10- Les savoirs-êtres pro

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Candyce péte la forme, comme la première fois que je l'ai vu. Elle inspire vraiment quelque chose d'agréable, de lumineux. 

 — J’espère que vous avez passé une bonne soirée et que vous pétez la forme aujourd’hui. Sheila, j’ai cru comprendre que tu ne serais pas la cette après-midi.

— Non, malheureusement, j’ai deux rendez-vous que je ne peux pas repousser.

— Pas de problème. Pas besoin d’en dire plus. Donc du coup, ce matin, on va commencer par les savoir-être pro. Je vais vous faire passer une petite feuille, vous aurez dix minutes pour y répondre. Avant la pause déjeuner, Sheila nous parlera de l’objet qu’elle a choisi et cette après-midi on passera sur ça et sur comment rédiger son CV et se présenter. Sheila, je t’envoie tout par mail, demain on commencera à se mettre dans la peau des recruteurs. Tout le monde est ok ?

Gontrant lance un oui échoïque, pendant que chacun remue la tête. De la magie ce gars.

Candyce hausse les sourcils, les yeux grands ouverts. Elle trouve Gontran sympas, c’est certain, mais à un peu de mal avec ces grandes exclamations. Enfin, Candyce n’est pas du genre à juger. Elle l’a déjà signalé : « je ne suis pas là pour juger, juste pour vous apporter mon aide et mon expérience, après vous prenez, vous ne prenez pas, il n’y a pas de problème. C’est vraiment comme ça résonne en vous. ».

Je matte le titre, puis la première question.

Quelles sont vos définitions du savoir, du savoir-être et du savoir-faire ?

J’ai l’impression d’être de retour à l’école à tenter de répondre à des questions abstraites. Le savoir, c’est la connaissance qu’on a acquis sur toute l’étendue d’une vie. Le savoir-être… J’ai comme un doute. Première fois que j’entends cette appellation. Je dirais que c’est la façon dont on se comporte. Le savoir-faire … Hum, un peu comme un cordonnier qui connaîtrait son métier.

J’suis carrément pas sûr de mes réponses.

Les dix minutes passent, beaucoup regarde leur feuille, mise à part Gontran et Eronne. Ils semblent certains de ce qu’ils ont marqué.

— Alors ? Est-ce que quelqu’un veut me dire ce qu’est le savoir.

Je lève la main. J’ai envie de participer. Je donne ma réponse.

— C’est une bonne réponse, mais moi, je parle professionnellement parlant.

— Ce sont les diplômes. La validation de son cursus, répond Gontran avec fierté.

— Effectivement. Le savoir à avoir avec la validation de vos compétences. Et pour le savoir-être ?

Eronne lève son stylo, Candyce lui donne la parole.

— Ce sont nos motivations et notre qualité personnelles.

— Bien. C’est comment vous allez agir dans votre travail et votre relationnel. Donc votre comportement face à des situations, des personnes. Vous n’avez pas besoin de diplôme pour ça. C’est ce que vous avez intégré au cours de votre vie. Je vous donne un exemple : vous n’êtes pas psychologue, n’avez pas le diplôme d’état, mais vous savez écouter une personne et peut-être lui donnez-vous des conseils. Les savoir-faires ?

Gisèle prend la parole.

— Il s'agit de la capacité, éprouvée par la pratique, à réaliser concrètement une tâche.

— Bah dis donc. C’est on ne peut plus claire. Pour ceux qui n’auraient pas compris, je vais venir avec un exemple : vous êtes potier, et chaque jour vous créez de la porcelaine. D’année en année vous avez acquit de l’expérience dans le mouvement et dans la façon de créer vos œuvres. OK.

Candyce s’approche du tableau, y note trois mots : Individuelle, Environnementale, Collective.

— Maintenant qu’on a ça en tête, on va passer au 14 savoir-être pro à connaître. Quand vous les aurez sous les yeux, nous pourrons continuer le petit jeu et je vous donnerai d’autres feuilles. Quelqu’un a une idée ?

Gontran agite la main comme un gamin qui connaitrait la réponse. Candyce accepte qu’il étale son savoir.

— Je sais Gontran que tu connais les savoir-être pro donc je vais te laisser en révéler un, puis après on laissera les autres participer.

