pas deux heures et demies.

Je secoue ma touffe et reviens sur les lignes numérotées. Je commence à cocher.

1 Un supérieur qui reconnait mon mérite

2 Sécurité de l’emploi

3 Liberté dans le travail

4 Possibilité de choisir mes horaires de travail

5 Possibilité de mettre en pratique mes idées

Je continue de cocher dans un ordre qui me parait anarchique. Au bout du dixième, je commence à me tâter entre les motivations restantes. Elles ne me convainquent pas. Mais faut que j’arrive à seize. Je finis par me dépatouiller comme je peux avec ce qui me semble le plus juste et en rapport avec mes idéaux. Une fois terminé, je passe à la suite. Sur une seconde feuille un triangle. La pyramide de Maslow. Des chiffres d’un côté, dans le désordre et groupé en trois parties. Ceux du bas enveloppe les besoins physiologiques et de sécurité. Celui du milieu, le besoin sociaux et de reconnaissance et le dernier les besoins de se réaliser. J’entoure les chiffres que j’ai choisi, ils sont dispatchés un peu partout. J’m’y retrouve à peine. Ça galère du côté de Corentin, Gisèle et Irène. Candyce va les voir, les aide l’un après l’autre. J’achève l’exercice, mate mon résultat. J’ai sept points sur besoin de sécurité et huit sur besoins de réalisation. Je remarque alors que j’ai un problème de taille. Parce que j’ai de la route à faire, jusqu’au sommet.

Candyce s’approche de moi.

—Tu as fini, Léandre ? Je peux voir ?

Je lui tends la feuille, un peu dépité.

Elle sourit avec dans le regard quelque chose de rassurant.

—Ne t’inquiète pas. J’avais compris lors de notre entretien que ce qui coinçait le plus chez toi, c’était le besoin de sécurité. Une fois acquit, tout ira bien.

J’aimerais juste la croire. Me dire que demain sera un nouveau jour et qu’un évènement impensable me promettra la sécurité financière. Mais en fait, je n’y crois pas.

J’acquiesce pour lui faire plaisir. Elle le devienne, ne dit rien et reprend sa place au-devant de la scène.

Après un tour de table rapide sur nos pensées face à nos résultats, l’heure est au repas du midi. Candyce met son power point sur pause et nous informe du programme pour l’après-midi.

—Pour finir, je dois vous dire qu’il faudra que vous concrétisiez un projet ensemble et qu’il faudra me le rendre à la fin de la semaine.

On écoute d’une oreille. Sheila, nous abandonne pour aller manger avec ses enfants. Iréne prend s’est affaire et disparait avec elle.

Candyce, Gontran et Eronne sortent à leur tour. Je vais faire un tour au pipi-room. Quand j’en sors, le repas est là dans de grands sacs en papier.

Gisèle me tend une boîte, un morceau de pain des couverts. Candyce nous demande de nous dispatcher, question du covid. On ne peut pas rester tous sur la table qui loge au milieu de la pièce centrale du locale.

Clarice et moi mangeons dans la salle de classe.

Incapable de me pencher pour chopper mes aliments sur la table basse, je décide de me mettre en tailleur, à la japonaise.

Clarice bavarde. Je l’écoute.

—Candyce est un drôle de personnage. Elle est très vive, avec beaucoup de pep’s. Mais je le redis, ça va servir à quoi tout ça ?

—On verra bien.

Je pique une carotte dans mon assiette. Dévore le poisson, qui est cuit comme je l’aime, à la vapeur. Les épices sont bonnes, comme la sauce à la crème. Je trempe ma carotte à l’intérieur et mange de grands bouchers.

—Bah, dis donc, tu es affamé, me fait remarquer Clarice.

—J’ai pas petit-déjeuner ce matin. J’ai dû mal à manger le matin, mise à par quand je suis en vacances et qu’on me propose des œufs brouillés et des saucisses. Sinon, j’suis un gros mangeur. Gourmand dans l’âme. Ça se voit aussi sur mes fesses. Y’a des vaguelettes de graisses.

Juste au moment où je dis ça, Candyce et Eronne entre dans la pièce. Ils me fixent. Clarice rit à ma décontracture. Un sourire à chacun et tout le monde explose de rire.

—Alors, toi, t’es nature peinture, me lance Candyce.

—Ça dépend. Mais ça m’arrive souvent d’être nature peinture. De plus en plus en vieillissant.

Eronne pince ses lèvres pour retenir son envie de rire à nouveau. C’est dommage parce qu’il a un très joli rire. Un peu comme sa voix d’ailleurs. C’est doux et chaleureux.

Il vient chercher un truc dans son sac, repart dans la salle centrale et continu à parler de façon animer avec Gontran dont la voix porte jusqu’aux étages supérieurs. Je suis sûr.