— Pas de problème. Le premier, je dirais la capacité d’adaptation.

— Exact. Tu le mettrais dans quelle catégorie et pourquoi ?

— Environnementale, parce que je pense que ça englobe tout.

— Parfait. D’autre personne qui aurait des idées ?

Candyce cherche du regard un candidat qui pourrait répondre.

On est tous en mode réflexion, quand Sheila lève la main et parle en même temps.

— L’autonomie ? C’est possible.

— Oui, c’est très bien. Et tu le mettrais dans quelle case ?

— Pas la moindre idée, dit-elle en coiffant une mèche de ses cheveux avec ses doigts.

Tellement soignée et un poile maniérée.

— Alors, c’est dans individuel, parce que c’est une démarche personnelle. On se met en autonomie sans qu’on nous le demande.

Candyce analyse chacun. Irène est la troisième à donner une réponse.

— Le travail en équipe que je mettrais dans collective.

— Niquel.

On met près d’une heure à trouver les quatorze, à choisir leur catégorie et à savoir pourquoi ils sont importants.

À la fin, Candyce nous file un récapitulatif que j’examine encore une fois.

Les savoir-être professionnels :

- Capacité d’adaptation,

- Gestion du stress

- Travail en équipe

- Capacité à fédérer

- Sens de la communication

- Autonomie

- Capacité de décision

- Sens de l’organisation

- Rigueur

- Force de proposition

- Curiosité

- Persévérance

- Prise de recul

- Réactivité.

Chaque savoir-être a sa définition. Je les lis les après les autres avec assiduité, jusqu’à ce que Candyce revienne à la charge avec une fiche.

— Ce sont trois petits exercices qui vous aideront pour la suite, vous les remplierez après la pause.

Déjà la pause de dix heures quarante-cinq.

— On reprend dans dix minutes, prévient Candyce.

Tout le monde sort. Je prends mon temps, bois une gorgé dans ma gourde. Avant de partir et prendre un peu le soleil dehors, Candyce me demande de faire monter le groupe à l’heure. Elle a remarqué que nous étiez très pipelettes.

Eronne tient la porte du local, laisse passer Gontran qui bavarde avec le pauvre Corentin. Le blond m’envoie un regard qui signifie : tu viens. Je rapplique envahi par sa demande silencieuse. J’ai encore envie de parler avec lui. Il a l’air passionnant.

Pourtant quand le soleil caresse la peau de sa main de feu, Eronne et moi ne faisant qu’écouter les discussions des autres, venant donner notre vie rapide.

Irène et Sheila bavarde dans leur coin. Gisèle est restée en haut, trop frileuse. Je me déconnecte un instant, les yeux clos. Eronne me regarde. Je le sens. Que voit-il ? A-t-il envie de reprendre notre discussion ? Voudrait-il me parler d’autre chose ? Je suis convaincu qu’on a plus en commun que la littérature. On sent les gens qui nous ressemble. Et je sens notre similitude.

J’ouvre les yeux. Eronne détourne son regard. Je fais comme si de rien était et matte ma montre. Les dix minutes sont passé. Je préviens chacun qu’il faut remonter. Sheila et irène n’ont pas terminé leur cigarette, Gontran est en pleine explication d’une théorie sur la vie sur mars. Je ne sais pas vraiment comment il en est arrivé là, Corentin ne semble pas avoir compris non plus, il remut la tête de façon poli. En vrai, il veut juste se barrer.

Je les prévenue, j’ai fait mon job. Je remonte avec Eronne qui frôle ma main. On marche presque collait, de quoi se frôler trois fois et de reprendre une certaine distance.

— Tu aimes le soleil ? demande-t-il.

— Hum ? Pourquoi cette question ?

— Je ne sais pas, tu semblais en communion avec le soleil tout à l’heure. Le visage baigné dans sa lumière. Tu m’as paru serein.

— Pourquoi, je te semble perturber ?

— Pas perturbé. Plutôt triste par moment. On dirait que tu quittes le groupe pour aller ailleurs. Dans une bulle.

— Pas faux. J’ai mille univers dans ma tête. Je peux m’échapper du monde pour rejoindre une contrée éloignée. Pratique, hein ?

— Hum… Tu t’ennuies ?

— Pas vraiment. C’est juste que parfois, les sujets ne m’intéressent pas alors, je pars.

Eronne s’arrête dans les escaliers, pour prendre le temps de me regarder.

— T’es du genre réservé ?

— Moi ? T’y es pas du tout. Si je voulais, je me baladerai le violon à l’air que ça ne me ferait ni chaud ni froid. C’est juste que j’ai l’habitude d’être seul. Du coup, je viens moins vers les autres. Je pris goût à la solitude, je la connais bien. Quand je suis en groupe, je me mets de côté pour ne pas gêner. Ce n’est pas une question d’être réserver, plutôt d’investissement. Après, je suis sociable. C’est juste que j’analyse encore la situation et les autres avant de me lancer dans le bain.

—Tu m’analyses, aussi ?

— Bah ouais, ça parait évident. J’ai même envie de dire plus toi que les autres. Tu m’intrigues. Pourquoi ? Je ne serais pas vraiment te l’expliquer.

— T’es du genre à dire ce que tu veux ? dit-il un peu gêné.

Amusant ce côté de sa personnalité.

— D’une certaine manière.

La porte du local s’ouvre sur nous. Une femme qui devait avoir un rendez-vous individuel.

On entre, nous joignons à Gisèle qui feuillette un magazine. Elle nous interpelle.

— Les gars pour le projet groupé, on s’est mis d’accord sur une boîte à recueil.

— Une boîte à recueil ? interviens-je.

Eronne m’explique qu’hier, ils sont restés un peu plus longtemps dans la rue à discuter et qu’ils s’étaient mis d’accord avec Gisèle, Corentin, Gontran et lui sur l’œuvre qui porterait notre « projet ». Les autres étant partie plutôt, ils n’avaient pas pu leur en parler. Moi, y compris.

— Ça te va ou t’as une idée ?

— Un recueil de nouvelles ?

— Ouais, c’est le but.

— J’aurais pu avoir la même idée. J’imagine que ça vient de toi.

— Le recueil, oui. La boîte c’est Gisèle.

— Oui. Une boîte avec deux compartiments. Chacun serait l’avant et l’après, dit-elle, en mimant le projet.

— Donc, y’aurait deux recueils. Chacun dans leur compartiment. Bonne idée. Mais, si on doit écrire, va falloir prévenir les autres. Combien de mots ?

— Juste un paragraphe, chacun avec nos sentiments, répond Eronne.

— Ok, c’est good. Ça me plait.

***

Devant nos feuilles, on griffonne des réponses. Je note les qualités qui m’appartienne, dans la mesure où je suis capable de les repérer. Puis, je raconte à ma feuille une anecdote positive professionnelle où j’ai pu mobiliser une qualité pro. Je choisis la communication. J’ai été baby-sitter pendant deux ans et pet-sitter. T’as tout intérêt à savoir communiquer avec les gosses, les parents et comprendre le comportement des animaux si tu ne veux pas de problèmes.

Je continue avec une anecdote négative pro pour laquelle j’ai manqué d’une qualité. Mon choix se porte sur la gestion du stress et de ma période de caissier. Le comptage de la caisse. Le plus grand moment de solitude de toute ma vie. Une telle prise de tête que j’aurai pu faire friser un mouton à poil raide. En même temps, je n’aimais pas ce que je faisais. Ça n’a pas aidé.

Le jeu se termine, chacun raconte ce qu’il a noté. On est pas mal à avoir du mal avec la gestion du stress. C’est un truc de dingue. Ça rend fou !

Candyce regarde l’heure sur le poignet d’Eronne, puis tape dans ses mains.

— Bon, il est bientôt l’heure de manger, on va prendre dix minutes pour Sheila qui ne reviendra pas cette après-midi.

Elle se tourne vers la femme aux cheveux longs et aux joues rondes.

— As-tu amené un objet ?

— Euh ! pour être honnête, je n’avais pas vraiment d’objet particulier et ceux qui me plaisaient étaient trop fragile, alors j’ai choisi mon trousseau de clé.