Gisèle s’active autour de la table, elle nous amène à Clarice et à moi notre désert. J’ai l’impression de voir une mère de famille en action. Elle regarde sa montre, comme si elle avait un rendez-vous après le repas.

Elle m’impressionne un peu. Je la sens froide et très professionnelle. Je ne sais pas si je serais capable de l’aborder pendant la semaine. Elle parait un peu stricte… Tout doit être carré avec elle, j’en suis certain.

Après l’avoir remercié, je plonge dans la dégustation de ma part de flan à la coco. Un régal. J’sens que je vais m’éclater la pense pendant cinq jours. Plus besoin de faire la bouffe et en plus je mange comme un prince.

Un petit tour aux toilettes et je retrouve la salle vide.

Ils ont dû descendre.

Candyce sort d’une des pièces, me sourit.

—Alors, tu as deviné qui était la personne dont je t’ai parlé pendant notre entretien.

—Je crois bien avoir une petite idée. Mais j’ai encore un doute. Peut-être que je juge, mais ce gars n’a pas l’air intéressé par le monde de la littérature. Il parait à dix bornes du sujet. Ce que j’veux dire, c’est que ça ne se voit pas sur son visage qu’il voulait être éditeur.

—Bah, va le voir et discute avec lui, tu verras bien où ça mènera. Ici, on tente des trucs qu’on ne tenterait pas en général. Juste ouvre-toi et tu remarqueras le changement. Tu auras une sensation de lenteur, mais il y aura une victoire à la fin. Je le dirai pendant la presta, je le dirai souvent, mais il faut se donner des opportunités. C’est quand tu es en action que ça bouge. Et parfois, ça ne tient qu’à un « Bonjour, à un inconnu ».

—C’n’pas faux. Après tout, je n’ai rien à perdre.

Candyce lève son pouce en me tapotant l’épaule. Je n’arrive pas à lui donner un âge. Je dirais quarante-cinq, vu qu’elle a dit avoir deux gosses, dont un au collège. Mais bon, ça serait porter un jugement d’y croire.

Je me pose dans la salle de classe, seul, quand Corentin entre à son tour et s’assoit dans son fauteuil. Gisèle a demandé une chaise, comme moi. On a peut-être des points communs elle et moi. Ça m’a fait sourire intérieurement.

Il se pose, les cheveux devant le visage. Silence radio. Pas un bruit. J’ai beau le regarder, je me dis qu’il est vraiment bizarre, pourtant, j’n’ai pas rêvé le roman dans sa pochette. C’est de la littérature générale. Pas sûr que le fantastique le transcende, mais autant se lancer.

—Salut, Corentin. Bien manger ?

Une approche avec des banalités… Ouais. Je passe ma main sur ma demi-queue, me demandant pourquoi j’ai commencé par ça.

—Ça… ça va. C’était b…bon.

C’est tout ? Il est balaise niveau conversation lui.

—Sinon, c’est bien toi qui est branché édition ?

—Edition ? Hein ? Euh… je… je ne comprends pas.

—Bah, t’as pas postulé pour être éditeur en maison d’édition.

—Non… pou… Pourquoi ?

—Ah ! Merde. Ce n’est pas toi ? Pardon, je croyais que c’était de toi que m’avait parlé Candyce. Que tu aimais bien les romans et que t’avais l’œil pour les perles, et que t’avais eu envie de travailler en ME. Ok… ce n’est pas toi alors. J’y ai cru à cause du livre dans ton porte folio.

—Ça ? dit-il en montrant le roman. C’est juste un livre que la voisine m’a prêté. Elle a dit qu’il était b…bien.

—Hum… Il m’a fait une phrase presque sans bégayer.

—Tu aimes lire, alors ?

—Pas vraiment.

—Ok… euh… c’est cool. T’as le droit.

Quoi dire à ça. Le gars lit un livre, mais n’aime pas vraiment lire. J’ai l’impression qu’il s’intéresse juste à la voisine, mais là encore pas envie de poser un jugement. Si ça se trouve, elle a quatre-vingts ans, et Corentin est juste un gars sympa qui veut rendre service ou qui ce n’est pas dire non. Qu’importe. Ce n’est pas lui. Finalement, mon instinct me l’avait affirmé depuis le début. Me suis fait avoir par un portefolio. Reste plus que… six autres personnes à analyser un peu mieux. Après tout, c’est peut-être une femme.

Quoi que ? Candyce a dit-il, tout à l’heure. Donc, j’ai deux choix qui s’annonce : Gontran et Eronne. Les deux ont presque le même âge, ont fait des tas de trucs. Ça pourrait être aussi bien, l’un que l’autre. J’me suis déjà fait avoir avec Corentin. Quitte à passer encore pour un bulot, j’interrogerai les deux bonhommes quand j’aurais l’occasion. Se méfier des idées reçus ou de nos propres croyances. Ça m’appartient de croire que l’un d’eux est plus comme-ça et que l’autre plus comme-ci.

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