Sheila le sort le pose sur la table basse. C’est un trousseau de clé tout ce qu’il y a de normal. Trois clés, deux portes-clé et de l’usure.

— Pourquoi cet objet ? demande Candyce sans aucun jugement.

— Parce qu’il ouvre l’endroit où je me sens bien, où il y a mes enfants que j’aime d’un amour infini. Il y a la clé de ma voiture qui me permet de m’échapper, de me promener, de circuler. Et je trouve que c’est important de pouvoir circuler. Pas besoin de posséder une voiture en soi, il suffit de marcher. Les porte-clés ont été fait par mes enfants. J’y tiens beaucoup parce qu’en me les offrant, ils avaient écrit une lettre. C’était un poème pour la fête des mères. Et les regarder se balancer sur le trousseau ça me fait penser à ce moment heureux. Voilà.

— Wahou ! C’est super beau comme souvenir. J’ai adoré. C’est vraiment important les enfants, s’exclame Gontran d’une voix presque chantante.

Chacun sa vision des choses, mon gars. Mais oui, les enfants c’est chouette. Léontine et Larson sont clairement mes rayons de soleil. Ce sont mes bébés quoi que le monde en dise. Ce sont mes enfants et je ferais tout pour qu’ils soient heureux.

— Merci, Sheila. C’est touchant et je comprends tout à fait ce que tu veux dire. Maintenant, je vais te laisser y aller et ils me font deux personnes pour aller chercher le repas en bas.

Je me propose. Eronne aussi. On suit Candyce qui s’arrête en route. Un appel de son fils. Elle nous demande de prendre les repas pour elle et se cale dans un coin du hall au premier étage.

Eronne descend, moi sur les talons.

— J’ai une dalle, pas toi ?

Il se tourne, hausse les épaules.

— Je suis au régime.

— Pourquoi ?

— Quelques boulets en trop selon moi et selon d’autres.

— Bah, ils te vont bien, tu devrais les garder.

Je matte le tatouage qu’il a derrière l’oreille. On dirait un mantra tibétain.

— C’est quel langue le tatou derrière ton oreille ?

Il touche, caresse la zone et sourit à un souvenir plus qu’à ma question.

— Ça. C’est du thaïlandais. Et c’est un mantra pour le courage.

— Le courage ?

— Oui. Il y a trois ans, j’ai fait une grosse dépression. J’avais perdu tout espoir en l’avenir.

Il marque une pause.

— T’es pas obligé de me raconter si tu ne veux pas.

— J’ai envie de te raconter. C’est facile de parler avec toi.

— Parce que je suis un inconnu.

— Peut-être ou à cause de ce que tu m’inspires.

— Qu’est-ce que je t’inspire ?

— Une personne capable de guérir les autres.

— Tu me donnes un pouvoir que je ne suis pas sûr de posséder.

— Qui sait… Il y a trois ans ma copine a rompu avec moi, j’ai perdu mon job et je suis allé vivre chez mes parents. J’ai eu la sensation d’avoir fait une marche arrière irrévocable. Mes parents ont recommencé à me parler comme à un ado attardé. J’étais redevenu un enfant qui n’avait plus son mot à dire. Et quand t’as la trentaine, eh bien ça ne fait pas du bien à l’esprit. Je suis allé voir un psy pour parler de ce qui m’étais arrivé. Pendant un temps, ça me faisait du bien de parler, puis j’ai commencé à avoir des périodes de déprime importante. Je suis allé en institue. En sortant, j’ai pris un billet d’avion et je suis parti en Thaïlande. Là-bas, j’ai rencontré un groupe de jeunes et ils m’ont appris à vivre au présent. L’un d’eux m’a fait ce tatouage en me promettant que ça irait mieux.

— Et, ça va mieux ?

— Etrangement, oui. J’ai compris que les personnes et les situations que l’on rencontre ne sont pas dû au hasard. Un peu comme toi et moi, et ce qu’on apprend en groupe.

­— C’est une bonne chose.

On arrive au rez-de-chaussée, un homme bedonnant nous tends des sacs en papier. Le repas. Il nous apprend qu’il a oublié les déserts, alors il a acheté des flancs à la coco au magasin. On l’excuse. Il semble à mille à l’heure.

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